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POURQUOI LA TURQUIE S'EST FACHEE POUR GAZA
?
Par Albert Soued, écrivain, pour www.nuitdorient.com
Le 19 janvier 2009
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Depuis l'intervention d'Israël à Gaza, le 1er ministre turc Recep Tayip Erdogan a qualifié l'opération de "crime contre l'humanité" et a demandé le retrait immédiat des troupes israéliennes, un cessez-le feu sans condition et l'exclusion d'Israël de l'enceinte des Nations Unies, pas moins! Une équipe sportive Bnei Hasharon a failli être lynchée par la foule islamiste et a dû quitter le terrain sans jouer, des drapeaux israéliens brûlés…Comment expliquer cette attitude extrême d'un pays dit laïc, faisant partie de l'Otan, participant à des exercices militaires en commun avec Israël, échangeant des renseignements de défense avec lui et profitant de sa technologie pour ses armements ?
Voici comment Robert L. Pollock, éditorialiste au Wall Street Journal, décrivait la situation des relations turco-américaines au début de l'année 2005: "Aux élections de 2002, de plus en plus corrompus, les principaux partis qui avaient défendu les liens turco-américains, se sont auto-détruits, laissant un vide rempli par le subtil mais insidieux islamisme du Parti de la Justice et du Développement (AKP). C'est cette combinaison d'un vieux gauchisme et du nouvel islamisme – bien plus que n'importe quelle brouille à propos du refus de la Turquie d'être de notre côté dans la guerre en Irak – qui explique l'effondrement de nos relations… Autrefois, la Turquie aurait eu un parti d'opposition suffisamment fort pour ramener le gouvernement vers plus de bon sens. Mais la seule opposition aujourd'hui est un moribond Parti Républicain du Peuple, ou CHP, autrefois le parti d'Atatürk. "
L'islamisation
rampante de la Turquie
Depuis cette date, en 2007, suite à des élections où l'AKP a
amélioré son score, Abdallah Gul, un islamiste est
devenu président de la Turquie, malgré la coutume que ce poste soit réservé à
un laïc et malgré les réticences de l'armée. Sous des prétextes fallacieux de
complot de nombreux cadres laïcs de cette armée ont été jugés et jetés en
prison. Des dizaines de milliers de diplômés d'écoles
coraniques sont nommés en tant que juges, destinés de plus en plus à servir de
futurs instruments de la loi religieuse ou shariah. L'AKP a nommé des
fonctionnaires religieux à des postes importants dans le Ministère de
l'éducation. Il a réussi à obtenir la levée de l'interdiction du port du
foulard dans les écoles, les universités, les ministères. Une nouvelle poupée Elif a supplanté la poupée Barbie, elle s’agenouille et
fait la prière islamique et, quand on appuie sur ses mains, ses pieds ou sa
poitrine, elle récite des sourates du Coran en arabe. "Mein Kampf" et "les Protocoles des Sages de
Sion" sont distribués partout à des centaines de milliers d'exemplaires
par différents éditeurs.
Avant de devenir 1er ministre, Erdogan avait dit "Grâce à D, je suis un
serviteur de la Sharia'h (loi islamique) et nous
transformerons nos écoles en madrassas (école
coranique)"
La montée en puissance politique de l'AKP est le résultat des changements socio-économiques du pays. Pour encourager la modernité et le développement, Ataturk avait créé un état centralisé. Et le centre a souvent oublié la périphérie anatolienne, y compris les petites et moyennes entreprises souvent dirigées par de pieux musulmans. Durant les années 80, la réforme économique relative au libre échange et à la privatisation a bénéficié à ce groupe qui soutient le régime actuel. L'immigration massive des villages vers les villes ont renforcé le parti d'Erdogan. D'autres facteurs ont contribué à la venue de partis islamiques au pouvoir, la récession, la corruption, l'incompétence, les divisions entre les chefs de partis laïcs et une nouvelle génération de politiciens islamiques qui savent se montrer à la fois modernes et honnêtes.
En 2008,
la Cour Constitutionnelle de Turquie n'a pas réussi à interdire le parti AKP
pour violation "des principes de démocratie et de laïcité de la république
turque". En peu de temps, l'AKP a réussi à placer la religion au dessus de
la loi et Erdogan a consolidé un pouvoir à la
Poutine. Grâce à des recrutements "de copinage", le 1er
ministre a transformé certains corps technocratiques en rouages du parti, comme
le Fonds d'épargne, d'assurance et de dépôt (TMSF), qui a tout pouvoir
financier sur les affaires privées et les médias. Le TMSF est aujourd'hui
presque entièrement géré par des hommes transférés d'institutions installées en
Arabie saoudite. Les recrutements dans les ministères et dans les postes du
gouvernement dépendent de la réussite à certains examens. Erdogan
y a ajouté un processus d'interview qui lui permet de choisir des éléments
loyaux politiquement. La pratique s'est étendue aux industries d'état….
La Turquie
était l'antre d'un islam tolérant, le soufisme dont les confréries se
développaient harmonieusement dans tout le Moyen Orient. Depuis un demi-siècle,
l'islam radical a supplanté cette vision de l'Islam, et les soufis sont
persécutés, voire interdits en Arabie et en Iran. En Turquie un mouvement
"opaque" appelé "Gulen" est en
train de faire tache d'huile, à grande allure, sous la houlette d'un érudit
soufi Gulen Fethullah, sans
que l'on sache s'il s'agit d'une confrérie authentique ou d'une création de
l'AKP pour absorber les laïcs en son sein et transformer plus aisément la
Turquie en pays islamiste.
Le nouvel
axe Turquie-Syrie-Iran
Bien que
non arabe, jusqu'en 1923 la Turquie était le centre d'un Califat sunnite, dans
le cadre de l'empire ottoman. Après son effondrement à l'issue de la 1ère
guerre mondiale, ce centre a donné naissance à une république laïque et
démocratique sous l'impulsion de Kémal Ataturk. On a vu qu'Erdogan a
amorcé un retour massif vers l'Islam, voire l'islamisme. Aujourd'hui il cherche
à ancrer ses relations au sein du Moyen Orient, plutôt qu'avec l'Occident,
notamment auprès de 2 voisins, l'Iran et la Syrie. L'Iran est perse et shiite, la classe
dirigeante de Syrie appartient à une secte minoritaire de la shia'h, appelée alawite. Erdogan a servi d'intermédiaire pour des pourparlers
indirects entre la Syrie et Israël dont l'enjeu était de faire récupérer le
plateau du Golan à la Syrie.
De
fréquentes consultations à différents niveaux ont pris place entre la Turquie,
la Syrie et l'Iran, au point que certains commentateurs parlent d'un nouvel axe
d'influence.
Leurs
intérêts convergent dès lors qu'il s'agit de s'opposer au nationalisme kurde et
à la puissance américaine. Il y a là assurément deux velléités hégémoniques non
arabes qui s'entrecroisent en Syrie, porte entrouverte vers les pays arabes.
En tout
cas, c'est dans ce sens qu'il faut comprendre le "coup de gueule" d'Erdogan contre Israël, à propos d'une des chasses gardées
de l'Iran, la bande de Gaza du Hamas.
Ne perdons
pas de vue que Tsahal y a éliminé la milice dite iranienne et le Hamas semble
en pleine débandade.
Note de
l'auteur le 5 mars 2010.
Sous prétexte de
complot, les récentes arrestations d'officiers de haut rang, certains en
activité, mais la plupart retraités, montre un début de faiblesse du régime, du
fait qu'il n'est plus assuré d'avoir une chambre homogène aux prochaines
élections de 2011.
La crise
économique, la nouvelle crise avec les kurdes, la dérive islamiste de l'AKP ont
érodé l'influence de celui-ci et sa popularité est tombée de 47% en 2007 à 29%
aujourd'hui.
N'oublions pas non
plus que la procédure de 2008 qui a failli mener à la dissolution de l'AKP a
entaché l'image du régime. Une confrontation avec l'armée est peu probable, car
en 8 ans, cette force laïque s'est beaucoup islamisée du fait des nouvelles
recrues.