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Le Mirage du
Modèle Turc
Par
David Bensoussan, professeur de sciences à l’Université du Québec
4
juin 2013
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Moyen Orient
Alors
qu’il était en prison, l’actuel premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan,
écrivait : "Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos
casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats"
- Durant sa campagne à la mairie d’Istanbul en 1994, Erdogan s’est déclaré
être un « serviteur de la charia ». Bien des observateurs préférèrent ne pas
tenir compte de ces propos, préférant vanter l’islamisme modéré exemplaire
de la Turquie. Peu d’entre eux estimaient alors voir la Turquie sombrer dans
une dictature idéologique, convaincus qu’ils étaient de ce qu’Erdogan devait
obligatoirement diluer ses convictions profondes en raison du réalisme qui
devrait normalement accompagner l’accession au pouvoir de son parti, l’AKP.
L’Europe
louangea la mouvance démocratique de la Turquie, considérant que la
toute-puissance des généraux constituait un frein à l’éventuelle adhésion de ce
pays à l’Union européenne. Or l’Europe se prononça assez brutalement contre
l’adhésion de la Turquie, à commencer par le président français Sarkozy, qui
déclara que ce pays n’avait pas sa place dans l’Union européenne. La Turquie se
concentra alors sur le développement de relations privilégiées avec le
Proche-Orient et l’Asie. Erdogan salua le Printemps arabe et admonesta les
dirigeants en place, les incitant à écouter leur peuple. La Turquie participa à
l’intervention armée en Libye, proposa des accords bilatéraux importants à
l’Égypte, appuya le Hamas à Gaza et les rebelles de Syrie. Or le pouvoir syrien
se montra plus coriace que prévu et les retombées économiques espérées avec les
pays arabes déstabilisés ne se concrétisèrent pas.
Place Taksim
Au
fil des ans, le "modèle turc" devint de moins en moins attrayant.
Après les généraux, ce fut au tour des journalistes libéraux d’être
emprisonnés. Sur le plan de la liberté de presse, la Turquie est aujourd’hui
classée au 154e rang (sur 179 pays) par Reporters sans frontières. À titre
d’exemple, alors que CNN montrait des dizaines de milliers de manifestants sur
la place Taksim, la version turque de CNN faisait passer un documentaire sur
les manchots de l’Antarctique ! Des mesures d’islamisation rampantes furent prises
: relaxation des lois sur le port du voile islamique ; tentative de loi visant
à criminaliser l’adultère ; condamnation à 13 mois de prison d’un intellectuel
ayant critiqué le prophète Mahomet ; arrêt de vente de boissons alcoolisées la
nuit.
La
revalorisation de la gloire passée de l’Empire ottoman alla jusqu’à exalter
devant des audiences de jeunes turcs l’illustre bataille de Manzikert au cours
de laquelle les Turcs seljuks défirent les chrétiens byzantins en 1071.
Pourtant,
le parti d’Erdogan fut réélu avec une majorité de 50 % aux élections
législatives en 2011, ce qui le dispensa de tout accommodement avec des partis
d’opposition. Durant la campagne électorale, Erdogan vanta la performance
économique de la Turquie, 17ème puissance économique du monde. Peu
de personnes prêtèrent alors attention aux dessous de ce succès économique dû
en partie à l’infusion de prêts à court terme consentis essentiellement par les
émirats du Golfe en 2009 et qui atteignirent 115 milliards en 2012. Or, la
dette extérieure à court terme augmente de 30 % par an. La dette publique est
de l’ordre de 80 % du PIB. La dette des consommateurs turcs augmente
annuellement de 40 %, et l’inflation gravite autour de 7 %. Le taux de
croissance prodigieux du PIB à partir de 2010 est maintenant revenu à un niveau
inférieur à celui de 2008. Qui plus est, le ralentissement des économies
d’Europe et de Russie, de même que l’instabilité qui prévaut dans bien des pays
arabes, ont rétréci les marchés d’exportation turcs. Le miracle économique turc
est encore en sursis.
Le Conflit syrien
Sur
la scène internationale, Erdogan a tenté de s’imposer partout, avec un succès
plus qu’incertain : attaques répétées et démesurées contre Israël qui lui
valurent des réserves sérieuses de la part des leaders européens ; tentative -
avortée - de servir d’intermédiaire pour résoudre le problème de la
prolifération de la technologie nucléaire iranienne ; soutien systématique du
Printemps arabe et, pour ce qui est de la crise syrienne, la Turquie doit
composer aujourd’hui avec l’afflux des réfugiés syriens, lequel mécontente
grandement les populations frontalières. Elle doit aussi trouver sa place entre
l’Arabie saoudite qui soutient les salafistes ; le Qatar qui finance les Frères
musulmans ; l’Iran qui appuie le Hezbollah libanais et le régime syrien ; la
Russie et la Chine qui soutiennent le pouvoir syrien et l’Occident qui ne finit
pas d’hésiter d’appuyer des rebelles syriens de peur que ces derniers ne
finissent par être dominés par des extrémistes musulmans, ce qui pourrait
engendrer ultérieurement un problème majeur. L’incertitude qui prime à l’heure
actuelle n’augure rien de bon pour l’économie turque dont la performance fut
l’atout majeur du succès électoral de l’AKP en 2011.
On
pourra noter que le conflit syrien débuta avec une simple manifestation
d’adolescents et une répression démesurée. Au parc Gezi d’Istanbul, la
répression policière devant la revendication écologique fut également
démesurée, ce qui déclencha l’expression ouverte de la frustration des
mécontents turcs, dont les libéraux. Défiant, Erdogan a affirmé pouvoir réunir
un million de manifestants ce qui, selon lui, naniserait la contestation en
cours. Actuellement, Erdogan se donne le crédit d’une paix (prématurée ?) avec
la rébellion kurde et cherche à établir un changement constitutionnel pour
établir un régime présidentiel en Turquie, lequel prendrait effet lorsqu’il
aura achevé son second mandat de premier ministre en 2015.
Après
une longue période de silence, la contestation politique devant la dégradation
des libertés s’est enfin déclenchée.