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CE CONFLIT EST LÉGITIME

par Bruno Tertrais,  maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Dernier ouvrage paru : Isabelle Cordonnier et Bruno Tertrais, L'Asie nucléaire (Ifri/La Documentation française, Paris 2001).

Paru dans  Le Figaro du 18 mars 2003.


Il y a douze ans, le cessez-le-feu proposé à l'Irak avait été conditionné à la destruction totale de ses armes de destruction massive. La résolution 687 du Conseil de sécurité, adoptée le 3 avril 1991, avait consacré ce principe. Or Bagdad a fait preuve, depuis lors, d'une extraordinaire détermination à échapper à ses obligations. C'est le travail patient des inspecteurs de l'ONU et de l'AIEA pendant sept ans qui a permis, à chaque fois, de mettre au jour les mensonges et les dissimulations du pouvoir irakien. On reproche aujourd'hui aux États-Unis de ne pas donner publiquement de "preuves" suffisantes de l'existence des programmes chimiques, biologiques, nucléaires et balistiques : mais l'histoire du désarmement de l'Irak depuis maintenant une décennie montre que les Occidentaux ont en fait constamment "sous-estimé" les efforts de Bagdad dans ces domaines. En 1991, les inspecteurs avaient découvert, par exemple, que l'effort nucléaire irakien était beaucoup plus avancé que ce que l'on soupçonnait avant la guerre. La question des armes biologiques est encore plus révélatrice : c'est seulement à la suite de la défection en 1995 d'un haut responsable irakien que Bagdad avait été obligé d'admettre, après avoir nié l'évidence, que le pays disposait de missiles armés de têtes biologiques opérationnelles, dont l'ONU ignorait totalement l'existence après quatre ans d'inspections sur le terrain...

Cette persistance irakienne peut surprendre. Elle n'est compréhensible que si l'on sait que les vecteurs balistiques et les armes NBC sont progressivement devenus un instrument clé du pouvoir de Saddam Hussein, puis de la survie même du régime. Dès la fin des années 70, le leader irakien voyait dans l'arme nucléaire le moyen de faire de son pays la puissance dominante dans la région. Pendant la guerre Iran-Irak, les missiles balistiques et les armes chimiques ont permis à Bagdad de résister aux contre-offensives de Téhéran. Les armes chimiques ont ensuite été utilisées, par deux fois au moins, comme un moyen de "maintien de l'ordre intérieur", en faisant régner la terreur chez les populations kurdes et chiites. Enfin, depuis la guerre de 1991, Saddam sait que seule la possession d'armes de destruction massive peut lui permettre de résister à la puissance américaine, de se maintenir au pouvoir, et de prendre ensuite sa revanche sur les États-Unis.

Il ne fait donc aucun doute que Saddam Hussein a continué, après le départ des inspecteurs en 1998, la reconstitution de ses programmes, et qu'il n'entend pas y renoncer. A la mi-février, M. Blix a déclaré devant le Conseil de sécurité "n'avoir pas trouvé" d'armes de destruction massive en Irak jusqu'à présent. Mais comment s'en étonner ? Dans un pays de la taille de la France, un pouvoir autocratique tel que celui de Bagdad n'aura eu aucun mal, depuis quatre ans, à disperser et à cacher ces programmes, d'autant que le savoir-faire irakien dans ce domaine est sans égal.

Doit-on attendre la preuve définitive du mensonge irakien pour agir ? Il est certain que la découverte de preuves flagrantes contribuerait à atténuer l'opposition de la communauté internationale à l'opération américaine. Mais l'honnêteté impose de reconnaître que les dispositions de la résolution 1441 ont d'ores et déjà été violées. L'Irak s'est moqué de l'ONU en présentant en décembre 2002 une prétendue "déclaration complète" qui n'apportait aucun des éléments attendus ; a empêché ses ingénieurs et scientifiques être interviewés librement par les inspecteurs ; n'a pas donné les preuves de la destruction de ses armes chimiques et biologiques ; et, enfin, ne détruit qu'au compte-gouttes ses missiles al-Samoud 2, espérant sans doute en conserver le maximum en vue d'une guerre contre les États-Unis.

Si par extraordinaire Saddam Hussein avait effectivement renoncé à tous ces programmes, il lui aurait été facile d'en apporter les preuves en coopérant de manière active avec les inspecteurs dès la fin 2002. Il ne fait pas de doute, par exemple, qu'une administration aussi structurée et procédurière que celle du pouvoir irakien actuel aurait conservé toutes les traces et les preuves de la destruction de moyens aussi précieux que les stocks d'obus chimiques ou les milieux de culture biologique.

L'Irak a délibérément et constamment violé les obligations qui lui avaient été imposées dès 1991 par l'ONU. Saddam Hussein n'a pas voulu saisir la dernière chance qui lui avait été offerte d'un désarmement pacifique. Le renoncement aux armes de destruction massive équivalant pour lui à la perte d'un instrument essentiel de son pouvoir, il a préféré défier une nouvelle fois la communauté internationale. Si l'on souhaite mettre un terme définitif à la menace potentielle que les programmes de Saddam représentent pour les États-Unis, pour les pays occidentaux, pour ses voisins du Moyen-Orient et last but not least pour son propre peuple, la seule option réaliste est d'en finir avec le régime irakien. Au demeurant, il y va également de la crédibilité des Nations unies dans les affaires de désarmement et de non-prolifération.

L'opération envisagée par les Etats-Unis n'est pas exempte de risques, et il est difficile de souscrire à la stratégie américaine qui mêle aujourd'hui l'obsession sécuritaire au messianisme idéologique. On pourra regretter que le processus des inspections n'ait pas été poussé au maximum, douter de l'urgence d'une action militaire, et en craindre les répercussions dans une région déjà chauffée à blanc par le conflit israélo-palestinien et les suites du 11 septembre. Mais l'on ne pourra ignorer que la guerre qui vient est la conséquence directe de la décision irakienne d'aller jusqu'au bout dans son épreuve de force avec la communauté internationale. L'argument consistant à dire qu'il y a "deux poids, deux mesures" dans l'attitude américaine (et que la Corée du Nord, par exemple, représente une menace autrement plus dangereuse) ne doit pas faire oublier que le cas de l'Irak est unique, les obligations de désarmement imposées à ce pays résultant directement de l'agression perpétrée contre le Koweït en 1990. Dangereuse, cette guerre n'en est pas moins légitime.



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