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L’Insurrection
Kurde Pourrait Conduire à l’Effondrement Turc
Par Michael Rubin, chercheur résident à l’American Enterprise Institute.
source : www.nationalinterest.org
Adaptation : Marc Brzustowski
11 septembre 2020
D’une certaine façon, l’insurrection kurde pourrait conduire à l’effondrement de la Turquie. Une fois que d’autres pays commenceront même secrètement à soutenir l’insurrection kurde en Turquie, il n’y aura pas de retour en arrière.
La Turquie moderne est née il y a près de cent ans dans le contexte des efforts européens pour diviser la péninsule anatolienne. Ce fait alimente à la fois la paranoïa collective de la Turquie et sa xénophobie. Son cauchemar est une sécession kurde. Alors que le PKK et ses groupes dérivés ont abandonné depuis longtemps cet objectif en faveur d’une autonomie localisée, le penchant du président turc Recep Erdoğan visant à susciter des combats avec des voisins et des États régionaux pourrait bientôt transformer les craintes de la Turquie une prophétie auto-réalisatrice.
Le problème de la Turquie avec sa question kurde existe presque depuis aussi longtemps que la République turque elle-même : à peine deux ans après la fondation de la Turquie en 1923, les Kurdes se sont soulevés lors de la rébellion de Sheikh Said pour s’opposer à l’abolition du califat. En 1927, İhsan Nuri Pacha a déclaré la République d’Ararat, un petit État kurde situé à l’extrême est de l’Anatolie, le long des frontières iranienne et arménienne. Mustafa Kemal Atatürk, le premier président de la Turquie moderne, a ordonné l’écrasement de cette entité. L’armée de terre et l’armée de l’air turques ont réagi avec une efficacité brutale au cours des trois années suivantes. En 1936, une autre rébellion kurde a éclaté à Dersim pour protester contre la turquification forcée et la réinstallation obligatoire afin de diluer les identités démographiquement non turques. Une fois de plus, l’armée turque a écrasé le soulèvement. Dans chaque cas, les Kurdes ont pu justifier leurs soulèvements par des griefs spécifiques allant au-delà de la simple identité nationale, mais leurs révoltes ont surtout renforcé la défiance des gouvernements turcs successifs envers toute expression identitaire kurde.
L’antipathie du gouvernement turc envers l’identité kurde s’est cristallisée (ossifiée) après la mort d’Atatürk en 1938. Les gouvernements successifs d’Ankara ont ignoré les zones à population kurde alors qu’ils modernisaient l’économie turque. Les Turcs ont accepté les Kurdes, mais seulement lorsque les Kurdes renonçaient à leur propre identité ethnique et culturelle.
Au cours des décennies suivantes, la Turquie a subi sa part d’instabilité politique. Certains Kurdes y ont participé, mais la violence politique s’est généralement produite dans le cadre d’extrémistes de gauche ou de droite. C’est dans ce contexte que le futur membre fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan ( Partiya Karkerên Kurdistan, PKK) Abdullah Öcalan a vu le jour. Il a fini par éprouver du ressentiment face à la subordination des Kurdes dans la prétendue lutte de classes et a formé le PKK pour y remédier. Öcalan a officiellement lancé l’insurrection du PKK en 1984, prenant pour cibles aussi souvent les Kurdes rivaux que les Turcs.
Les États-Unis ont offert un soutien aveugle à la Turquie dans sa lutte contre le PKK. Le PKK était un groupe marxiste et, dans le contexte de la guerre froide, cela l’emportait sur tout. Alors que le PKK et les partisans de ses groupes d’opposition en Syrie pourraient s’abandonner à une amnésie historique, le groupe s’est également livré à la brutalité et à la terreur en Turquie. Curieusement, il a fallu treize ans – et dans le contexte d’une vente d’armes à l’ère Clinton – avant que le département d’État ne désigne officiellement le groupe comme une entité terroriste. C’était une action assez terne et peut-être même contre-productive : non seulement son timing suggérait des motivations autres qu’une évaluation objective du terrorisme, mais l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide avaient également changé la réalité du groupe. Sous le président Turgut Özal, le gouvernement turc avait commencé à se réformer en vue d’un accord. La mort prématurée d’Özal a sabordé cet effort, mais la capture d’Öcalan en 1999 a forcé le groupe à se déplacer dans de nouvelles directions. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan lui-même autorisé une sensibilisation secrète préalable à la négociation en 2012, mais a finalement interrompu ses pourparlers après que de nombreux Kurdes de Turquie aient voté pour le Parti démocratique du peuple (HDP) plutôt que pour son propre Parti de la justice et du développement (AKP). Le processus de paix Turquie-PKK a eu un certain succès à montrer, quant aux efforts de ses négociateurs : un accord intérimaire a vu le PKK déposer les armes à l’intérieur de la Turquie et de nombreux combattants se sont rendus en Syrie.
Ces dernières années, l’évolution du groupe s’est accentuée : le vide causé par la guerre civile syrienne a donné aux Kurdes syriens l’opportunité de s’autogouverner. Ils ont réussi remarquablement ; alors que certains critiques des groupes de réflexion de Washington décrivent le groupe comme des marxistes impénitents, ces chercheurs n’ont apparemment jamais pris la peine de visiter les régimes politiques sur lesquels ils prononcent ce type d’avis. L’autogouvernance kurde peut être beaucoup de choses, mais ce n’est pas marxiste.
Les Kurdes ont également subi une transformation par le feu : les milices dominées par les Kurdes ont largement vaincu les groupes d’Al-Qaïda dans le nord-est de la Syrie et ont également été indispensables dans la lutte au sol contre l’État islamique. Les autorités turques établissent souvent une équivalence morale entre l’État islamique et les groupes kurdes, mais cela ne suffit pas pour deux raisons.
Premièrement, il existe des preuves accablantes que les employés du gouvernement turc, les services de renseignement turcs et les membres de la propre famille d’Erdoğan ont soutenu, fourni ou fait des affaires avec
l’État islamique.