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Un intellectuel égyptien libéral sur l'occasion manquée de Camp David
2000 et la responsabilité des régimes arabes
Septembre 25, 2002; source Memri N° 422
Dans un récent
article du quotidien Al-Hayat, édité à Londres, l'auteur égyptien Amin Al-Mahdi
(1), connu pour ses vues libérales, a critiqué l'exploitation par les régimes
arabes du problème palestinien et dénoncé leur responsabilité dans le rejet
palestinien des propositions de paix du président Clinton en juillet 2000.
Voici quelques extraits de l'article :
Arafat
et Camp David 2000
" Les grands
moments historiques forcent habituellement les peuples et leurs dirigeants à
choisir entre façonner l'histoire ou se laisser porter par elle. Il ne fait
aucun doute que la deuxième moitié de l'an 2000 fut un moment dangereux et
fatidique dans l'histoire du peuple palestinien, et que ses ramifications se
sont étendues à l'ensemble du monde arabe. Les résultats montrent que la
direction palestinienne… n'a pas su être à la hauteur du choix [qui s'offrait à
elle].
L'une des
conséquences est que le problème palestinien en est revenu au point mort. Non
seulement les Palestiniens ont-ils manqué une véritable occasion de parvenir à
un arrangement raisonnable qui leur aurait permis d'intégrer les temps modernes
et de saisir les rênes du changement ; ils ont [en plus] perdu ce qu'ils
avaient obtenu : [le bénéfice] des négociations de Camp David II.
Le peuple palestinien
avait un Etat en construction déjà avancée qui comprenait huit grandes villes
et 400 villages, tandis que des négociations étaient en cours concernant le
statut de deux villages de Jérusalem… [Cet Etat] bénéficiait d'un port, d'un
aéroport, d'une ligne aérienne et de quartiers généraux à Jérusalem…, d'un
immeuble parlementaire en construction à Abou Dis, de tourisme actif…,
d'échanges commerciaux importants avec la Jordanie, Israël et l'Union
européenne, d'une agriculture ayant accumulé les connaissances. Il bénéficiait
de 127 000 travailleurs en Israël au revenu moyen de 100 dollars [par mois]…
d'établissements éducatifs reconnus et d'une identité ; [il disposait de] sa
propre police, de dispositifs de renseignements et de plus de prisons qu'il
n'en faut, d'institutions médiatiques, d'une administration gouvernementale,
d'un soutien politique et économique international.
Plus important : il
possédait… une élite [s'étant avérée capable] de mener la première Intifada
avec un succès rare dans le monde arabe. Cette élite savait s'adresser au
peuple israélien et mobiliser de larges secteurs au soutien de la cause
palestinienne. Le Président Arafat détient le record du nombre de visites à la
Maison blanche. L'entité nationale palestinienne a reçu les visites de nombreux
présidents, Clinton et Chirac en tête, ainsi que de la plupart des Premiers
ministres et ministres des Affaires étrangères du monde. La déclaration d'un
Etat était à portée de main - ou plus près encore que cela. Les propositions du
Président Clinton… ont pavé le chemin du changement et du progrès.
Bien que le président Arafat ait admis avoir commis une erreur en rejetant
les propositions du président Clinton [Haaretz, le 21 juin 2002], ses mots
sont restés sans effet. Il aurait dû honnêtement expliquer l'origine de ce
refus, d'où venait son erreur, et pourquoi il lui a fallu tant de temps pour
la reconnaître. Je pense que la situation s'est détériorée au point de ne
plus se limiter à la seule erreur de ce refus. Celle-ci n'est qu'un maillon
de la chaîne d'erreurs tragiques allant du recours à la violence (comme l'indique
le rapport Mitchell, accepté par toutes les parties), à la formation d'une
alliance directe, organique, avec les factions de l'islam politique la veille
des négociations, et au transfert de la direction de la 'rue' palestinienne
aux 'Punks de la république Al-Fakahani' (2). Ainsi, le principe des négociations
de paix se trouvait complètement vaincu. [Cette défaite] a joué un rôle significatif
dans l'effondrement de la gauche israélienne - centre de gravité [du soutien
israélien] à une solution basée sur la paix, et avec elle s'est effondré le
camp de la paix.
Dans la clameur de la
guerre mondiale contre le terrorisme, la violence religieuse - qui a plus
particulièrement été l'apanage des jeunes hommes et femmes issus de milieux
pauvres, de l'oppression et du désespoir, jeunes au cerveau lavé pour perpétrer
des attentats suicides contre des civils, avec des résultats meurtriers - est
devenue une redite des événements du 11 septembre et un rappel permanent au
monde que le terrorisme est arabe et islamique. C'est ainsi que le poids moral
du problème palestinien a commencé à s'alléger. La différence entre la violence
de Sharon et la violence palestinienne s'est estompée, et [la solution du]
troisième transfert palestinien - c'est-à-dire la solution jordanienne - a pris
plus de place que jamais auparavant, surtout à la lumière du vide politique susceptible
de naître si le régime irakien venait à être remplacé.
…Les dommages
[palestiniens] externes sont pires encore. La nouvelle administration
américaine est faite de néo-conservateurs… pour qui les dirigeants palestiniens
sont incapables d'opter pour la voie de la paix. En exigeant du président
Arafat qu'il combatte la 'terreur', [l'administration] a demandé l'impossible,
Arafat étant déjà trop engagé dans une voie sans retour… "
Les régimes arabes et Camp David II
" Quand Arafat
est revenu de Camp David, la foule l'a porté sur ses épaules en signe de
respect du fait qu'il n'avait rien obtenu. Les dispositifs de propagande
palestinienne et les déclarations de hauts responsables de certains pays arabes
ont joué un rôle déterminant dans ces étranges réjouissances. Ce fut le moment
choisi pour ajouter des conditions rendant le problème insoluble, comme le
droit de retour des réfugiés en Israël - ce qui revenait tout simplement à
[exiger] la création de deux Etats palestiniens. De plus, une attaque démagogique
sans aucun fondement [a été lancée] contre Clinton et la politique américaine
(il existe plusieurs raisons de critiquer la politique américaine, mais je ne
pense pas que le plan Clinton en fasse partie).
Tous ces éléments
prouvent que le processus de paix avait pris une direction rétrograde… En
parallèle, la victoire du Hezbollah [au Sud Liban] a été exagérée, au point de
prendre des proportions mythiques, alors qu'il s'agissait là d'une simple
victoire tactique sans aucun impact sur l'équilibre des puissances. Cette
situation a duré six malheureux mois, jusqu'à ce que tout espoir de préserver
le principe des négociations pacifiques disparaisse, avec l'élection de Sharon
- Sharon étant le partenaire idéal dans cette danse avec la mort.
A mon avis, la
proposition de paix présentée par Clinton à la partie arabe n'avait aucune
chance d'être acceptée, quelle qu'elle fût. En effet, le problème palestinien a
toujours été la première source de légitimité des régimes révolutionnaires
[arabes] ayant établi des républiques militaires rurales et tribales. Le
problème palestinien a toujours été l'objet des 'Annonces n°1' des [coups
d'Etat militaires arabes]. Plus grave : il a été l'appui vertical de la
déclaration de guerre faite à la démocratie et la modernisation [par les
régimes arabes], le prétexte éternel à la facture du divorce d'avec le monde
libre et aux diverses lois imposées, allant des lois d'urgence aux lois
militaires.
Depuis que des
tensions régionales, dont le conflit israélo-arabes, ont été mises en avant,
pendant la guerre froide, au début de la réorganisation du monde…, les
démocraties arabes militaires [ex-révolutionnaires] souffrent de la pression
exercée par cette réorganisation - de l'érosion de la souveraineté nationale,
l'économie libérale, la mondialisation des droits de l'homme, la création de
tribunaux internationaux et l'avènement de l'ère des peuples... Le régime arabe
a essayé de créer une nouvelle forme de guerre froide en formant une alliance
avec le fondamentalisme islamique et en établissant un nouvel empire de l'ombre
en Asie centrale.
Les centres de
tension, comme la question palestinienne, [la guerre] au Sud-Soudan et les
frictions dans le Golf, ont remplacé le Rideau de fer et le Mur de Berlin… La
situation est devenue telle que ces républiques militaires se sont permis de
devenir des demeures royales où le clonage politique de père en fils est admis.
La proposition
Clinton n'était rien de plus qu'une offensive de paix contre ce régime arabe et
son Rideau de Fer en Palestine et au Sud-Soudan. Son but était d'ouvrir la
région aux changements de la fin de la guerre froide. Ce fut un succès total
pour les Américains ; il a donc rencontré une résistance cruelle, sans que ne
soit jamais posée la question de ce qui serait bon pour les Palestiniens. Quand
le président Clinton a quitté la Maison blanche, il a emporté avec lui ses
propositions, laissant la place à de nouveaux locataires qui n'ont pas les
mêmes croyances que lui…
Ainsi, Abou Ammar
[Arafat] a encore fait du peuple palestinien un bouclier humain protégeant
le régime arabe de l'agression de la modernité et de la liberté. C'est-à-dire
qu'il a réussi à faire du problème palestinien un problème arabe. Si seulement
il s'était contenté de cela ! Il a aussi dédommagé l'islam politique pour
sa défaite humiliante en Afghanistan et en Asie du Sud, pour sa mauvaise réputation
et pour le fait qu'il soit persécuté dans le monde entier… "(3)
[1] Pour lire d'autres
articles d'Amin Al-Mahdi, voir la Dépêche Spéciale n° 104 de MEMRI et la Dépêche
Spéciale n° 169
[2] Référence au
gouvernement de l'OLP à Beyrouth Ouest dans les années 80.
[3] Al-Hayat
(Londres), le 9 septembre 2002