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Par Amir Taheri, écrivain iranien,
journaliste et rédacteur en chef de la revue Politique Internationale-Paris,
Document paru le 3 avril 2003 dans le
Jerusalem Post et traduit par
Albert Soued, écrivain www.chez.com/soued
Alors que les forces de la coalition
sont entrées à Bagdad, un comité de dignitaires baathistes est en train de
mettre la touche finale à ce qu'il espère sera "la mère de toutes les
fêtes". Prévue pour commencer le 23 avril, cette fête doit marquer le 65ème
anniversaire de Saddam Hussein!
Fils aîné de Saddam et commandant des
"fedayin", Ouday devait présider le comité. Or ce comité s'est réuni
lundi dernier sans Ouday, supposé être mort ou blessé par la majorité des gens.
Le speaker de l'Assemblée nationale Saadoun Hammadi a présidé le Comité. Les
festivités comprennent la finale d'un tournoi de football "la coupe de
Saddam" dont le premier match a eu lieu la semaine dernière. Des artistes
professionnels et amateurs sont supposés apporter des dizaines de milliers
d'oeuvres peignant divers aspects de la vie du dictateur. Un nouvel opéra
relatant les années de lutte de Saddam avant que son parti ne prenne le pouvoir
en 1968 devait être inauguré le 24 avril à Bagdad. Des milliers de poètes sont
attendus avec leurs odes, leurs "sonnets" et leurs
"roubai'yat" à la gloire du "plus grand guerrier de tous les
temps". Des centaines de nouveaux
bustes du leader doivent êtres dévoilés à cette occasion dans des douzaines de
villes du pays! Le programme inclut aussi un séminaire sur "le monde arabe
et la globalisation" . Sont également invités plus de 200 intellectuels
arabes et étrangers (et notamment certains européens rémunérés par le régime
depuis fort longtemps…).
La détermination des leaders irakiens
de poursuivre leurs préparatifs pour célébrer cet anniversaire, comme ils l'ont
toujours fait depuis 1979, est perçu par certains correspondants occidentaux à
Bagdad comme "un signe de confiance" (dans le régime).
Le ministre de l'information Said
al-Sahlaf annonce que les festivités de cette année coïncideront avec la plus
grande victoire militaire depuis des siècles…!
La question légitime qu'on peut se
poser, est-ce que le régime actuel sera en place le 23 avril pour lancer ces
fêtes avec les feux d'artifice habituels, fournis par une société française
depuis déjà 22 ans?
Avec des rumeurs de plus en plus
persistantes sur la mort de Saddam et de ses deux fils, l'optimisme de ce
ministre pourrait être simplement fondé sur le fait qu'il "prend ses
désirs pour des réalités".
Mais les "baathistes"
menacés ne sont pas les seuls arabes qui se bercent d'illusions. Tout individu
qui suit cette guerre à travers les médias arabes pourrait retirer l'impression
que l'Irak a obtenu une série de victoires spectaculaires sur le terrain et
qu'il est en route vers un triomphe total sur les "envahisseurs". Il
suffit de lire la manchette d'un journal arabe "les forces Américaines
devant la capitulation ou la mort à Bagdad" (1). En voilà une autre:
"Les Irakiens accumulent les victoires sur tous les fronts contre les
agresseurs!"
Ces illusions sont confirmées par tous
les reportages télévisés arabes, notamment ceux de la chaîne Al Jazirah du
Qatar. La guerre est présentée comme une série de massacres délibérés de civils
par les forces de la coalition, provoquant en retour "les attaques
héroïques des Irakiens contre les meurtriers".
Selon ces reportages, alors que les
Irakiens mènent une guerre régulière héroïque, la coalition est train de
terroriser les civils irakiens, afin qu'ils se soulèvent contre leur
gouvernement. Les experts arabes les plus prudents ne prévoient pas la victoire
de Saddam, mais ils insistent sur le fait que l'Irak deviendra le "Vietnam
arabe". "Saddam pourrait mourir dans cette guerre" dit un
journaliste libanais Iyad Abouchakra, "mais la plupart des Arabes pensent
que sa cause en fin de compte gagnera"
La vérité bien sûr, est que les
Irakiens n'ont mené aucune lutte organisée à ce jour. Même les opérations de
grande envergure (appelées coups d'épingle en jargon militaire) se sont
terminées par des missions suicidaires contre des armées mieux équipées et
mieux préparées. L'illusion que l'Irak peut gagner cette guerre arrange bien
les régimes arabes qui espèrent secrètement la défaite rapide de Saddam.
Convaincu par les médias que les Irakiens sont sur l'offensive, l'arabe moyen
ne manifeste pas sa colère dans la rue. Et cela rassure les régimes en place.
Ceci explique partiellement pourquoi l'explosion de la rue arabe, tant
annoncée, ne s'est pas produite.
Depuis le début de la guerre, on a
recensé 17 manifs seulement dans 6 pays arabes (sur 22), organisées par les
"éternels" fomenteurs de troubles de la politique arabe: les
Islamistes, les vestiges d'une certaine gauche, et les
"jusqu'auboutistes" de la Palestine!
On a d'ailleurs plus manifesté pour la
Palestine que pour la guerre d'Irak!
Les forces radicales arabes essaient
de tirer profit de ces victoires imaginaires remportées par les Irakiens. Les
Islamistes disent que "les Irakiens sont enflammés par leur zèle
religieux", les panarabistes clament que "le génie du nationalisme
est en train de produire des miracles sur le champ de bataille", les
vestiges de la gauche attribuent "les énormes résultats aux sentiments
anti-impérialistes des Irakiens".
Lors de la première semaine de la
guerre ces louanges ont été accompagnées par une légère condamnation de Saddam.
Aujourd'hui la plupart des commentateurs soit ignorent le Boucher de Bagdad,
soit le glorifient de différentes manières. Saddam pourrait être le prochain
héros panarabe à l'occasion de son 65ème anniversaire!
Bien sûr les Arabes ne sont pas intéressés
par ce que les Irakiens ont envie de dire. Les opposants Irakiens ont rarement
la parole dans les médias arabes ces jours-ci. À l'opposé, ces médias
amplifient la voix du lobby "surtout-ne-touche-pas-à-Saddam" en
Europe et aux Etats-Unis. Certains journaux arabes vont jusqu'à publier 10
articles venant du "The independant" et du "The guardian"
connus pour leurs thèses contre la guerre. Un ancien ministre des Affaires
étrangères d'Irak, Adnan Pachechi se lamente sur le fait que les Arabes veulent
toujours se sentir "héroïques" avec le sang des autres. Pendant un
demi-siècle, on a demandé aux Palestiniens de mourir pour que les autres Arabes
puissent "poser comme héros". Maintenant c'est au tour des Irakiens
de servir de "chair à canon des illusions arabes". Khalid Keshtini
est un nouvelliste et philosophe en vogue; il exprime ainsi son sentiment.
"La première chose à faire par un nouvel Irak est de prendre ses distances
vis à vis des Arabes; car ces soit-disant intellectuels arabes nous demandent
de mourir dans un combat inégal, afin qu'eux-mêmes puissent se sentir à l'aise
dans leur fauteuil!" L'actuelle "Saddamomania" est bel et bien
une maladie des élites arabes plutôt que celle des masses. Avec de notables
exceptions comme celles de Tourki al hamad, Ahamad al Roubi, Bakr Owelda ou
AbdoulRahman al-Rashid, la plupart des commentateurs attisent les feux de
l'illusion ou inventent le nouvel héros Arabe. Mais il n'y a aucun signe
évident que les masses arabes partagent ce point de vue.
Lors de visites dans 6 pays arabes, je
n'ai trouvé aucune preuve du soutien au despote de Bagdad. J'ai perçu un
sentiment d'inquiétude et parfois de colère par rapport à cette guerre. Mais la
plupart de ceux que j'ai rencontrés souhaitaient voir partir Saddam.
Bagdad s'enorgueillit du fait que 5000
arabes non Irakiens soient venus se battre comme "bombes humaines";
mais ceci est un mensonge. L'appel de l'Islamiste Algérien Abdallah Jaballah
"pour sauver l'Irak de l'occupation" n'a été entendu que par quatre
volontaires à Alger, comprenant un chauffeur de taxi de 77 ans. Même le
Hizbollah, le Hamas et le Jihad Islamique n'ont pas réussi à attirer leurs
troupes vers les opérations suicides en Irak. Les médias ont publié les noms de
13 volontaires seulement, qui languissent dans un hôtel de Bagdad pendant que
les services secrets vérifient leurs "lettres de créance". En dehors
de 4, ce sont tous des Arabes vivant dans des pays d'Europe ou au Canada.
L'anti-américanisme ambiant est
importé d'Europe et même des Etats-Unis. Les médias arabes ne font que diffuser
à longueur de journée les sentiments anti-américains des militants occidentaux.
L'annonce que le monde Arabe est sur le point de se lever en armes pour
défendre Saddam est le fruit de l'imaginaire des médias Occidentaux, exporté
dans les pays arabes où il ne trouve pas beaucoup d'acquéreurs à ce jour.
(1) note du traducteur: on a vu le
même type de manchettes pour toutes les guerres israélo-arabes.