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LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT AHMADINEJAD
Par François
Léotard
lundi 31 juillet 2006
Monsieur le
Président,
Franchement, en commençant cette lettre, je n'avais pas envie de vous appeler
de cette manière. Ce titre implique en effet un minimum de respect. Je le fais
néanmoins parce que c'est vous qui vous exprimez au nom des Iraniens. Sur les
photos, je vous vois devant des foules, des visages, des mains levées. Sans
doute peut-on y deviner une forme d'enthousiasme, en tout cas d'adhésion. Nous
avons, en Europe, connu ces foules. C'était un mauvais moment pour nous. Une
période tragique dont nous continuons a porter la honte et I'angoisse. L'un des
peuples les plus cultives du monde, un peuple qui avait élevé à un haut degré
la philosophie, la musique, la poésie, la science, un peuple qui avait étonné
ses voisins par son rayonnement, avait sombré dans la haine, la folie raciale,
I'ignominie. Des dizaines de millions d'individus ont subi, dans leur chair,
leur culture, leur dignité, cette étrange barbarie qui se voulait un ordre
nouveau. Ce furent d'abord les propres ressortissants de cet Etat, des
Allemands, puis peu à peu les autres, tous les autres... On appela cette folie
une guerre mondiale. Mais ce fut surtout une guerre contre ce qu'il y avait
d'humain en nous. Les livres furent brûlés, les enfants déportés et
assassinés, les intelligences brisées. Tout ce qui faisait I'honneur de
I'homme fut piétiné. Et puis...
Et puis, j'en viens a vous : une partie de I'espèce humaine, le peuple juif,
fut destiné à I'enfer. Oh, je vous le concède : une petite partie. Ce n'était
ni les plus nombreux ni les plus riches, ni même les plus influents. C'étaient
des hommes et des femmes qui avaient porté très longtemps et très loin leur
foi, leurs questions sur le monde, sur Dieu, sur la nécessité de vivre ou de
souffrir, sur le bonheur d'aimer. Généralement ils fréquentaient les livres.
Ils refleurissement beaucoup. Ils ne comprenaient pas bien pourquoi on ne les
aimait pas, pourquoi on les appelait des «sous-hommes », des Untermensch,
pourquoi on les considérait comme des insectes... Ils furent pourchassés dans
toute I'Europe, pendus, fusilles, brulés...
Vous savez parfaitement tout cela. Mais je I'évoque devant vous pour trois
raisons au moins : La première, c'est que nous (je dis « nous », c'est une
façon parler) n'accepterons pas que ça recommence. Je ne suis pas juif mais les
Juifs sont, comme les Perses, mes frères en humanité. La seconde, c'est qu'ils
ont le droit, comme vous, comme moi, d'avoir une patrie. Que ce soit la France
ou Israël ne change rien à I'affaire.
La troisième raison ne vous plaira pas. Mais tant pis : ce qu'ils apportent au
monde (et probablement c'est cela que vous voulez rayer de la carte), c'est une
conception de I'homme et de son destin, qui a enrichi plusieurs siècles de
civilisation, et qui fait honneur au peuple juif comme I'Etat d’Israël.
Monsieur le Président, vous avez le droit d'être nationaliste. Vous avez le
droit d'être fier de I'histoire du peuple perse. Vous avez le droit d'être
croyant et de prier le Dieu « clément et miséricordieux », comme il est dit au
début de chaque sourate du Coran. Vous pensez avoir le droit de voiler les
femmes, de torturer les opposants, d'emprisonner les journalistes qui vous
contredisent, de condamner à mort des enfants mineurs, de persécuter vos
minorités. Mais vous n'avez pas le droit de porter sur Israël le regard
trouble, imbécile et haineux qui accompagne vos discours. Car il me semble que
vous haïssez dans cet Etat la libre parole, la diversité des partis, le rôle de
l’opposition, I'indépendance de la justice, la recherche universitaire et sans
doute aussi... le courage. C'est-à-dire tout ce que nous sommes en droit
d'admirer.
Les hommes qui ont organisé la réunion de Wannsee ou fut décidé I'anéantissement
des Juifs d'Europe sont tous morts aujourd'hui. Naturellement, comme chacun
d'entre nous, vous suivrez ce destin.
Je souhaite seulement que pour vous-même, pour le peuple perse, pour les jeunes
enfants d'Iran ou d'Israël qui vous survivront, il ne vienne a personne I'envie
d'aller cracher sur votre tombe.