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(le premier ministre Erdogan)
Tentatives du gouvernement AKP pour islamiser la Turquie
MEMRI
- Dépêche spéciale n°1086
Depuis
l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Erdogan, du parti AKP (parti pour la
justice et le développement) en 2002, le fossé n'a cessé de se creuser entre le
gouvernement d'une part et les milieux laïques turcs de l'autre, du fait
notamment de remarques du Premier ministre Erdogan.
Les
déclarations d'Erdogan relatives à l'identité de la Turquie ont fait parler
d'elles tout au long du mois de décembre 2005. Il a tout d'abord qualifié les
minorités en Turquie de "sous-identités" bénéficiant de la
"citoyenneté turque". Son refus de reconnaître l'identité
"turque" comme commune à tous, ajouté à son rejet du concept de
"nation turque", ont suscité de vives réactions dans les milieux
laïques et nationalistes en Turquie.
En
outre, pour répondre à une question relative au statut de la minorité kurde
(lors d'une visite officielle en Nouvelle-Zélande), Erdogan a précisé que les
nombreuses minorités ethniques en Turquie étaient liées par leur religion
commune, en référence à l'islam : "La Turquie est musulmane à 99% et c'est
avant tout notre religion qui nous relie les uns aux autres." A son retour
en Turquie, il a expliqué : "Je n'ai pas dit que l'islam était notre
identité supérieure [comme l'ont rapporté les médias]. J'ai dit que l'islam
était le ciment, le principal facteur d'unité de notre peuple."
Si
les médias islamistes turcs ont salué les propos d'Erdogan, les médias laïques
ont en revanche protesté, soulignant que la seule identité commune dans la
République laïque de Turquie était la citoyenneté turque.
Voici
quelques réactions de la presse turque aux déclarations d'Erdogan :
"L'AKP
a lancé une offensive contre la république laïque"
Le 10 décembre, Oktay Eksi écrit dans Hurriyet, quotidien laïc à grand tirage : "Ceci est un avertissement amical. (…) Le gouvernement AKP au pouvoir est sur une très mauvaise et dangereuse pente. Ils ont engagé une offensive totale contre [notre] république. Autrefois ils disaient respecter la loi. Puis, quand la loi en Turquie a cessé de leur plaire, ils ont fait appel à la Cour européenne des droits de l'Homme. Et vu que le verdict passé dans le cas de Leyla Sahin ne leur a pas plu, (1) ils ont bravé la Cour et la loi. (2)
Ils
disaient respecter la science. Et pourtant ils ont lancé une guerre totale
contre le Conseil d'Education supérieur [turc] et les universités. (3) (…)
Contraints de se plier aux critères de l'Union européenne, ils ont répété 'un
drapeau, une nation, une patrie', mais ils sont vite passés d' 'une nation' à
'une oummet' [Oumma]." (4)
Un
député d'un parti de l'opposition : "S'il est vrai que la religion est le
ciment de notre peuple, que sommes-nous censés faire de nos minorités
[non-musulmanes] ?"
Commentant
la définition du Premier ministre Erdogan de l'islam comme "ciment"
du peuple en Turquie, Ali Topuz, membre du Parlement affilié au parti
d'opposition PRP (Parti républicain du peuple) a été cité dans la plupart des
grands journaux turcs : "S'il est vrai que la religion [l'islam] est le
ciment de notre peuple, que sommes-nous censés faire de nos minorités non-musulmanes
et des athées ? Va-t-on les exclure de la nation ? (…) Le Premier ministre doit
garder en mémoire qu'Atatürk nous a apporté la laïcité et que la séparation
absolue de la religion et de l'Etat est l'un des grands principes de la
révolution turque. (…) J'exhorte le Premier ministre à faire preuve de maturité
politique."
Le
18 décembre 2005, Hayrettin Karaman écrit dans le quotidien islamique Yeni
Safak : "Pour être musulman, il faut soumettre le tribalisme (qui
correspond au nationalisme dans le langage actuel) à l'unité de la fraternité
islamique. L'islam passe avant tous les autres engagements. (…) Quand la nation
islamique (oumma) est unifiée, aucun musulman ou groupe musulman n'est laissé
pour compte ; tous en font partie. (…) Selon le traité de Lausanne, seuls les
non-musulmans sont reconnus comme des minorités en Turquie." (5)
Le
11 décembre, Murat Bardakci écrit dans Hurriyet : "(…) Si ce que le
Premier ministre a dit est vrai, s'il est vrai que la religion est un facteur
d'unité si important, comment se fait-il que nous [Turcs], lors de la chute de
l'Empire ottoman, avons été amèrement trahis par les musulmans (…), et pourquoi
les soulèvements intervenus lors des premières années de notre république
ont-ils été le fait des religieux ? (…) En 1914, au début de la [première]
guerre mondiale, n'était-ce pas Hussein, le Sharif de la Mecque, qui a émis des
fatwas contre le sultan-calife ottoman Rachid, incitant tous les Arabes à une
rébellion qui a peint les terres musulmanes avec le sang de dizaines de
milliers de nos fils ? (…) En 1925, Le cheikh Saïd a lancé des appels du
Sud-Est de l'Anatolie à s'armer contre les Turcs : (…) '…Capturez leurs
soldats, (…) les canons des Turcs infidèles (…). Votre guide est Mahomet, Celui
qui vous aide est Allah. Vous êtes beaucoup plus forts que leur gouvernement
(…) Sauvegardez et protégez la sainteté de l'islam (…)' " (6)
[1] Leyla Sahin, étudiante turque, a été contrainte, en
1998, d'abandonner ses études médicales à l'université d'Istanbul parce qu'elle
refusait d'ôter le turban. Ella a fait appel à la Cour européenne des droits de
l'Homme. Voir la Dépêche Spéciale n° 1048 de MEMRI sur le sujet : Les
tentatives du gouvernement AKP pour islamiser la Turquie (2ème partie): refus
de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme favorable à
l’interdiction du port du voile ; le Premier ministre Erdogan : « Les oulémas,
et non les tribunaux, sont habilités à s’exprimer sur la question du foulard
», http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP104805
[2] Voir la Dépêche Spéciale n° 1048 de MEMRI http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=countries&Area=turkey&ID=SP104805.
[3] Voir la Dépêche Spéciale n° 1014 de MEMRI :
Tentative de l'AKP pour détourner la Turquie de la laïcité au profit de
l'islamisme (1ère partie) : affrontement avec les universités turques
http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP101405
[4] Hurriyet (Turquie), le 10 décembre 2005.
[5] Yeni Safak (Turquie), le 18 décembre 2005. Le
quotidien islamique Yeni Safak est considéré comme un porte-parole
semi-officiel du gouvernement AKP.
[6] Hurriyet, le 11 décembre 2005.
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mention de la source.