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Européens, Encore un Effort…
Symboles, droit, politique, géopolitique : quel que soit l’angle
retenu, les Européens se sont trompés sur la « Palestine » le 29
novembre. Mais ils ont eu raison sur Internet dix jours plus tôt.
Par Michel Gurfinkiel
Géopolitique européenne - 4/12/12
Le 29 novembre, un seul pays européen, la République tchèque, a voté
contre une résolution de l’Onu conférant à « la Palestine » le
statut « d’Etat non membre ». Les autres pays, à
commencer par les vingt-six autres membres de l’Union européenne, ont approuvé
cette résolution, ou se sont abstenus.
L’attitude européenne ne peut se justifier. Quel que soit l’angle
retenu. Sur le plan symbolique, voter - ou laisser voter en s’abstenant - un
tel texte à une telle date, soixante-cinq ans jour pour jour après la
résolution qui, en 1947, recommandait, entre autres choses, la création d’un
Etat juif en Palestine, revient nécessairement à remettre en question la
légitimité de cet Etat – Israël - , présenter sa création comme une injustice,
et laisser entendre qu’il est responsable jusqu’à ce jour de la non-existence,
à ses côtés, d’un Etat arabe. Que les diplomates européens, et les ministres
dont ils dépendent, ne disent pas qu’il n’y ont pas
pensé, ou qu’ils n’avaient pas noté la date : on ne les croira pas.
L’attitude européenne n’est pas plus acceptable sur le plan du droit. Un
« Etat », ce n’est pas n’importe quoi : mais, selon une
définition classique, un gouvernement qui exerce une autorité fiable, assurant
la sûreté des personnes et des biens, sur une population donnée et un
territoire clairement délimité. Or ce que l’on entend aujourd’hui par « Palestine »
ne répond à aucun de ces critères. Il n’y a pas un gouvernement palestinien
mais deux, en état de conflit déclaré : celui de Mahmoud Abbas en
Cisjordanie, et celui du Hamas à Gaza. Aucun des deux ne repose sur une
légitimité démocratique, même partielle ou relative : Abbas « proroge »
indéfiniment un mandat présidentiel qui a expiré en 2009, le Hamas a pris le
pouvoir à Gaza par la force et le conserve par la force. Aucun n’assure la
sûreté des populations qu’il contrôle. Aucun ne gère de territoire délimité par
traité.
Les juristes de l’Onu le savent si bien qu’ils n’ont pas osé attribuer
un statut d’Etat membre à cette « Palestine », et lui ont
taillé, sur mesure, celui d’ « Etat non-membre de l’Onu » .
L’Organisation ne connaissait jusqu’à présent que les Etats membres, les Etats
souverains ne désirant pas adhérer à l’Organisation internationale (ce qui a
été le cas de la Suisse jusqu’en 2002) ou les observateurs (entités étatiques
particulières, comme le Saint-Siège, ou organisations non-étatiques diverses).
Au moins respectait-on, dans les trois cas, l’esprit et la lettre du droit et
des traités, et pouvait-on, le cas échéant, trancher un éventuel problème de
compétence. Mais avec l’ « Etat non-membre » palestinien,
catégorie nouvelle et exceptionnelle, la confusion s’installe. Et donc l’abus.
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a assuré
que cet Etat-hapax ne pourrait pas, à la différence d’un Etat régulier, se
pourvoir devant le Tribunal pénal international de La Haye. Et donc faire
mettre en examen des Israéliens, ministres ou chefs militaires, pour le crime
d’avoir, comme le président américain Barack Obama, combattu le terrorisme par des « exécutions
extrajudiciaires ». Mais ce que dit Fabius n’engage que Fabius :
il passera, la résolution du 29 novembre 2012 restera, et des experts sauront
l’interpréter autrement que lui.
Sur le plan politique, l’Europe se trompe encore. Dans les pays qui ont
voté pour la résolution – à commencer par la France -, on a soutenu que,
celle-ci ayant été adoptée à la demande d’Abbas, on renforçait Abbas, tenu pour
« modéré », face au Hamas, dont on admettait, ne fût-ce que rhétoriquement, qu’il était « extrémiste ».
En fait, c’est le contraire qui se passe. Le vote du 29 novembre intervient au
lendemain de la Deuxième Guerre de Gaza : il n’apparaît donc pas comme un
succès diplomatique d’Abbas, mais comme une conséquence de la « victoire »
militaire que le Hamas, selon l’opinion arabe et palestinienne, aurait remporté sur Israël.
Sur le plan géopolitique, l’Europe est confrontée à deux menaces
immédiates : la Russie néo-impériale, détentrice et productrice d’armes de
destruction massive ; et l’islam jihadiste. Son
intérêt était donc de soutenir Israël, son partenaire naturel, et non Abbas,
client de la Russie, ou le Hamas, mouvement jihadiste
sunnite lié aux jihadistes chiites iraniens. Mais
aussi de prendre ses distances avec une Onu devenue, par le jeu de « majorités
automatiques », l’instrument commun de la Russie, de la Chine et des jihadistes. Elle ne l’a pas fait. Chose d’autant plus
consternante qu’elle avait été capable, dix jours plus tôt seulement, d’un
sursaut anti-onusien presque sans précédent. A propos d’Internet.
Le réseau mondial d’information et de communication est actuellement
gouverné par des organismes privés américains, sans but idéologique ou
lucratif : notamment Icann, qui gère et régule les
adresses des sites et des e-mails. Ce statut, les Réglementations
internationales des télécommunications (acronyme anglais : ITRs), a été mis en place en 1988 par la Conférence
administrative mondiale du Télégraphe et du Téléphone (WATTC-88). Ayant force
de traité, il a rendu possible l’essor d’Internet dans les années 1990 et 2000,
stimulé le développement économique mondial, et renforcé partout les libertés
individuelles, à commencer par la liberté d’opinion.
Mais les Etats non-occidentaux voudraient refaire Internet à leur image,
c’est à dire le transformer en une sorte de Big
Brother. A cette fin, ils font campagne pour le transfert du réseau à l’Union
internationale des télécommunications (UIT en français, ITU en anglais) :
l’héritière de l’Union télégraphique internationale, fondée en 1865 et devenue
une agence de l’Onu en 1947. Afin, affirment-ils, « de
garantir la liberté des flux d’information dans le monde, d’assurer à chacun un
accès peu onéreux et équitable à Internet et de jeter les bases d’une
innovation constante et d’une croissance régulière du marché ». Cette « initiative »
est au cœur des débats d’une nouvelle conférence internationale, qui s’est
ouverte le 3 décembre à Dubai et doit durer jusqu’au
14.
Le 19 novembre, le Parlement européen a déjoué la manoeuvre.
En affirmant que l’UIT n’était pas un « organisme approprié ».
Et en observant que le transfert envisagé, loin de constituer un progrès ou de
garantir une plus grande équité, ne pouvait que « porter atteinte à
Internet, à son architecture, à ses opérations, à son contenu, à sa sécurité,
aux relations commerciales dont il est le véhicule, à sa gouvernance, et à la
libre circulation de l’information en ligne. »
C’était bien dit. C’était courageux. Européens, encore un effort…