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LE PROBLÈME PALESTINIEN N'EST PAS RELIGIEUX
par Radwan al-Sayyid
Paru dans Al ittihad (extraits) - Abou Dhabi et traduit par
Courrier International
du 14/11/2002, Numero 628
Le quotidien
israélien Ha'Aretz estime que les Palestiniens sont devenus beaucoup plus
religieux. "De 1967, date de l'occupation de la Cisjordanie et de la Bande
de Gaza, à 1987, date de la première Intifada, il est difficile de trouver un
acte sanglant lié au contexte religieux. Aujourd'hui, les kamikazes non
islamistes se font filmer avec un Coran", note Ha'Aretz, qui remarque
aussi l'incroyable poussée intégriste intervenue du côté juif. "La
religion n'a jamais joué un rôle aussi négatif."
L'opposition des islamistes à la normalisation avec Israël revêt un aspect
théologique et sacré, alors qu'il s'agit avant tout d'un débat politique, note
l'universitaire libanais Radwan al-Sayyid.
L'exigence première de l'islam politique, c'est le refus du
règlement négocié du conflit et de la normalisation avec Israël. Cet impératif
se fonde sur les conséquences qui découleraient d'une normalisation sur les
plans social, économique et politique. Les mouvements islamistes qui prônent
cette attitude bénéficient soit d'une large assise populaire - comme le Hamas
et les Frères musulmans en Jordanie et en Egypte -, soit d'un poids politique
et d'une légitimité liés à leur activité de combat et de résistance - comme le
Hezbollah au Liban ou le Djihad islamique en Palestine. Bien que la plupart de
ces mouvements soient de création relativement récente, leur efficacité sur le
plan du combat politique comme sur celui du combat physique les place au
premier rang du paysage politique.
La première observation qui s'impose à l'examen des mouvements islamistes est
qu'il s'agit de partis idéologiques, dont les cadres estiment représenter la
religion musulmane et ambitionnent d'imposer la charia. C'est ainsi qu'il
existe chez eux une conviction profonde selon laquelle ils ont nécessairement
raison dans la mesure où ils représentent l'absolu et le sacré. Ceux qui
s'opposent à eux dans leurs opinions ou dans leurs choix politiques sont dans
l'erreur au sens théologique du terme. S'il est vrai que la mise en avant de la
foi ou de l'impiété a disparu de leur discours public, ces éléments demeurent
présents dans les fondations qui les sous-tendent. C'est ce qui explique le
vocabulaire religieux avec lequel ils expriment l'ensemble de leurs
revendications, même celles qui revêtent un aspect purement politique.
En ce qui concerne la cause palestinienne, l'aspect idéologico-religieux
transparaît clairement. La Palestine est sacrée, traiter avec Israël est un
péché, le djihad doit continuer jusqu'à la libération de Jérusalem, et la
normalisation est harâm [illicite] parce qu'elle suppose une trahison du
sacré et de l'obligation religieuse de djihad et de libération. Elle suppose la
trahison de l'islam et son abandon. Cette inflexibilité idéologique donne
force, assise et énergie à leur discours et à leur action politique au
Moyen-Orient ; mais, en même temps, elle réduit le champ de l'action politique
au point de la rendre presque impossible. Si nous observons que ces mouvements
sont, du fait de leurs activités dans la sphère sociale, des mouvements
politiques au plein sens du terme, nous saisissons alors l'impasse où mène cette
contradiction entre idéologie et activisme politique. Cette inflexibilité
idéologique - ne vouloir traiter le fait politique qu'en termes de halâl
[licite] ou de harâm [illicite] - rend difficile une action pratique
cohérente et logique. Ce dont ces partis ont besoin, ce n'est pas tant
d'abandonner leurs principes pour lire le réel et agir en fonction de ses
données, mais plutôt de cesser de transformer ce qui n'est pas d'ordre
idéologique en pseudo-idéologique.
En tant qu'Arabe musulman et croyant, j'estime que le règlement du conflit
israélo-arabe est une affaire essentiellement politique, et non pas une affaire
religieuse. Il ne concerne en rien les dogmes, les pratiques ou les obligations
de l'islam. Nous n'avons pas le droit de nous opposer à ce règlement parce que
Jérusalem serait l'un des piliers de l'islam ou parce que les juifs seraient
prétendument les ennemis de Dieu.
En 1839, les jurisconsultes malékites d'Algérie lancèrent, à la demande de
l'émir Abd el-Kader, une fatwa déclarant illicite pour l'ensemble des Algériens
le fait de rester dans leur pays, au prétexte qu'en le faisant ils se
soumettraient au pouvoir des Français impies. L'objectif d'Abd el-Kader était
de regrouper des combattants algériens au Maroc afin de s'en servir comme base
arrière pour aller combattre les Français. Heureusement, personne ne prêta
attention à cette fatwa, et l'Algérie fut libérée un peu plus d'un siècle plus
tard précisément parce que son peuple était demeuré dans le pays.
Pour régler le conflit avec les Israéliens, nous avons besoin d'une renaissance
culturelle qui rende au discours des partisans de l'islam politique des
critères de justesse et d'erreur, d'intérêt public et de nuisance, de bien et
de mal, qui soient autres que ceux de halâl et de harâm . L'idéologie
extrémiste est un symptôme d'impotence, elle nous ramène en arrière du fait des
dégâts qu'elle produit et n'affecte en rien les partisans d'Israël. Les fatwas
appelant à s'opposer aux juifs se succèdent depuis plus de cinquante ans et
l'idéologie du djihad a encore le vent en poupe. Mais, à observer l'utilisation
qui est faite du mot "djihad" chez les islamistes à travers leurs
différents courants contemporains, on s'aperçoit qu'il serait bien malaisé de
trouver la moindre différence entre cette idéologie et celle des mouvements de
gauche des années 70, qui prétendaient que la guerre populaire serait longue à
mener.
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