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L’Homme qui a Brisé le Moyen-Orient

 

Par Elliott Abrams, haut diplomate ayant servi dans les administrations Reagan et Bush, membre du Council on Foreign Relations

Adapté par PoliticoJSSNews 26 juin 2014

http://jssnews.com/2014/06/26/lhomme-qui-a-brise-le-moyen-orient/

 

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Il y a toujours la Tunisie. Au milieu des ruines fumantes du Moyen-Orient, c’est le seul succès à peu près encourageant. Mais malheureusement pour les discours d’Obama, le président américain a à peu près autant à voir avec le tournant démocratique en Tunisie  qu’avec la Coupe du Monde de football. Lorsque la politique de l’administration a eu un impact, l’histoire est celle d’un échec et du danger.

Le Moyen-Orient dont Obama a hérité en 2009 était en grande partie en paix. L’Irak était relativement calme et les groupes liés à Al-Qaïda étaient KO. Les relations avec les alliés traditionnels des États-Unis dans le Golfe, la Jordanie, Israël et l’Egypte étaient très bonnes. L’Iran n’exportait pas ses gardiens de la révolution à l’étranger. Aujourd’hui, le terrorisme s’est métastasé en Syrie et en Irak, la Jordanie est un pays à risque, le bilan humanitaire est énorme, les groupes terroristes sont de plus en plus actifs et les relations avec les alliés des États-Unis sont tendues.

 

Comment est-ce arrivé? Commençons par l’orgueil !

Le nouveau président a dit au monde, dans son discours du Caire en juin 2009, qu’il avait une expertise particulière dans la compréhension de l’ensemble du monde de l’Islam, une connaissance "enracinée dans ma propre expérience parce que j’ai connu l’islam sur trois continents avant de venir dans la région où il a été révélé ". 

Mais le président Obama n’a pas parlé de ce monde de l’Islam n’importe où. Il était au Caire, au centre du Moyen-Orient arabe, un lieu où rien ne compte plus que la puissance.

"En tant que petit garçon", a déclaré Obama à ses auditeurs, "j’ai passé plusieurs années en Indonésie où j’ai entendu l’appel du muezzin à l’aube et à la tombée du jour".  Gentille attention, mais les dirigeants arabes étaient plus intéressés à savoir si en tant qu’homme, il a entendu le bruit des coups de feu qui approchaient, vu la menace croissante d’Al Qaïda au Maghreb et dans la péninsule arabique, et compris les ambitions des ayatollahs d'Iran.

Obama a commencé son boulot de Président avec l’opinion selon laquelle, il n’y a pas de problème plus urgent au Proche-Orient que le conflit israélo-palestinien. Cinq ans plus tard, il a perdu la confiance des dirigeants israéliens et palestiniens, et même de son deuxième secrétaire d’Etat, qui gaspille des efforts sans fin dans une quête vouée à une paix globale. Obama a rendu les relations avec le plus proche allié de l’Amérique dans la région, pleine d’amertume, et n’a atteint aucun objectif dans ledit processus de paix.  Le résultat final à l’été 2014, c’est de voir l’Autorité palestinienne se tourner vers un accord avec le Hamas pour de nouvelles élections qui, si elles sont maintenues, ouvriraient la voie au groupe terroriste Hamas dans un partage du pouvoir. Ce n’est pas un progrès!

Dans le pays arabe le plus peuplé, l’Egypte, Obama a soutenu Hosni Moubarak alors que le peuple l’expulsait, puis l’armée, puis le président Mohammed Morsi des Frères musulmans, et maintenant embrasse à nouveau l’armée. Les attaques contre la presse, les dirigeants des ONG, où l’emprisonnement pour des raisons politiques, ont été passées sous silence. Lorsque l’armée a dégagé le président élu, ce n’était pas vraiment un coup d’Etat, vous vous souvenez? Et alors que la situation changeait, il a réussi à offenser tous les acteurs sur la scène politique de l’Egypte, de l’armée aux islamistes, jusqu’aux militants laïcs et démocratiques. Qui nous fait confiance aujourd’hui sur ​​la scène politique égyptienne? Personne.

 

Mais ces erreurs sont mineures par rapport à celles en Irak et en Syrie.

Lorsque le soulèvement pacifique contre le président Bashar al-Assad a été brutalement réprimé, M. Obama a déclaré qu’Assad devait s’en aller. Quand Assad a utilisé du gaz sarin, Obama a dit que c’était intolérable et qu'il avait franchi une ligne rouge. Mais derrière ces mots il n’y avait pas la puissance américaine, et les discours ne pèsent pas cher dans ce Moyen-Orient. Malgré les exhortations de tous ses principaux conseillers --Panetta à la Défense, Mme Clinton aux affaires étrangères, le général Petraeus à la CIA, même Dempsey au Pentagone, -- le président a refusé de fournir une aide concrète aux rebelles nationalistes syriens.

Une aide a été annoncée en juin 2013, puis de nouveau en juin 2014, lors du discours de West Point. Mais c’était un minimum d’effort, beaucoup trop petit pour faire contrepoids au Hezbollah et aux iraniens de la Force Al Quods, 2 entités qui combattent en Syrie. Les Arabes voient cela comme une guerre par procuration avec l’Iran; mais à la Maison Blanche, le désir clé est de mettre toutes ces guerres du Moyen-Orient derrière nous. Ainsi, la puissance américaine au Moyen-Orient est devenue un mirage, quelque chose que personne n’a pu trouver, quelque chose dont les ennemis n’ont pas peur et sur lesquels nos alliés ne peuvent pas compter.

Le résultat a été tragique au niveau humanitaire: au moins 160,000 morts en Syrie, peut-être huit millions de personnes déplacées. Plus d’un million de réfugiés syriens au Liban -- un pays de quatre millions de personnes --, environ un million et deux cent cinquante mille syriens en Jordanie -- population de six millions. Du gaz  sarin "toléré" et non puni, Assad utilisant du chlore gazeux systématiquement en bombes à canon, sans payer aucun prix, que ce soit pour cela et pour ses attaques répétées contre des cibles civiles. Les deux principaux responsables des relations avec la Syrie pour les Etats-Unis, Fred Hof et l’ambassadeur Robert Ford, ont démissionné du fait de l’impuissance montrée par Obama.

Le résultat en termes de sécurité est encore pire, le plus grand rassemblement de djihadistes que nous ayons jamais vu, 12 000 maintenant et ça augmente encore. Ils viennent de partout dans le monde, une Ligue arabe djihadiste, une UE djihadiste, une ONU djihadiste. Deux ou trois mille d’entre eux sont en Europe, et on estime que 70 sont aux États-Unis. En effet, ils rentrent chez eux, expérimentés et bien formés, à Milwaukee, Manchester et Marseille et même à Mossoul.

Quand Obama a pris ses fonctions, il n’y avait pas un tel phénomène; c’est sa création, c’est le résultat de sa passivité en Syrie, alors que les sunnites ont été massacrés par le régime Assad.

Et maintenant, ils se sont répandus de nouveau en Irak, en nombre suffisant pour menacer la survie de son gouvernement. Obama a réagi en envoyant 300 conseillers, un nombre qui peut présager une nouvelle expansion des efforts militaires américains. Ils vont peut-être trouver de bonnes cibles, et être à la base de frappes aériennes américaines et d’une pression diplomatique supplémentaire. Mais nous avions gagné ce jeu, à grands frais, avant qu’Obama ne crée la confusion. La rage de feu des sunnites irakiens face au gouvernement de Bagdad avait été encaissée en 2009. Les efforts diplomatiques américains, dont le pouvoir était basé sur l'action militaire, ont disparu sous Obama, qui voulait juste sortir d’Irak. C’était sa principale promesse de campagne. Alors nous sommes sortis, entièrement, complètement, proprement, sauf si vous posez des questions sur le monde réel de l’Irak. Nous ne pouvions plus jouer le rôle que nous avions joué à graisser les relations avec les Kurdes, les chiites et les sunnites, en limitant les excès sectaires du Premier ministre Nouri al-Maliki. Le résultat est un Irak qui s’effondre, avec des confrontations entre sunnites et chiites. Nous avions payé si cher pour arrêter cela en 2007 et 2008, et l’ISIS, le plus récent surnom d’Al-Qaïda en Irak, a vu ses chances, et a grandit.

Alors maintenant, nous sommes de retour en Irak-ou peut-être pas. Trois cent n’est pas un très grand nombre; c’est moins que  les 600 soldats d’Obama envoyés en Europe centrale et orientale, après que les Russes aient volé la Crimée et commencé une guerre en Ukraine. Qui est rassuré par ce nombre, 600 ? Même question pour l’Irak: les alliés du Golfe sont-ils rassurés par "300 conseillers" ?   Est-ce que le général Qassem Soleimani, le cerveau des Gardiens de la Révolution iraniens, tremble maintenant ?

S'il y a eu un succès de la politique d’Obama au Moyen-Orient, c’est d'avoir promu la réconciliation entre Israël et les Etats du Golfe. Mais ce ne sera pas célébré par la Maison Blanche, parce que la plupart du temps ces états ont peur…, mais il n’en est pas moins un développement intéressant. S'il y a une chose que les royaumes du Golfe sunnites comprennent, c’est le pouvoir; et dans ce cas, c'est le pouvoir iranien qu’ils craignent. Le roi de Jordanie a imprudemment parlé il y a plusieurs années d’un croissant shiite, mais il croyait qu’il faudrait beaucoup plus de temps pour qu’il se développe. Une carte qui commence avec le Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth et trace des lignes à travers la Syrie et l’Irak. Maintenant, l’Iran n’est pas seulement une vision de cauchemar, mais une comptabilité.

C’est ce que les Saoudiens, les Emiratis, les Koweïtiens et les autres voient autour d’eux… Tandis que nous tergiversons, ces pays voient un autre pays qui a compris comment l’hégémonie iranienne s'installe, Israël ! Alors ils se parlent. A Londres, Zurich ou dans d’autres capitales européennes, et ils échangent des informations. Et ils ne s’en remettent pas à Washington.

 

Depuis la Seconde Guerre mondiale, ou au moins à partir du jour où les britanniques sont partis d’Aden, les États-Unis étaient la puissance dominante au Moyen-Orient. Harry Truman a soutenu les sionistes et Israël. L'Amérique s’est opposée à Suez, alors l’Angleterre, la France et Israël ont fait marche arrière. Nous étions le fournisseur d’armes le plus important et gardions les soviétiques à distance. On a empêché Saddam de s’emparer du Koweït. On a établi une ligne rouge contre la guerre chimique. On disait qu’une bombe iranienne était inacceptable.

Mais cette ligne rouge n’est plus à cause de ce président. Et aucun dirigeant arabe ou israélien ne s’attend désormais à ce que les États-Unis arrête la bombe iranienne. Après tout, nous avons regardé passivement Al-Qaïda devenir une force majeure au cœur de la région, et regardé l’Iran s’approcher d’une arme nucléaire, et regardé l’Iran envoyer un corps expéditionnaire en Syrie. Aujourd’hui personne au Moyen-Orient ne sait si nous allons respecter nos engagements. Personne ne peut dire si les frontières de l’Irak ou de la Syrie seront identiques dans les prochaines années. Personne ne peut vous dire "on craint les Etats-Unis".

C’est l’effet net de 5 ½  ans de politique d’Obama. Et, je le répète, c’est la politique d’Obama: pas la sagesse collective de Kerry et Clinton et Panetta et Petraeus et d’autres conseillers, mais l’ensemble des décisions très personnelles du seul vrai décideur, l’homme qui est aux affaires. Celui qui avait son point de vue sur l’Islam. Au Moyen-Orient d’aujourd’hui, "l’appel du muezzin" est aussi largement entendu qu’Obama se souvient de l’Indonésie. Mais lorsque les dirigeants regardent autour d’eux, quand leurs services secrets voient les défis, les extrémistes, les ambitions sans fins, les tueurs… Nous ne sommes pas là.

Ils ne voient pas de leader américain qui comprend parfaitement les enjeux et qui se rend compte que le pouvoir, pas les discours, doit être utilisé pour défendre nos amis, nos alliés et nos intérêts.

Donc, il y a une autre chose que beaucoup de dirigeants israéliens et arabes font, ils hochent la tête et comparent leurs notes dans les réunions secrètes: ils attendent avec impatience le 20 janvier 2017.