www.nuitdorient.com

 

Malgré l'appel du pape en faveur de la Turquie, l'Europe vient de prendre ses distances vis-à-vis des négociations pour une éventuelle entrée de la Turquie dans l'UE, du fait du refus de la Turquie de reconnaître Chypre, un membre de l'UE, et également le génocide arménien. Cette décision exacerbera le nationalisme turc, voire l'islamisme qui a le vent en poupe dans les régions déshéritées. Un coup d'état de l'armée turque pourrait bien aider la Turquie à sortir de l'impasse.

Albert Soued

 

UN COUP D'ETAT EN PREPARATION?

Encore une fois les généraux en colère murmurent à propos des efforts du gouvernement pour liquider l'état laïc et la Turquie

 

M Baran est un "senior fellow" de l'Institut Hudson

Article paru dans Newsweek International du 4 décembre 2006

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued/conf.htm pour www.nuitdorient.com

 

La Turquie est une terre hantée. Trop souvent dans son histoire, le passé a été le prologue. Et il est possible que cela se répète. Il y a presque 10 ans, les militaires turcs ont évincé un premier ministre islamiste élu par le peuple. Les circonstances à l'origine du coup d'état se répètent aujourd'hui. De nouveau, un Islamiste est au pouvoir. De nouveau, les généraux en colère murmurent à propos des efforts du gouvernement pour liquider l'état laïc, fondement de la Turquie moderne. Selon mon évaluation, les chances d'un coup d'état militaire en Turquie en 2007 sont approximativement 50-50. J'ai vu arriver le dernier grâce à une conversation avec un officier haut gradé juste avant les événements de février 1997. Il m'a dit "j'ai demandé aux généraux iraniens après la révolution 1979 pourquoi ils n'avaient rien fait pour l'arrêter. Comme ils n'avaient pas réalisé jusqu'où les Islamistes étaient parvenus, ils ont répondu qu'il était déjà trop tard"Nous ne laisserons jamais cela se produire en Turquie". En effet, ce principe même est inclus dans les règlements de l'Etat Major turc, qui stipulent que les militaires sont les seuls protecteurs de la démocratie laïque turque et des "principes d'Ataturk"  

Et c'est encore ainsi maintenant. Bien que la plupart des Turcs conviennent que le premier ministre Recep Tayyip Erdogan est plus modéré que son prédécesseur évincé, Necmettin Erbakan, il n'en demeure pas moins que c'est un Islamiste. Le Président sortant Ahmet Necdet Sezer a averti publiquement que le gouvernement d'Erdogan élargissait sa plateforme fondamentaliste tous les jours, et qu'il défiait les principes de base de la laïcité telle qu'elle est définie dans la constitution turque. De façon précise, Sezer a rappelé que les forces armées turques s'étaient engagées à la protéger.

Le Général Yasar Buyukanit, nouveau chef d'état Major, un faucon, s'est fait l'écho de ce thème. Dans un discours à l'ouverture de l'année d'universitaire, à l'académie turque de guerre, le 2 octobre, il a demandé : "N'y a-t-il pas des gens en Turquie qui demandent que la  laïcité devrait être redéfinie ? Et ces personnes n'occupent-elles pas les plus hautes fonctions de l'état ? L'idéologie d'Ataturk n'est-elle pas attaquée ?".  Buyukanit a continué en déclarant qu'une réponse affirmative à l'une quelconque de ces questions confirmerait que la Turquie est menacée par le fondamentalisme islamiste.

Ces dernières semaines j'ai parlé avec la plupart des officiers supérieurs en Turquie. Ils ont tous précisé que, bien qu'ils ne souhaitaient pas voir la démocratie interrompue, l'armée serait bientôt obligée d'intervenir pour protéger la laïcité, sans laquelle il ne peut pas y avoir de démocratie dans un pays à majorité musulmane. Ce ne sont pas des personnes insensées et elles savent de quoi elles parlent.

 

Pourquoi en est-on arrivé là ? Principalement à cause de l'Union Européenne (UE). Oublions l'affaire chypriote et les nouvelles lois sur les droits de l'homme que la Turquie a passé "de plein gré" sous la pression européenne. Le fond du problème est la demande centrale de l'UE : un contrôle civil plus important sur les militaires. D'après les officiers supérieurs, cela engendrerait inévitablement une Turquie islamique. Comme ils le voient, la nation n'a simplement pas les moyens de suivre l'UE sur cette question qui, en théorie, garantirait l'avenir d'une démocratie laïque dans le pays, mais qui, en réalité, la mettrait en danger. Depuis sa création en 1924, la séparation de la mosquée de l'Etat, la liberté de culte et la protection contre toute religion envahissante ne sont garanties que par l'armée.

 

Les militaires turcs sont particulièrement circonspects de la façon dont l'UE traite ses propres problèmes liés à l'Islam. Les gouvernements européens pensent qu'en recherchant l'alliance des Islamistes, ils pourraient juguler le terrorisme chez eux. Les critiques turcs disent que cela peut fonctionner à court terme. Mais une stratégie semblable serait intolérable à une majorité de Turcs, qui craignent qu'une fois les portes ouvertes aux religieux dits "modérés", les Islamistes radicaux s'y engouffreraient et prendraient le pouvoir.

La Turquie et l'UE étant en profonde divergence, le danger est que les militaires turcs, soutenus comme en 1997 par d'autres groupes laïques, ne se sentent plus liés par la démarche turque en direction de l'Europe. Et cette fois, à la différence du passé, les Etats-Unis ne sont pas situation de les retenir. En partie en raison de l'Irak, ou de leur bienveillance à l'égard des terroristes Kurdes opérant à partir du Nord du Kurdistan, mais surtout en raison de l'intérêt porté par G Bush à Erdogan, qu'il a rencontré le jour même où le général  Buyukanit a fait ses remarques. Les Etats-Unis se sont opposés au coup d'état de 1997, et s'opposeront au suivant. Mais comme l'a dit récemment un haut fonctionnaire turc "S'il y avait un coup d'état, que pourraient faire les Etats-Unis ? Décréter des sanctions contre la Turquie ?"

En fait, les militaires pourraient exercer leur influence sans recourir à la force. Et si un coup d'état devait se produire, il ne signifierait pas forcément la fin d'une Turquie démocratique. Plus probablement, il signifierait simplement la fin de l'expérience Islamiste et le retour à un gouvernement plus conservateur, fidèle à la laïcité, oui, mais néanmoins une démocratie. Ironiquement, cette Turquie pourrait en fin de compte être vue comme un meilleur membre de l'Europe qu'aujourd'hui.

© www.nuitdorient.com par le groupe boaz,copyright autorisé sous réserve de mention du site