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Les
Dessous de la Diplomatie Sanitaire au Moyen-Orient
Par Hagay Sobol, politologue
25/05/2020
L’épidémie de COVID-19, bien
qu’ayant mis à rude épreuve la planète, a aussi facilité des convergences que
l’on aurait eu du mal à imaginer en temps normal. C’est le cas au Moyen-Orient,
région d’instabilité chronique, où cette menace commune a permis de faire
sauter certains verrous historiques avec la coopération médicale exemplaire
entre palestiniens et israéliens, contrastant avec le régime iranien qui n’a
rien fait pour protéger sa population et a, au contraire, facilité la
propagation du coronavirus via ses supplétifs, de Téhéran à Beyrouth.
Israël, l’Autorité Palestinienne, Gaza et les autres
Malgré des désaccords
politiques persistants, la coopération médicale et sécuritaire entre Ramallah
et Jérusalem a été exemplaire et saluée comme telle par toutes les instances
internationales. C’est le principe de réalité plutôt que l’idéologie qui a
primé. Car si aucun accord n’avait été trouvé, l’exiguïté géographique (Israël
correspondant à deux départements français) et l’intrication des populations,
auraient fait courir un risque existentiel aux deux peuples. En effet, depuis
les accords d’Oslo, les zones A et B de la Cisjordanie sont autonomes et sous
contrôle de l’Autorité palestinienne, seule la zone C, regroupant la majorité
des implantations juives, est sous administration israélienne.
Israël a très tôt mis en place
des mesures drastiques et des solutions technologiques pour enrayer l’épidémie
en partie liée à l’afflux de touristes venant du monde entier pour les fêtes
religieuses. Outres les Universités et les Start-Ups tournant à plein régime
dans la lutte contre la maladie, les services de renseignement ont été mis à
contribution : le Mossad organisant l’importation de respirateurs et de
médicaments pour les services de réanimation et le Shin Beth (service de
renseignement intérieur), le traçage des personnes contaminées ainsi que leurs
contacts pour une prise en charge ultrarapide. D’abord critiquées au niveau
international, elles ont rapidement fait école et ont été partagées par les
autorités avec tous ceux qui en faisaient la demande, en tout premier lieu avec
leurs voisins. Ainsi, du matériel médical a rapidement été acheminé, et des
formations dispensées par des médecins israéliens à leurs collègues
palestiniens, y compris ceux de Gaza sous le contrôle du Hamas, reconnu comme
une organisation terroriste par de nombreux pays. Un laboratoire de biologie
médicale, fruit d’un partenariat israélo-chinois a pris en charge la
réalisation des tests de dépistage pour la population de la bande côtière.
Plus spectaculaire encore, la
coopération stratégique entre l’Etat Hébreu et les pays du Golfe
arabo-persique, déjà très actif mais discret, a été considérablement renforcé
par l’urgence de la crise sanitaire, afin de partager au plus vite le
savoir-faire israélien. Selon certaines indiscrétions, le Qatar serait
également du nombre. Le rapprochement est tel que pour la première fois un vol
officiel direct a relié les Emirats Arabes Unis à Tel Aviv pour convoyer de
l’aide médicale à destination des palestiniens.
Cette coopération étroite, ne
doit cependant pas occulter certains discours de haine persistants. Citons le
Premier Ministre palestinien, Maohammed Shtayyeh accusant, contre toutes les
évidences, les israéliens d’être responsables de l’épidémie, ou encore certains
imams de Gaza parlant de « punition divine ». Cette période n’a pas
non plus été totalement exempte d’actions violentes avec des tirs de roquettes
ou de tentatives d’attentats contre des civils israéliens. Le but manifeste
étant de saper les efforts de rapprochement via la « diplomatie
sanitaire ».
L’Iran et ses supplétifs
En ce qui concerne l’Iran, ce
sont d’autres considérations qui ont prévalu. En mal de légitimité, et après
avoir épuré drastiquement les candidatures jugées trop modérées, le régime des
mollahs a caché la gravité de l’épidémie afin de maintenir les élections
législatives de février. Mais, rien n’y a fait. Et devant le taux de
participation historiquement faible, s’apparentant à une véritable déroute, le
Guide suprême de la révolution islamique, Ali Khameneï, a condamné « les
ennemis de l'Iran » et « la propagande négative » autour de
la pandémie de Covid-19. Par la suite, la gestion de la crise sanitaire a été
calamiteuse. Et malgré le déni du pouvoir, les images satellites ont révélé
l’ampleur de la catastrophe avec des clichés d’immenses fosses communes. Les
morts ne se comptant plus, et l’incurie des élites ont encore augmenté la
défiance envers les dirigeants de la théocratie chiite.
Mais, le cynisme ne s’arrête
pas là. Afin de maintenir leur emprise régionale et malgré les risques de
contamination, les Pasdarans (les gardiens de la révolution islamique) ont
poursuivi leurs déplacements sans aucun contrôle médical, et les livraisons
d’armes sur tout l’axe chiite, de Téhéran à la Méditerranée. Pensant profiter
du chaos généré par la situation sanitaire pour prendre l’avantage, c’est
l’inverse qui s’est produit. Telles des empreintes, on a vu apparaitre des
foyers infectieux partout sur leur passage, touchant jusqu’au plus haut niveau
les membres des milices chiites irakiennes pro-iraniennes, jusqu’au Hezbollah
en Syrie et au Liban. Devant ce fiasco et par peur de voir décapiter les forces
vives de leur programme nucléaire, les autorités ont ralenti temporairement son
développement, sans pour autant mettre un terme à leur ambition de détenir
l’arme atomique. La preuve en est, le récent test d’un missile balistique
intercontinental, pourtant prohibé par les accords internationaux, sous couvert
de programme spatial civil.
Outre les attaques, par proxys
interposés, visant les membres de la coalition internationale, les USA, ou
Israël, la politique hégémonique perse menace désormais directement les
intérêts syriens et russes. Cette situation inédite a renforcé la coordination
entre Washington, Moscou et Jérusalem. Surtout, avec la perspective très
crédible d’actions contre le programme nucléaire militaire de Téhéran qui
pourraient prendre la forme d’actions technologiques de grande ampleur. En
effet, si l’Iran est coutumier de cyber harcèlement, la récente attaque contre
le système vital de gestion des eaux israélien et la réponse immédiate et
fulgurante de Tsahal, a fait basculer la région dans la guerre cybernétique.
Après avoir rapidement neutralisé l’action malveillante, les informaticiens de
l’Etat Hébreu ont totalement neutralisé la plus grande installation portuaire
perse, essentielle à la survie économique du pays. Cette réponse calibrée, sans
aucune perte humaine qui n’aurait pu être réalisée sans l’assentiment des deux
superpuissances, laisse augurer de ce qu’il pourrait advenir si les Mollahs
chiites voulaient concrétiser leur désir de « solution finale » comme
le guide suprême vient de le promettre. Dépensant des milliards de dollars dans
le domaine militaire, au détriment de sa population qui manque de l’essentiel,
la République islamique adopte une posture de victime face aux « sanctions
américaines injustifiées ». Et sans vergogne, elle exige de la communauté
internationale une aide financière pour faire face à la pandémie.
L’Union Européenne, l’équilibre impossible entre
l’Iran et Israël ?
Il est étonnant de constater
que malgré les faits accablants, certains se laissent séduire par les sirènes
perses. Ainsi, Josep Borrell, le Haut représentant de l'Union Européenne (UE)
pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a choisi pour l’un de
ses tout premiers déplacements le chemin de Téhéran. A son retour, il s’est
fendu d’une déclaration très critique… envers l’Etat Hébreu, alors qu’il
n’avait reçu aucun mandat pour le faire. Pourtant, ce ne sont pas les dossiers
de première importance qui manquent, tant la gestion de la crise sanitaire a
fait apparaître les faiblesses de l’Union. On peut pointer le manque de
solidarité envers les pays les plus touchés, comme l’Italie, les carences des
systèmes de santé, les pénuries en produits essentiels liées aux
délocalisations, la trop grande dépendance à la Chine, la relance de l’économie
avec son corollaire, la gestion commune de la dette contractée pour passer le
cap. Ou pourrait évoquer également le très oublié dossier chypriote qui
hypothèque grandement la crédibilité européenne. Alors que le nord de l’île est
sous occupation militaire turque, l’UE s’est peu mobilisée pour défendre l’un
de ses membres.
Tous ces dossiers, et bien
d’autres encore, vont conditionner l’avenir de près de 450 millions
d’européens. Malgré cela, une autre priorité semble se dessiner. Les mauvais
élèves de la pandémie, la France et
l’Espagne en tête, ont décidé de lancer une initiative visant à sanctionner
l’Etat Hébreu en cas d’application du plan de paix américain. N’attendant pas
que le nouveau gouvernement israélien soit installé, après la plus longue crise
politique qu’ait connue le pays, un large train de sanctions est déjà envisagé.
Alors qu’il existe habituellement toute une gradation diplomatique avant d’en
arriver là. Il est possible, en réalité, que soit visé le très impopulaire
Donald Trump, apôtre de l’« America first » et fossoyeur du
multilatéralisme cher à son prédécesseur. En renouant avec l’esprit Gaullien,
l’idée pourrait être de redonner un semblant de dynamique autour d’un projet
commun, l’opposition à l’Amérique, afin de bâtir une indépendance stratégique.
Cependant une telle démarche ne résoudrait en rien les problèmes structurels de
l’Europe. Pire encore, cela pourrait aggraver les dissensions existantes et en
créer de nouvelles, tant l’unanimité n’est pas acquise sur ces sujets.
L’Union Européenne et sa vision du « monde
d’après » pour le Moyen-Orient
Si l’Europe veut contribuer
honnêtement à la résolution des conflits du Moyen-Orient, elle doit d’abord
résoudre ses propres contradictions et faire une analyse factuelle des fruits
de sa politique étrangère, de l’ère coloniale à nos jours. Car une partie des
conflits actuels résulte des frontières qu’elle a contribué à forger pour son
usage exclusif, guidée par ses intérêts économiques, énergétiques et
stratégiques. Ensuite, il faudra s’abstenir de considérations de politique
intérieure en même temps que la tentation d’ingérence extérieure, pour être
utile à toutes les parties, au risque, dans le cas contraire, de se
marginaliser en proposant des solutions inopérantes à des problèmes complexes.
A l’heure d’une recomposition
politique sans précédent au Moyen-Orient et d’une partie de l’Afrique voyant
converger les intérêts arabes et israéliens, les tenants d’une doctrine européenne héritée du XXème siècle ne sont
plus audibles. Israël, ce petit pays enclavé, initialement sans ressource,
s’est mué en « Start-Up nation ». Il a su devenir incontournable dans de
nombreux domaines que ce soit sur le plan technologique, de la santé, militaire
ou du renseignement, aboutissant à un partenariat unique avec les trois pays
les plus puissants de la planète, les USA, la Russie et la Chine. Evitons de
rééditer l’erreur fondamentale de la politique d’embargo mise en place par le
Général de Gaulle. Avant 1967, le Mirage, fleuron de la technologie aérienne
française avait bénéficié de la très large publicité faite par les pilotes
israéliens. Aujourd’hui, les mêmes pilotes ont transformé l’échec industriel
initial du F35 américain en success-story. Il
y a définitivement plus a à gagner pour les peuples d’Europe et du Moyen-Orient
en une politique internationale respectueuse et équilibrée.