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Les
Prétentions Turques
Par
Dov Zerah
4/06/18
La
Turquie a dernièrement défrayé la chronique française pour une raison quelque
peu étonnante. En effet, la une de l’hebdomadaire « le Point »,
« LE DICTATEUR Jusqu’où ira Erdogan ? »
avec en fond la photo du président turc. Des Turcs ont exigé et obtenu d’au
minimum un kiosque le retrait d’affiches publicitaires du journal. Drôle de
comportement pour des militants qui cherchent à convaincre que c’est faux.
Depuis
son arrivée au pouvoir en 2003 comme premier ministre, puis à partir de 2014
comme président, Recep Tayyip
Erdogan n’a cessé de renforcer son pouvoir :
·
Avec la remise en cause du kémalisme, des
atteintes régulières à la démocratie, aux droits de l’homme, à la liberté de la
presse, des intrusions régulières de la religion dans le champ politique, la
mise en place progressive d’un Etat islamique de la tendance des frères
musulmans.
·
La tentative de coup d’Etat du 15 juillet
2016, réel ou supposé, a entraîné plusieurs centaines de
morts, des milliers de blessés, et une véritable « chasse aux
sorcières » ; elle a concerné tout l’appareil d’Etat, les
fonctionnaires, les enseignants, les universitaires, les gouverneurs, les
militaires, les policiers, les gendarmes, les magistrats, les juges, les conseillers
d’Etat, les membres de la Cour constitutionnelle…sont arrêtés, placés en
détention, gardés à vue, licenciés. 60 000 personnes ont été concernées.
Cela
a constitué un bon prétexte pour mettre en place des fidèles, modifier l’ordre
constitutionnel et s’arroger les pleins pouvoirs avec la mise en place d’une
hyper présidence. Ce ne sont pas les prochaines élections du 24 juin qui vont
changer la situation, et qui devraient permettre à Erdogan
de rester au pouvoir jusqu’en 2029.
·
La manifestation la plus caractéristique
du culte de la personnalité est la construction d’un palais présidentiel
pour près de 500 M€,
avec des frais de fonctionnement de plus en plus exorbitants ;
200 000 m² en pleine forêt classée site naturel, 1 000 chambres ultra
luxueuses, dans le plus pur site néo-seldjoukide, la première dynastie
turque…Cela dénote la volonté d’exhumer la gloire passée du « Grand
Turc ».
Erdogan veut faire de son pays « une
puissance globale, une force maitresse capable d’agir militairement pour
assurer sa sécurité. » L’activisme turc se manifeste tous azimuts :
·
En Syrie, les Turcs ont profité de l’émergence de
DAESH pour y intervenir, et après s’en prendre aux Kurdes.
·
A Gaza, pour défendre le Hamas, membre des frères
musulmans
·
Le Président Erdogan
refuse la réunification de l’île de Chypre, coupée en deux depuis
1974. Cette politique se décline notamment avec l’exigence du maintien d’une
base militaire turque et ses 30 à 40 000 soldats, mais avec les
initiatives récurrentes de colonisation, voire de « turquisation » du
sud de l’île.
·
Mais les ambitions turques ne se limitent
pas au seul Proche Orient. Nous assistons depuis 2 000, à une véritable
offensive turque en Afrique sub-saharienne. Les échanges entre le pays et
le continent sont passés en un peu moins de 20 ans de 100 M$ à plus de 20 Md$,
et l’objectif est d’atteindre dans les 5 ans les 100 Md$. L’influence turque ne
se limite pas à l’économie ; cette stratégie d’entrisme concerne le
secteur militaire avec une base en Somalie, l’action humanitaire, l’éducation
avec le financement de bourses à des étudiants ou de madrasas pour propager une
forme d’islamisme radical propre aux frères musulmans.
Cette
stratégie est favorisée par une croissance économique de plus de 7 % en 2017,
après les 3,3 % de 2016 et les 5,9 % de 2015 qui masque de nombreux
problèmes : la livre turque a perdu depuis début 2018 près de 20 % de sa
valeur à cause notamment d’une inflation à plus de 11 % et des comptes
extérieurs déficitaires; par ailleurs, les affaires sont entravées par une
corruption généralisée.
Face
à ce voisin turbulent, que fait l’Europe ? Certes, elle paie 6 Md€ pour s’assurer qu’il garde les migrants,
le sujet de l’adhésion est repoussé aux calendes grecques, mais cela ne suffit
pas à faire une stratégie.
De
son côté, l’OTAN est confrontée au dilemme entre le respect de ses prérequis démocratiques et ne pas en tenir compte eu égard
l’importance géostratégique de la Turquie, et notamment de la base d’Incerlik.
Les
prétentions turques ne cesseront pas d’occasionner des soucis à l’Europe, aux
Etats-Unis et à l’OTAN.