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LE BOYCOTT D'ISRAËL EST-IL DE GAUCHE ?
Par Eric Marty, écrivain, professeur de littérature contemporaine à l'université Denis-Diderot, Paris VII
LEMONDE.FR | 21.04.10
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aux étincelles venant d'Europe
Israël est le seul Etat au monde à être menacé d'anéantissement
physique de la part de puissances ou de factions étatiques (Iran, Hezbollah,
Hamas…). Ces menaces ont pour arrière-fond dans les pays musulmans en paix
officielle ou en paix armée avec lui (Egypte, Liban, Syrie…), une propagande
antisémite systématique, soutenue ou tolérée par les gouvernements, et qui
vise, avec une rare violence, à faire du "complot sioniste"
l'unique responsable de tous les maux intérieurs (la mode du "heavy
metal", l'homosexualité, les pénuries de
toutes sortes, la crise financière…).
Désormais, et avec une nouvelle intensité depuis la guerre de Gaza, s'ajoute
le projet d'un boycott d'Israël en Europe, idée qui est devenue à ce point
familière qu'elle trouve un écho favorable tantôt passif, tantôt actif dans
des partis politiques français, comme le Parti communiste ou les Verts. Le
mot d'ordre, il est vrai, n'est pas toujours assumé, mais, d'une manière peut-être
plus dangereuse, l'idée s'est transformée en une sorte de lieu commun, latent
à une certaine opinion de gauche, toujours avide de nouveaux objets susceptibles
de satisfaire son aspiration à la sainteté.
Notons que, tout comme pour les menaces d'anéantissement militaire ou pour
le flot paranoïaque d'imputations criminelles, Israël est, à l'heure actuelle,
le seul pays au monde, à bénéficier, en Europe, du projet de sa mise au ban
des nations, et de son exclusion radicale des échanges économiques, commerciaux,
culturels, techniques, universitaires. Ni la Chine, ni la Russie, ni l'Iran,
ni tous ces autres pays où règne l'oppression la plus extrême, où la liberté
d'expression est soit totalement bannie, soit trop dangereuse pour être pratiquée,
où l'exploitation économique des masses est sans limite, où la discrimination
raciale, sexiste, ethnique, politique est la norme naturelle aux yeux des
gouvernants et des castes majoritaires, ne font l'objet d'un mouvement militant
du genre de celui qui aujourd'hui vise Israël. La lecture d'Internet montre
à quel degré de criminalisation systématique Israël est aujourd'hui porté,
et pose une question. Qu'est-ce que la gauche a à voir avec un boycott qui
est essentiellement l'otage de mouvements pour qui le mot "émancipation",
le mot "liberté", le mot "égalité" sont des mots bannis
?
Il n'est pas vrai que l'Etat d'Israël pratique l'apartheid de près ou de loin
à l'égard des israéliens d'origines musulmane, druze,
bédouine, chrétienne. Ceux-ci ont les mêmes droits politiques, sociaux, sanitaires,
économiques, éducatifs que les juifs. S'il y a des inégalités, celles-ci sont
conjoncturelles et démenties par de nombreux contre-exemples. Et bien sûr,
et contrairement à ce qui se passait en Afrique du Sud, Arabes et juifs prennent
les mêmes transports en commun, se transfusent le même sang, et ont des rapports
sexuels qui ne sont soumis qu'aux préjugés culturels, familiaux et claniques
qui règnent sans doute moins chez les juifs que dans les autres communautés.
Il n'est pas vrai que la barrière, ou le mur, de séparation relève d'une politique
de discrimination : les faits parlent d'eux-mêmes ; depuis sa construction,
les attentats criminels commis par des kamikazes fanatisés sont désormais
impossibles ; et c'est dans cette heureuse impossibilité que le "mur"
trouve son unique fondement. Il n'est pas vrai qu'Israël ait commis des crimes
contre l'humanité à l'égard des populations palestiniennes lors de la guerre
de Gaza : aucun soldat israélien n'a commis de viols, de meurtres délibérés
de civils, d'assassinats de masse comme il s'en est fait au Congo, en Tchétchénie,
au Soudan, pour ne parler que d'exemples récents.
Et si les pertes civiles israéliennes se sont révélées bien moindres que les
pertes civiles palestiniennes, c'est tout simplement que les responsables
israéliens, soucieux de la vie de leurs compatriotes, ont mis en place des
systèmes d'alerte et d'abris, tandis que, de l'autre côté, les miliciens du
Hamas, dans la logique de leur conception terroriste du combat politique,
ont sciemment exposé les populations civiles en s'abritant derrière elles.
S'il y a eu des crimes de guerre, c'est que la guerre est criminelle, et qu'aucune
armée, même l'armée israélienne, qui la plupart du temps a pris mille précautions
pour prévenir les civils des bombardements, par SMS, par radio, ne peut éviter
les crimes.
La politique actuelle du gouvernement israélien n'est pas une bonne politique,
même si, il ne faut pas l'oublier, jamais la Cisjordanie n'a connu une évolution
politique et économique aussi prometteuse. Pour autant le gouvernement israélien
ne fait aucun crédit à la paix. Ce n'est pas seulement la pression de tel
ou tel minuscule parti religieux qui en est la cause, c'est à l'évidence le
manque de vision du premier ministre israélien. Israël mérite-t-il pour autant
une politique de boycott ? Non. Car boycotter Israël serait non seulement
en faire un Etat criminel, ce qu'il n'est pas, mais l'unique Etat criminel
de la région. Ce serait sanctionner de manière démesurée un peuple et un Etat
au prétexte d'une politique gouvernementale ponctuelle, quand bien même ce
peuple et cet Etat ont su, par le passé, montrer, en restituant le Sinaï et
Gaza, qu'aucun projet colonial ne pouvait leur être imputé comme fait de structure.
Le boycott relève, si l'on se place d'un point de vue politique responsable,
d'une profonde myopie politique : c'est, en fait, livrer Israël aux forces
et aux Etats criminels qui l'entourent, sous le seul prétexte qu'il se défend
trop maladroitement ou trop agressivement face aux menaces de destruction.
Lors des dernières élections régionales, certains ont été choqués de voir
qu'un mouvement d'extrême gauche, le NPA, présentait une candidate qui portait
le voile, affirmant par là sa foi musulmane. Mais personne n'a apparemment
prêté attention au fait qu'elle portait également un keffieh autour du cou
et qu'elle avait expliqué que son adhésion au NPA avait pour origine la campagne
"antisioniste" de boycott à l'égard d'Israël. En votant pour
cette candidate, votait-on pour le voile ou pour le keffieh ? Pour l'égalité
entre les peuples ou pour la stigmatisation du seul Israël ? Pour les deux
en même temps ? Un tel fait est profondément allégorique. Le boycott, c'est
cela. C'est prendre avec le keffieh, le voile, ou inversement le voile avec
le keffieh. C'est, dans une sorte de pure adhésion à un clan, se refuser à
penser politiquement une situation qui est essentiellement politique. C'est
en s'identifiant par le boycott à un acte symbolique massif et grégaire, faire
d'Israël l'unique bouc émissaire d'un conflit qui, ne l'oublions
pas, a entre autres pour enjeu son élimination de la surface de la Terre.