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Comment un homme a pu transformer la Turquie en une société

 

Par Efrat Aviv, chercheuse associée au Centre d'études stratégiques Begin-Sadat ou Besa, conférencière au département MO de l'Université Bar Ilan

Jerusalem Post du 14 juin 2011

Adapté par Albert Soued, écrivain, http://soued.chez.com pour www.nuitdorient.com

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Il semble que le parti AKP, le Parti de la Justice et du Développement, mené par le charismatique Recep Tayyip Erdogan ait gagné le soutien de la population turque pour un 3ème mandat consécutif, ce qui est unique dans l'histoire du pays. Un membre du parti avait dit autrefois que "la stabilité politique mène à la prospérité économique".

Or la prospérité économique est un des facteurs qui ont fait adhérer les masses à Erdogan. Il est vrai que 17% de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté et que le chômage se situe autour de 12%, mais ces chiffres sont inférieurs à ceux qu'on constate aujourd'hui en Europe. De même, aucune institution financière n'a fait faillite lors de la dernière décennie de crise.

Bien au contraire, la Turquie est la 17ème économie mondiale, cherchant à monter parmi les 10 premières, avec un taux d'expansion de 8,9%, faisant de l'économie de ce pays l'une des plus dynamiques à côté des pays européens. Ainsi il n'est pas étonnant que le Ministre des Affaires Etrangères, Ahmet Davutoglou clame à la télévision que "la Turquie est un géant qui vient de se réveiller"

Avant les élections, un sondage d'opinion a été mené pour mesurer l'ambiance dans la société turque. Il en ressort que la plus importante préoccupation de cette société ne concerne nullement le terrorisme du PKK, ni l'entrée dans l'Union européenne, comme on l'aurait pensé, mais le chômage et la pauvreté. L'économie est le facteur dominant dans le vote. Cependant la popularité du 1er ministre Erdogan n'est pas seulement liée à son charisme et à l'économie en pleine expansion, c'est que la société turque a changé.

 

La nation s'est transformée en "société", ce qui est très significatif pour un pays comme la Turquie. Malgré le succès électoral, le plan d'Erdogan de changer la constitution pour parvenir -- entre autres -- à un régime présidentiel a échoué. Il lui fallait 330 sièges pour obtenir un amendement par voie de référendum et 367 sièges (majorité des 2/3), pour l'obtenir sans référendum. Malgré la possibilité d'acheter quelques sièges dans le 1er scénario, il est peu probable qu'il réussisse à le faire sans un référendum.

La volonté de l'AKP, exprimée dans sa campagne par le slogan "hedef 2023" ou "objectif 2023", de mener la Turquie jusqu'au centième anniversaire de la création de la République, reste problématique. D'autant plus qu'Erdogan ne peut plus être réélu à la fin de son 3ème mandat, en 2015. Rappelons à ce sujet qu'un ancien 1er ministre de 1950/60, Adnan Menderes – pendu en 1961 par la junte arrivée au pouvoir par le 1er coup d'état – disait qu'en Turquie, aucun 1er ministre ne pouvait régner plus de 10 ans sans être renversé. L'avenir nous dira si Erdogan pourra rompre ce sortilège.

 

Au moment de l'annonce des résultats partiels de ces élections parlementaires, le parti d'opposition le CHP, mené par Kemal Kılıçdaroglu, dit "Gandhi", a envoyé un message au parti AKP: "Tous nos vœux au parti AKP, mais celui-ci ne doit pas oublier que notre score est aujourd'hui plus important. Le monde entier doit le savoir et ne pas l'oublier, nous sommes plus forts, plus dynamiques, plus jeunes et nous envisageons un monde plus libre"- En d'autres termes, ce que voulait dire Kılıçdaroglu, c'est que malgré le fait que l'opposition n'était pas en mesure de bloquer l'AKP, elle était beaucoup plus forte qu'auparavant et qu'elle avait appris la leçon de l'histoire aussi. Un message direct à Erdogan pour lui dire que les jours sombres du "parti unique" étaient révolus.

 

Et alors la suite ? Suite aux élections l'AKP sera obligé de poursuivre son processus de démocratisation et de l'installer dans la société turque, et une attention particulière doit être également portée aux relations avec l'armée. Une nouvelle Constitution sera élaborée, car celle en cours a été dictée par la junte de 1982, arrivée au pouvoir par un coup d'état deux ans plus tôt. La société turque aspire à des changements, mais pas n'importe lesquels, c'est pourquoi le référendum est primordial.

 

En ce qui concerne les relations avec Israël, elles suivront sans doute le même chemin, avec un léger optimisme, du fait que Davotoglu a conseillé à la flottille de ne pas appareiller. Des responsables américains ont également suggéré une médiation de la Turquie dans le conflit palestino-israélien. Mais Israël s'est habitué à l'idée que la lune de miel avec la Turquie avait pris fin. Même le parti d'opposition CHP aurait la même attitude quant au problème palestinien et Israël ne doit pas rêver à un retour aux "relations habituelles" qui sont révolues, mais s'adapter à encore 4 ans de règne de l'AKP en Turquie. Après tout Istamboul n'a pas été créée en un seul jour.

 

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