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Les Nouvelles Ambitions
de la Turquie
Par
Daniel Pipes
National Review Online- 12 avril 2011
Version
originale anglaise: Ambitious
Turkey
Adaptation française: Johan Bourlard
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Turquie ainsi que les 50 derniers articles sur le
Moyen Orient
Il y
a quelques jours, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet
Davutoğlu, proclamait pompeusement que "si le monde est en
feu, la Turquie en sera le pompier. La Turquie est en train d'assumer un rôle
de premier plan pour la stabilité au Moyen-Orient" Pour Ankara, une
telle ambition est une nouveauté. Dans les années 1990, la Turquie
se contentait de remplir ses obligations envers l'OTAN et de se ranger derrière
Washington, tandis qu'elle inaugurait, dès 1996, d'excellentes relations
avec Israël. En somme, la politique de la Turquie constituait une exception
séduisante à la mentalité ambiante des peuples musulmans, dominée par la tyrannie,
l'islamisme et les théories du complot. La corruption et la maladresse des
dirigeants politiques turcs semblaient être sans grandes conséquences (1).
Ces
défauts se sont toutefois révélés extrêmement fâcheux puisqu'ils ont conduit,
lors des élections de novembre 2002, à la déroute des partis politiques établis
de longue date et à la victoire d'un parti islamiste, Adalet ve Kalkınma
Partisi (AKP). En mars 2003, anticipant la guerre imminente en Irak, le nouveau
gouvernement annonçait le commencement d'une nouvelle ère, refusant le passage
des troupes américaines sur le sol turc.
Durant
les huit années qui ont suivi, la Turquie a adopté une politique étrangère de
plus en plus hostile à l'Occident, surtout aux États-Unis, à la France
et à Israël, tandis que se réchauffaient ses relations avec les gouvernements
de la Syrie, de l'Iran et de la Libye. Ce changement est devenu
particulièrement évident en mai 2010, quand Ankara a aidé Téhéran à éviter des
sanctions quant à son programme nucléaire et, dans le même temps, a porté
atteinte à la réputation d'Israël avec la
flottille dirigée par le Mavi Marmara. Mais c'est au début de 2011 que s'est révélée toute la
mesure des ambitions d'Ankara au Moyen-Orient. Alors que la région connaissait des soulèvements d'une
ampleur considérable, les Turcs sont soudain devenus omniprésents, endossant
des rôles multiples (2).
L'incarnation d'un modèle
Gül
prétend que la Turquie peut avoir un effet grandement et incroyablement positif
sur le Moyen-Orient ; des propos qui rencontrent un certain écho. Ainsi, Rached
Ghannouchi, le leader du mouvement Ennahda récemment autorisé en Tunisie, a
déclaré : "Nous voulons bénéficier de l'expérience turque , un pays qui
a réconcilié l'islam et la démocratie"
Une bouée de sauvetage économique pour l'Iran
En
février, Abdullah Gül, accompagné de nombreux hommes d'affaires, a effectué une
visite
d'État à Téhéran, couronnement d'une évolution où, selon la Jamestown
Foundation, "la Turquie est en passe de devenir la bouée de sauvetage
[économique] de l'Iran". De plus, Gül a vanté le système politique
iranien.
Un obstacle à l'intervention étrangère en Libye.
Dès le 2
mars, le gouvernement turc s'est opposé à toute intervention militaire
contre le régime de Mouammar al-Kadhafi. "Les interventions étrangères,
surtout les interventions militaires, ne font qu'aggraver le problème",
déclarait le 14
mars Davutoğlu qui craignait peut-être une intervention similaire pour
la protection des
Kurdes en Turquie orientale. Le 19
mars, les opérations militaires ont débuté sans la participation de la
Turquie dont l'opposition a retardé l'engagement
de l'OTAN en Libye jusqu'au 31
mars et a assorti celui-ci de certaines conditions.
Un soutien à Kadhafi
Le Premier ministre
turc Recep Tayyip Erdoğan est venu en aide à Kadhafi en faisant tout à la
fois des déclarations
démagogiques – "La Turquie ne sera jamais de ceux qui pointent leur
arme sur le peuple libyen" -- et des propositions concrètes (exemple :
Kadhafi peut sauver son régime en nommant
un président). Selon le quotidien turc Hürriyet, Ankara
a également proposé « de s'engager dans la distribution de l'aide
humanitaire à la Libye, de gérer l'aéroport de Benghazi et de déployer une
flotte militaire pour le contrôle de la zone comprise entre Benghazi et l'île
grecque de Crète. » En signe de gratitude, Kadhafi
a répondu : "Nous sommes tous des Ottomans". À l'opposé,
les rebelles libyens, fulminants,
ont
manifesté contre le gouvernement turc.
Une
aide pour Damas.
En janvier, Ankara a consenti à entraîner
des troupes syriennes ; en mars, Erdoğan a
conseillé publiquement le président syrien Bachar al-Asad sur la façon de
se maintenir au pouvoir, peut-être par crainte de voir les Kurdes de Syrie (1,4
million) gagner
en autonomie et provoquer l'agitation parmi les Kurdes de Turquie (environ
15 millions).
Une force antisioniste
Ankara
s'est fait le maître d'œuvre de la délégitimation d'Israël dont Davutoğlu
essaie de fédérer
les ennemis en prédisant la
disparition de l'État hébreu ; une organisation
soutenue par le gouvernement turc projette l'envoi
vers Gaza d'une nouvelle « flottille de la liberté » composée d'au moins 15
bateaux (3), alors que le vice-premier ministre réclame contre Israël un bombardement
comme celui de la Libye.
Les
ambitions d'Ankara doivent être réfrénées. Moins provocante et plus
intelligente que le régime iranien, la Turquie de l'AKP aspire à remodeler les
pays musulmans à son image islamiste. Les premières tentatives en ce sens ont
bien fonctionné puisque, tout en étant efficaces, elles sont passées largement
inaperçues.
Dès
lors, plusieurs moyens peuvent être envisagés pour enrayer l'influence de l'AKP
: exprimer sa désapprobation de la politique "néo-ottomane" d'Ankara
; s'interroger publiquement sur la compatibilité entre les agissements de la
Turquie et sa qualité de membre de l'OTAN ; encourager discrètement les partis
d'opposition lors des élections de juin 2011 ; enfin, face à l'hostilité de
l'AKP et aux soulèvements
kurdes
en Turquie orientale, reconsidérer la question délicate des droits civils des
Kurdes.
Notes de www.nuitdorient.com
(1) L'ancien président Souleyman Demirel a récemment prévenu dans un journal d'opposition "Hurriyet Daily News and Economic" que l'AKP avait installé un empire de la terreur en Turquie, notamment dans l'armée qui est sous haute surveillance.
(2) Ankara a accepté l'ouverture d'une représentation des Talibans dans la capitale.
(3) Ankara a refusé la demande d'Israël de blocage de cette flottille organisée par le groupe turc islamiste IHH, lié à al Qaeda. De connivence avec l'AKP, ce groupe a différé l'envoi des bateaux jusqu'après les élections législatives de juin, pour éviter de compromettre sa majorité au parlement.