JAMAIS PLUS DE FANATISME ORDINAIRE

De Salman Roushdie, écrivain, article paru dans le New York Times du 27 novembre 2002; il est l'auteur du dernier ouvrage "Step across thid line".

Traduit par Albert Soued, écrivain, www.chez.com/soued/conf.htm

Une semaine vient de s'écouler dans le monde merveilleux de l'Islam.

La rencontre de l'Islam nigérian avec cette centrale de la subversion qu'est le concours de "Miss Monde" a été un événement édifiant, et c'est le moins qu'on puisse dire! D'abord certaines candidates ont eu le courage de dénoncer le jugement de la cour religieuse, condamnant à mort par lapidation, selon la sharia'h, une femme nigériane accusée d'adultère et elles ont menacé de boycotter le concours – ce qui obligea les autorités du Nigéria à promettre que la femme en question ne serait pas soumise au jet mortel de pierres.

Et puis Isioma Daniel, une journaliste chrétienne Nigériane a eu le culot de suggérer que si le prophète Mahomet était vivant aujourd'hui, il aurait volontiers épouser une de ces demoiselles dévergondées en maillot de bain. Bien évidemment c'était aller trop loin! Les vrais croyants musulmans du Nigéria se sont mis à la besogne sainte de tuer, de piller et d'incendier, appelant à sa décapitation. Et personne pour les blâmer! Même pas le président du Nigéria qui condamna sans détour la malheureuse journaliste (Germaine Greer et d'autres féministes d'Angleterre offusquées par le fait que "Miss Monde" ait été transféré à Londres, préférèrent plutôt râler contre ce concours de beauté, plutôt que de dénoncer les tueurs, les pillards et les incendiaires, cette idée leur ayant échappé).

Pendant ce temps en République d'Iran, Hashem Aghajari, une personne ayant des références islamiques et révolutionnaires de premier ordre --- puisqu'il a perdu une jambe lors d'une bataille -- et un CV qui inclut la prise d'assaut de l'ambassade du Grand Satan, à l'époque de la révolution Khomeyniste, cet homme croupit dans les geôles, en attendant sa mise à mort, sous prétexte qu'il avait critiqué les mollahs qui gouvernent le pays. En Iran vous n'avez pas besoin d'avoir des idées culottées à propos du prophète pour mériter la mort. Le cœur des "vrais croyants" devient fou, pour beaucoup moins que cela. Mais des milliers de jeunes gens à travers le pays étaient suffisamment mûrs pour protester contre le jugement de M. Aghajari. Et voilà que le chef suprême l'ayatolah Ali Khamenei les mit au pas, en incitant plus de dix mille contre manifestants, de vrais croyants, à défiler à Téhéran, pour soutenir la ligne dure du pouvoir islamique.

De même en Egypte une série télévisée de choc "Un cavalier sans monture" offre à un large public friand un programme antisémite. Ce faux éculé appelé "les protocoles des Sages de Sion" est traité dans cette série dramatique comme un fait historique véridique --- pourtant on a démontré il y a déjà belle lurette que ce document, prétendant démontrer un complot juif pour dominer le monde, était un vulgaire truquage de la police secrète du Tsar Nicolas II. Nous sommes dans cette même Egypte où les médias sont régulièrement censurés pour empêcher la sortie de tout ce qui peut offenser les autorités. Mais arrêtons-nous un instant. Voilà que la star et le co-auteur de cette série infamante, Mohamed Sobhi nous dit que ce qui est en jeu ici n'est ni plus ni moins que la liberté de parole! Et que si son spectacle mentait à propos de ces "sionistes" terrifiés, ce n'était que justice, et il continuera à fabriquer des programmes dans la même veine. Voilà un homme qui a vraiment quelque chose dans le ventre!

Puis n'oublions cette horrible histoire de cette femme hollandaise musulmane Ayaan Hirsi Ali qui a été obligée de fuir les Pays-bas parce qu'elle prétendait que les hommes musulmans opprimaient leurs femmes, une vilaine accusation qui les a outragés, au point qu'ils l'ont aussitôt menacée de mort!

Peut-être qu'il est injuste de juxtaposer toutes ces histoires de la semaine. Pourtant elles ont quelque chose en commun. Ayaan Hirsi Ali a été accusée d'être la Salman Roushdie de Hollande. M. Aghajari a été accusé d'en être la version Iranienne et Isioma Daniel, l'incarnation Nigériane du même démon. Il y a deux mois, j'avais dit que je détestais que mon nom devienne le slogan des islamistes à travers le monde. Mais je suis en train de revoir cette position. Peut-être qu'il n'est pas mauvais d'être un Roushdie parmi d'autres Roushdie. Je suis plutôt réconforté, et même fier en leur compagnie.

Après tout où se situe le scandale musulman de tous ces événements? Cette civilisation ancienne qui cultivait l'amour, l'art et la réflexion philosophique a été prise en otage par des paranoïaques, des racistes, des menteurs, des matchos, des tyrans, des fanatiques et des drogués. Et pourquoi tous les Musulmans ne hurlent pas?

En Iran, les étudiants manifestent. Mais ailleurs, où entend-on dans le monde les voix modérées, celles de la majorité tolérante de l'Islam, déplorer ce que les Nigérians, les Iranienss, les Égyptiens et les Hollandais musulmans sont en train de faire? Les Musulmans d'Occident semblent aussi curieusement silencieux sur ces sujets. Si vous hurlez, en tout cas on ne vous entend pas…

Si les voix modérées de l'Islam ne peuvent ou ne veulent pas réclamer la modernisation de leur culture -- et de leur religion également – alors il se peut que ceux qui sont nommés "Roushdie" doivent le faire pour eux. Si l'un ce ceux-ci est avili ou opprimé, deux, dix, mille autres jailliront. Car vous ne pouvez pas mettre en prison éternellement l'esprit, les sentiments et les besoins, aussi brutale votre inquisition fut-elle! Le monde musulman est aujourd'hui prisonnier non de l'Occident mais de pirates islamiques qui se battent pour maintenir clos un univers que des gens malheureusement très minoritaires essayent d'ouvrir. Aussi longtemps que la majorité restera silencieuse, la guerre sera difficile à gagner. Mais au bout, nous l'espérons, quelqu'un finira par faire sauter les verrous de la prison.