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Sionisme
et Engagement Historique des Chrétiens pour Israël
Par Abbé Alain René Arbez
13/10/16
Les chrétiens sont
directement concernés par ce qui touche à l’alliance entre Dieu et
Israël, car c’est sur cette alliance-là – et aucune autre – qu’ils croient
avoir été greffés
Le fait d’aborder la
contribution chrétienne au sionisme et à la renaissance d’Israël en tant
qu’état juif ne signifie évidemment pas que le christianisme puisse récupérer à
son profit cette dimension fondamentale du judaïsme depuis l’exil et surtout
depuis l’an 70 de l’ère chrétienne.
« L’an
prochain à Jérusalem ! » est une phrase éminemment constitutive de la foi juive, mais les
chrétiens se retrouvent directement concernés par ce qui touche à l’alliance entre Dieu et Israël, (un peuple, une loi, une
terre) car c’est sur cette
alliance-là – et sur aucune autre base – qu’ils croient avoir été greffés.
Cette affiliation au judaïsme s’est réalisée par l’intermédiaire du juif Jésus,
reconnu par ses premiers disciples (tous juifs) comme messie et comme fils de
Dieu. Tout ce qui a affaibli l’ancrage d’Israël dans cette alliance (impliquant
la terre) brouille automatiquement l’identité chrétienne. Un christianisme ex nihilo n’existe pas.
Cette réflexion sur
les liens entre sionisme et chrétienté n’a pas non plus pour but d’exonérer
l’hostilité historique des chrétiens envers les juifs, car c’est là une
responsabilité écrasante et impardonnable.
Le
fil rouge du lien spirituel judéo-chrétien a réussi à se maintenir au cours des
siècles malgré un courant majoritaire opposé !
Les figures
minoritaires que nous allons évoquer vont paradoxalement nous rappeler combien
la fidélité de l’Eglise chrétienne envers ses propres origines s’est toujours
montrée à la fois fragile et menacée. Et pourtant, le fil rouge du lien
spirituel judéo-chrétien a réussi à se maintenir au cours des siècles malgré un
courant majoritaire opposé ! Dans la tradition juive, on sait que le petit
nombre fidèle est plus essentiel que la grande masse indifférente…
Il y a deux aspects
complémentaires dans le sionisme, un aspect plus
spirituel et traditionnel et un autre plus politique et moderne, et
les deux sont historiquement liés. En d’autres termes, on ne peut pas laisser
dire, comme on l’entend ou le lit trop souvent, que la naissance de l’état
moderne d’Israël serait simplement une « colonisation » octroyée par
les Européens à la suite de la Shoah en guise de dédommagement. La renaissance
moderne d’Israël officialisée en 1948, c’est la conséquence logique d’un
processus qui vient de très loin dans l’histoire, et qui n’a jamais cessé au
cours des siècles ! Un processus dans lequel les chrétiens ont été impliqués,
au-delà de tous les dénis !
Le cardinal
Christophe Schönborn, archevêque de Vienne, a
écrit il y a quelques années un article dédié à la mémoire de Théodore Herzl,
et il dit ceci: « C’est un fait aussi bien pour la foi juive
que pour la foi chrétienne, qu’il y a eu une fois et une seule, dans l’histoire
de l’humanité, un pays bien déterminé, dont Dieu a pris possession pour toujours comme
étant Son héritage (1 S,26/19), Son pays (Jr2/7), et qu’Il
a confié au peuple élu par Lui, Israël, comme étant Son propre peuple
(Dt 1/36). On ne peut guère mettre en doute que la
fondation de l’Etat d’Israël soit liée à la promesse biblique de
la terre. »
Regardons comment,
malgré un climat général anti-judaïque depuis 2000 ans, des chrétiens ont pu
jouer un rôle non négligeable dans l’affirmation publique de la légitimité du
retour à Sion pour les juifs disséminés dans la diaspora.
Cette réflexion
théologique a un double intérêt: d’une part elle rappelle que les chrétiens
reconnaissent comme base de leur foi la bible
hébraïque, avec l’alliance qui implique le don définitif de
la Terre d’Israël à son peuple Israël ; d’autre part elle affirme une
ligne nouvelle qui accepte comme légitime pour des catholiques le fait de lire la Bible hébraïque en fonction d’une perspective juive, et non plus comme autrefois, en christianisant systématiquement
les livres de ce qu’on appelait l’ancien
testament.
En ce qui concerne
l’opinion publique, la question du sionisme et de l’antisionisme est
devenue une question d’actualité encore plus aiguë depuis les « intifada » palestiniennes.
Avec la surmédiatisation unilatérale des événements du Proche Orient, on a assisté à
l’amplification d’une controverse permanente dans l’hostilité généralisée
envers Israël.
Il s’est créé une vulgate de la pensée unique sur le sujet, provenant plus spécialement des
milieux tiers-mondistes, antimondialisation, entraînant dans sa spirale les
chrétiens dits progressistes, aussi bien catholiques que protestants. Ainsi se
réveille sous un nouvel habillage une vieille haine séculaire qui sommeillait. Il
faut remarquer au passage que tous ceux qui se disent pro-palestiniens – et ils
sont majoritaires – sont systématiquement anti-israéliens. Il suffit de lire une certaine presse
catholique ou protestante pour s’en apercevoir.
Enjeux
Les enjeux du
sionisme ne concernent donc pas que les juifs, ils englobent aussi les
chrétiens à plusieurs niveaux. On peut relire à ce propos cette déclaration limpide
du pasteur Martin Luther King – elle date déjà de 40 ans ! – où il affirme : « Tu
déclares, mon ami que tu ne hais pas les juifs, que
tu es seulement antisioniste. Alors sache ceci : antisioniste signifie de
manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi ! Le sionisme n’est
rien moins que le rêve et l’idéal du peuple juif de revenir sur sa propre terre
; soutenir le droit du peuple juif à vivre sur l’antique terre d’Israël : tous
les hommes de bonne volonté se réjouiront de la réalisation de la promesse de
Dieu, que son peuple retourne dans la joie sur la terre qui lui a été volée.
C’est cela le sionisme, rien de plus, rien de moins. »
La Bible hébraïque
est aussi – telle quelle – Ecriture sainte chez les chrétiens : il est
donc assez logique que des chrétiens aient au cours des siècles pris au sérieux
ce qu’ils lisaient dans leur texte sacré. Il est logique aussi, quand on
connaît les traditions, que les milieux protestants aient souvent été plus
sensibles à la thématique de la terre promise Eretz Israël, du fait que l’accès à l’Ancien Testament était
pour eux essentiel, alors qu’il n’était, hélas, devenu qu’accessoire dans le
public catholique. Pendant de longues périodes, il n’y a eu que les
spécialistes cultivés, les théologiens et les mystiques qui en connaissaient
l’importance capitale.
Ce n’est que depuis
le Concile Vatican II, il y a une soixantaine d’années, que les textes du
premier testament (pourtant si bien sculptés pendant des siècles dans la pierre
des chapiteaux d’églises) sont lus chaque dimanche au cours de la messe…
C’est aussi cette
culture biblique bien protestante qui a fait que dans de nombreuses familles on
a privilégié à certaines époques les prénoms de baptême hébraïques. Cette
ouverture spécifique du monde protestant est due à Calvin,
qui le premier au seuil de l’époque « moderne » a insisté sur l’unité de la Bible dans sa partie juive et sa partie
chrétienne.
Mais il faut
également relever le fait que, globalement, toutes les traditions chrétiennes,
orthodoxes, catholiques et protestantes, ont eu leur part d’antisémitisme au cours des générations
précédentes, et plus récemment au moment de la Shoah. En Allemagne après
l’arrivée au pouvoir d’Hitler, le 90% des pasteurs protestants étaient membres
du parti nazi. Heureusement, dans cette étape assombrie, des attitudes
courageuses et déterminées de laïcs chrétiens, de pasteurs, de prêtres et
d’évêques ont apporté un peu de lumière et d’espoir au milieu de ténèbres
terrifiantes.
Regard historique
Regardons les
différentes périodes historiques où s’est manifesté dans les milieux chrétiens,
un intérêt positif pour l’avenir des juifs, précisément en raison de
l’enracinement dans la Bible.
On trouve sur cette
question des éléments intéressants entre autres dans l’étude faite par Yves
Chevalier (des amitiés judéo-chrétiennes), et dans celle de Sœur Hedwig Wahle, religieuse de ND de
Sion. Il en existe aussi chez Paul Giniewsky, un spécialiste
juif de ces questions.
- Il y a d’abord –
et ça commence très tôt – les courants millénaristes qui affirment que dans le cadre de la création d’une
nouvelle terre par Dieu, les juifs retourneront
en Israël, et qu’alors un règne de justice s’étendra sur le monde.
Ces croyances ont été partagées par des figures de l’Eglise ancienne comme St
Irénée de Lyon ou Méliton de Sardes. Augustin instaure une rupture avec cette
façon de penser et ce n’est qu’avec les anabaptistes que cette vision
millénariste revient sur le devant de la scène religieuse.
Ces sensibilités ne
disparaîtront jamais, même si les Eglises officielles catholiques et réformées
se sont montrées hostiles à cette vision, qu’elles jugeaient périlleuse car
susceptible de servir de caution à des mouvements d’illuminés ou de
révolutionnaires incontrôlables.
- Parmi les
visionnaires spirituels, au 14ème siècle, deux moines frères
mineurs, Jean de Roquetaillade, un Français, et Telesforo da Cosenza, un Italien, annoncent une ère
nouvelle universelle accompagnée de la restauration d’Israël et de la
reconstruction du Temple de Jérusalem.
- Au 16ème siècle
un presbytérien anglais, Thomas Brightam, et Jakob
Böhm, philosophe allemand, (deux mystiques) prévoient le rétablissement des
juifs en terre sainte. Le premier y ajoute la chute de l’empire ottoman (qui
avait pourtant conquis Constantinople cent ans auparavant !)
- A l’époque de la
révolution anglaise, avec Cromwell, les
juifs auparavant chassés d’Angleterre y sont réadmis, et les puritains sont persuadés que c’est la dernière étape
avant leur rassemblement en Terre promise. Une pétition envoyée au
parlement de Londres en 1649 manifeste le désir que « la nation
d’Angleterre et les habitants des Pays Bas soient les premiers à transporter
les fils et les filles d’Israël dans la terre promise à leurs ancêtres Abraham,
Isaac et Jacob pour un héritage éternel… »
Dans le même sens,
c’est le père jésuite anglais Paul Sherlock qui attend le retour des juifs en
Palestine. Le protestant John Tillinghast, quant à
lui, annonce que les juifs vont de nouveau s’appeler peuple de Dieu, et que de retour en Palestine, ils repousseront le
Turc et le Pape ensemble.
- En 1686, un
huguenot français exilé aux Pays Bas, Pierre Jurieu écrit : « C’est une
chose qui n’a pas d’exemple et qui ne peut se comprendre, que depuis 2000 ans
Dieu conserve ce peuple dispersé parmi les nations sans qu’il se confonde avec
elles. Cela dit clairement que Dieu les conserve pour une grande œuvre »
- Jurieu prévoit un rassemblement, sur la terre promise, des exilés d’Israël.
- Aux 17ème et18ème siècles,
l’estime pour les juifs est très influente en particulier à Amsterdam,
Hambourg et Londres. Deux facteurs principaux expliquent cette
bienveillance significative envers les juifs : la consonance particulière du
calvinisme avec la Bible hébraïque, et la
présence de marranes aux
Pays Bas et en Allemagne. Cette relation amicale avec les juifs est
même très perceptible dans l’oeuvre
de Rembrandt qui a dépeint l’image du
judaïsme dans ses gravures et dans ses toiles ; des membres de sa propre
famille servent d’ailleurs de modèles pour des personnages juifs.
A la même époque,
Isaac Newton, le célèbre scientifique qui s’intéresse aussi à la théologie,
écrit à propos du retour à Sion : « Le mystère de cette
restitution se trouve chez les prophètes, je m’étonne donc avec stupéfaction
que si peu de chrétiens arrivent à l’y trouver. Ce mystère consiste dans le
retour final de captivité des juifs, leur établissement d’un royaume juste
et florissant. »
Son contemporain
John Locke, philosophe également connu, affirme aussi sa foi dans le « retour des juifs dans leur propre pays« .
- En 1648, il publie
une vision utopique où il décrit Jérusalem régénérée par les juifs revenus au
pays
- Plus étonnant
encore est le témoignage sioniste de l’évêque tchèque Johann Amos Comenius (1592-1670).
C’est un humaniste qui propose dans son traité « Les voies de la lumière » des lignes directrices pour un
monde meilleur. Dans cette révolution universelle, il donne la place centrale à
la restauration des juifs sur leur terre, avec l’institution d’une foi venant de Sion qui serait accueillie par tous les peuples de la terre.
En 1648, il publie une vision utopique où il décrit Jérusalem régénérée par les
juifs revenus au pays, et son rayonnement universel grâce à l’intelligence de
l’organisation de la cité sainte restaurée. Ce livre n’a été publié en anglais
qu’après des siècles d’oubli, en 1902, date à laquelle justement Théodore
Herzl fait paraître son roman Altneuland qui présente
de grandes similitudes avec les idées de Comenius.
- En France, au 17ème siècle,
Nicolas Charpy de Sainte Croix voit « le
monde bientôt transformé, rétabli dans
son ancienne patrie, le peuple juif retrouvera son unité et régnera sur tous
les autres peuples de la terre. »
- Au 18ème siècle,
toujours en France, c’est une véritable école de pensée qui se fait jour et qui
se prolongera au 19ème :
Dans les milieux jansénistes, avec Jacques Joseph Du Guet prêtre oratorien, et
Pierre Agier, on se tourne vers l’Ecriture pour y
trouver « le principe de la plus haute vérité visible » .
- Du Guet collabore
même aux 25 volumes d’une explication de l’Ecriture Sainte dans laquelle il
utilise une méthode d’interprétation ; sa pensée évolue et il est persuadé que
« les ruines de Jérusalem seront rétablies ».
- Même thème de la
restauration de Jérusalem chez Jean Baptiste Le Senne, père abbé d’Etémare, et chez les abbés Nicolas Le Gros et Paul Mérault, auteurs d’un ouvrage commun « Le sens de l’apocalypse » où on
peut lire : « il y aura un règne
de Dieu dans ce monde, et les juifs substitués aux gentils restaureront
Jérusalem ».
Idées semblables
encore chez le P. Houbigant, prêtre oratorien et
l’abbé Jacques Deschamps.
- Une religieuse,
sœur Hilda Fronteau, au moment de la révolution française, prédit le
rétablissement des Juifs à Jérusalem grâce à l’intercession du prophète Elie.
Perspectives
identiques prônées en Italie par le dominicain Giuseppe Zoppi
qui croit à une prochaine restauration mondiale des juifs.
- En Allemagne, à la
même époque, une mystique protestante, Marie Kummer, dit avoir reçu une vision
de St Jean et elle annonce l’imminent retour des juifs en Terre sainte. Autour
d’elle se constitue un groupe prêt à partir.
- En Angleterre, des
écrits du même style circulent.
Le révérend Joseph
Priestley, dans une « lettre aux descendants d’Abraham, d’Isaac et de
Jacob »,
exprime « l’espoir que Dieu va réunir
les juifs, les ramener en terre de Canaan et en faire la plus illustre des nations de la terre »
En 1784, un autre
théologien anglais, Edward Whitaker, publie sa Dissertation sur la restauration finale des
juifs. Il estime que la phrase de St Paul « Tout Israël sera
sauvé » signifie que cette restauration aura un
caractère national.
En 1795, Charles Jerram, un théologien anglican de Cambridge, commente
l’évangile de Luc : « il est
naturel d’imaginer qu’à cette période Jérusalem sera remise à
ses propriétaires d’origine. »
- Les espérances de
la restauration d’Israël et de la réappropriation d’Eretz Israël par les juifs se
manifestent clairement. On peut dire que le sionisme chrétien, à mi-chemin entre
les fondements spirituels et leurs conséquences politiques, a préparé et relayé
l’expression du sionisme juif qui allait suivre. Les juifs, majoritairement en
diaspora, ont pleinement conscience d’être exilés et ils espèrent le retour à
Sion ; à chaque fête de Pessah ils le proclament très clairement « l’an prochain à Jérusalem ! ».
Certains attendent ce retour avec l’arrivée du Messie, d’autres pensent qu’il
faut prendre les devants. Déjà au 12ème et 13ème siècle,
Ramban (Rabbi Moshe ben Nachman)
avait affirmé que résider en Eretz Israël était
bel et bien une mitzva.
Mais une majorité de juifs d’alors estimait cependant que seul le Messie
permettrait de mettre fin à l’exil. On retrouvera les mêmes clivages et le même
dilemme lors de la fondation de l’Israël-nation moderne.
- Au 19ème siècle,
en France, on retrouve d’intéressantes affirmations du retour des juifs à
Jérusalem, avec des personnes comme l’abbé Jean-Baptiste Bigou,
le père dominicain Antoine Gallois qui exprime ses idées sionistes dans la très
académique Revue Biblique,
l’abbé Pierre Lachèze du diocèse de Paris qui
entrevoit même pour bientôt la reconstruction du Temple.
- En Angleterre,
même discours chez John Hopper, prêtre anglican, Pierre Mejanel,
Alexandre Keith, pasteur écossais. William Dighby
voit comme imminent, dit-il, « le
retour des juifs, ces rois de l’orient, dans leur patrie palestinienne ». Pour John
Aquila Brown, le triomphe du royaume juif est pour bientôt.
Le prêtre catholique
anglais Daniel Wilson futur évêque de Calcutta, annonce en même temps la chute de l’empire ottoman et le
rétablissement des juifs en terre sainte.
- Dans les années
1800, en Amérique, un pasteur presbytérien, David Austin, est tellement
persuadé que ces événements sont imminents qu’il construit des maisons pour que
les juifs puissent y préparer leur voyage de retour en terre sainte. En 1878 à
Chicago, l’évêque épiscopalien William Rufus Nicholson présente un rapport sur
le rassemblement d’Israël.
Mêmes idées chez des
religieux catholiques autrichiens, allemands, italiens : exemple, le chanoine
sicilien Antonio Castiglione, et en Suisse, l’aumônier de
l’hôpital de Genève l’abbé Pierre Moglia ; chez les
protestants, c’est Emile Guère et le pasteur François Gaussen qui attendent la
libération d’Israël.
Le Times publie un grand article qui propose d’aller installer le
peuple juif dans le pays de ses pères
- En 1804, l’évêque
anglican de Rochester, Thomas Whiterby, interpelle
ses concitoyens :
« Quels Anglais ne souhaiteraient
que les Iles britanniques aient le grand honneur de contribuer au bonheur et à
la prospérité d’Israël ? »
Le Times publie un grand article
qui propose ni plus ni moins le projet d’aller installer le peuple juif dans le pays de ses pères.
Quelques jours
auparavant, le chef de la diplomatie britannique Lord Palmerston avait donné à
son ambassadeur à Constantinople, des indications directement inspirées d’une
recommandation officielle écrite par lui à la reine Victoria, un an plus tôt : « Que
votre règne, Majesté, voie s’accomplir la prophétie, selon l’espoir de ce peuple
unique ; Juda sera sauvé et Israël demeurera en paix ».
Une des plus grandes
figures de l’anglicanisme, Lord Anthony Ashley Cooper écrit lors de l’ouverture
d’un consulat britannique à Jérusalem : « l’ancienne ville du peuple de Dieu reprend
sa place parmi les nations, et l’Angleterre est le premier royaume des Gentils
à cesser de la fouler aux pieds ».
- En 1844 est créée
à Londres la British Society for promoting of the jewish Nation of Palestine. Un
de ses dirigeants, le pasteur Crybbace, espérait même
obtenir de la Turquie tout le territoire de l’Euphrate jusqu’au Nil et de la
Méditerranée au désert…
Renouveau évangélique
C’est alors en
Angleterre l’époque du renouveau évangélique. En 1830 John Nelson Darby,
spécialiste renommé de la Bible, développe sa pensée religieuse où il donne une
place importante au retour du
peuple juif en terre d’Israël. Tout un courant évangélique de réveil va
entraîner dans le même sens les baptistes, les méthodistes, les adventistes et
les mormons, mais sur une base de lecture biblique souvent assez littéraliste.
En 1878, les chrétiens sionistes se
manifestent aux Etats Unis : un livre de William Blackstone est publié « Jésus revient ». C’est un succès traduit en 40 langues, il popularise le rôle
positif que les juifs doivent jouer à la fin des temps. L’auteur présente au
président américain une pétition signée par plus de 400 dirigeants chrétiens
demandant que les Etats-Unis d’Amérique assurent le retour des juifs en
Palestine. Il estime que le retour des juifs et la restauration d’Israël sont
prévus depuis le premier concile apostolique de Jérusalem, et il fait le
reproche amer aux juifs réformés de renoncer à tort au « pays de leurs ancêtres » parce
que, dit-il, » ils
préfèrent le confort et les
richesses accumulées en Europe et aux Etats Unis. »
Certains chrétiens
américains, persuadés que le temps de Sion est arrivé, vont en Terre promise,
et 21 presbytériens de Chicago fondent sur place la colonie américaine de
Jérusalem ; ce sont eux qui introduisent l’eucalyptus dans le pays. Laurence
Oliphant, ancien député britannique, journaliste, parcourt le pays après avoir
participé à la conférence des Hoveveï Tsion (amants de Sion) en Roumanie. Il cherche
à persuader le sultan d’accorder des terres aux juifs. Il publie « le
pays de Gilead ».
C’est alors que le
Genevois Henri Dunant, initiateur de la Convention de Genève et fondateur de la
Croix Rouge, sioniste convaincu en raison de sa foi chrétienne, constitue
la Société Nationale Universelle
pour le renouvellement de
l’Orient. Henri Dunant ne se contente pas d’un engagement humanitaire,
il désire spirituellement voir la renaissance concrète et historique d’Israël.
Cette fondation lance un appel en 1866 pour que les colonies juives de
repeuplement bénéficient d’un statut de neutralité comme la Suisse. Dunant
essaye d’intéresser l’empereur Napoléon III à ce projet. Il voit même Jérusalem
comme centre mondial des religions, et – bien que protestant – y envisage la
résidence du pape. Henri Dunant participe au premier Congrès sioniste à Bâle
(Suisse) en 1897, aux côtés de Theodor Herzl.
C’est ce climat
effervescent et empathique chez certains chrétiens influents que rencontre le
même Theodore Herzl lorsqu’il commence sa campagne en faveur de la création
d’un Etat juif dans le cadre des Etats-nations modernes.
En Belgique, une
famille catholique, les Vercruysse de Courtrai,
bénéficie d’un statut social et d’un niveau de culture qui lui donnent des moyens importants. Les Vercruysse
éditent en 1860 un opuscule intitulé « La régénération du monde
(ouvrage dédié aux 12 tribus d’Israël) ». Cette réflexion rencontre l’opposition du clergé
local mais l’approbation de Rome ! Ils sont persuadés, en s’appuyant sur
la Bible, que le retour des juifs en Palestine est proche. La conclusion de
cette brochure catholique est celle-ci :« il est
donc clair que la Terre sainte sera rendue un jour aux Israélites pour s’y
reconstituer en nation, et que cette nation ne sera plus expulsée tant que la
terre existera. »
L’histoire s’écrit peut-être aussi avec des prises de position modestes de ce
genre, et par des appels prophétiques qui, peu à peu, balisent des voies
d’avenir.
Ce n’est pas un hasard si le chapelain de
l’ambassade de Grande Bretagne à Vienne, l’aumônier William Hechler,
s’adresse en ces termes au Grand Duc de Bade Frederic : « Selon
la Bible, les juifs doivent retourner en Palestine. Par conséquent, je viens en
aide à ce mouvement en tant que chrétien pleinement convaincu de la vérité de
la Bible. Cette cause est la cause de Dieu. »
Or le même Hechler se retrouve avec Henri Dunant aux côtés de Herzl au
1er congrès sioniste à Bâle. Y participe également le pasteur
luthérien Johann Lepsius, grand défenseur des Arméniens, et persécuté par les
autorités allemandes alliées aux Ottomans. Ce pasteur présente un rapport
intitulé : « Arméniens et juifs en exil, ou l’avenir de l’Orient,
compte tenu de la question arménienne et du mouvement sioniste ».
Montée de l’antisémitisme européen
C’est dans ce
contexte belliqueux que la situation des juifs s’aggrave rapidement en Europe
centrale et orientale. En 1882 à Dresde a lieu le 1er congrès antisémite.
Le terme même « antisemitismus » est créé
par le journaliste W. Marr (il est clair que ce terme
ne désigne que les juifs et eux seuls).
Les pogroms de
Russie et de Roumanie incitent les juifs à émigrer en Amérique et en Europe
occidentale, mais aussi vers la Palestine. Sur place, l’hostilité des
populations arabes tout juste arrivées de Syrie et du Liban pour s’installer se
manifeste envers les familles juives qui retournent sur la terre de leurs
ancêtres et s’installent dans des localités aux noms purement hébraïques.
L’Empire ottoman est
allié de l’Allemagne, et quand la guerre éclate en 1914, le sultan déclare
le djihad aux
puissances alliées. C’est dans ce contexte que la Terre sainte est prise en
tenailles entre forces britanniques et armées ottomanes soutenues par les
Allemands. Aux côtés des alliés lutte la Légion juive, première unité nationale
reconstituée depuis Bar Kokhba au 2ème siècle
!
A ce moment-là, la
Grande Bretagne prend l’engagement d’aider à la création du Foyer National
juif en Palestine. C’est la Déclaration Balfour. (2 novembre 1917).
Voici ce que déclare le premier président de l’Etat d’Israël Haïm Weizmann : « Les hommes comme Balfour,
Churchill, Lloyd George, étaient profondément religieux ; ils croyaient en la
Bible. Pour eux, le retour du peuple juif en Palestine était une réalité de
sorte que les sionistes représentaient pour eux une grande tradition pour
laquelle ils avaient beaucoup de respect. »
Il est vrai que
Balfour s’est intéressé au sort des juifs longtemps avant de devenir un homme
d’Etat, il y avait été préparé par l’ambiance de son église. Idem pour le
président américain Woodrow Wilson, fils de pasteur
presbytérien ; c’est sous son impulsion que l’Amérique a appuyé dès le départ
la déclaration Balfour.
D’où cette
affirmation qui résume assez bien la situation de l’époque. C’est le Révérend
Norman Maclean qui parle : « Le sionisme réclame de nombreux juifs
nobles comme organisateurs. Mais peu nombreux sont ceux qui réalisent que les
trois hommes qui rendirent possible cette politique étaient chrétiens : un
presbytérien américain, un presbytérien écossais, et un
baptiste gallois (Wilson, Balfour,
et Lloyd George). Ce sont eux qui firent entrer cette politique dans les
conseils de gouvernements qui contrôlaient la moitié du monde. »
Cercles judéophiles
La renaissance de l’Etat d’Israël décidée par les Nations Unies le 29
novembre 1947 est de loin le plus important événement biblique du 20ème siècle.
- Après le travail
de dialogue mené par la congrégation de Notre Dame de Sion, des frères
Ratisbonne, (juifs alsaciens convertis au catholicisme) a lieu à Rome en 1926
le lancement d’une association catholique des amis d’Israël, fondée par le
général des chanoines de Sainte Croix et Francisca
van Leer. Cette association compte bientôt dans ses
rangs 19 cardinaux, 278 évêques et 3000 prêtres du monde entier. Son programme
est de s’attaquer à l’antisémitisme. Que les chrétiens ne parlent pas de
« peuple déicide », de conversion des juifs, mais qu’on enseigne
l’amour de Dieu pour son peuple Israël. Il y a aussi l’initiative de Franz Rödel, créateur de « l’Institutum judaeologicum catholicum » en 1922 pour lutter contre
l’antisémitisme en Allemagne. Il a adressé au pape un mémorandum qui a été
repris comme contribution lors du concile Vatican II avec sa déclaration Nostra Aetate (cinquantenaire en
2015).
- A part la Grande
Bretagne, c’est, en fait, surtout aux Etats Unis que se manifeste le plus de
soutien à l’égard du sionisme ; en 1931 est créé l’American Palestine Committee, en
1942 le Christian Council on Palestine et ces 2 organes
fusionnent en 1946 pour donner un American
Christian Palestine Committee dans les
rangs duquel on dénombre 20’000 ministres du culte chrétiens. Ses membres
saluent avec enthousiasme la création de l’Etat d’Israël.
- En France, Paul
Claudel s’exprime sur la (re)naissance
de l’Etat d’Israël en termes personnels; il écrit : « Israël est rentré, et a repris sa place au foyer
paternel, l’anneau a été remis à son doigt, il a repris son droit de Fils aîné.
Il est rentré et il n’y aura plus besoin qu’il sorte. Maintenant qu’Israël a réintégré
le centre, il est impossible qu’il n’arrive pas quelque chose à la
périphérie. »
- Jacques Maritain
écrit de son côté :
« La diaspora ne cessera jamais jusqu’à la grande réintégration.
Mais l’ébauche d’un nouveau centre existe maintenant, l’Etat d’Israël, état
temporel qui a pourtant une fonction spirituelle à exercer »
Maritain rappelle
avec force le droit d’Israël à sa terre : « ce que Dieu a donné une
fois est donné pour toujours. Ce don de la terre de Canaan aux tribus d’Israël
est matière de foi pour les chrétiens comme pour les juifs ! »
- Il y a de forts
soutiens à l’Etat d’Israël dans les opinions chrétiennes occidentales, plus
spécialement chez les évangéliques. Billy Graham déclare : « la renaissance de
l’Etat d’Israël décidée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 est de loin
le plus important événement biblique du 20èmesiècle ! »
Sur le terrain de ce
qui va se jouer au Proche-Orient, voici ce qu’écrit en 1947 à l’ONU
l’archevêque catholique de Beyrouth, Ignace Moubarak, Libanais maronite,
après deux décennies de troubles sanglants entre juifs et arabes en Palestine :
« Les lieux saints, les temples, le mur des lamentations, les églises
et les tombes des prophètes et des saints, en un mot tous les souvenirs des
deux religions sont des symboles vivants qui infirment à eux seuls ceux qui ont
intérêt à faire de la Palestine un pays arabe. Historiquement, il est
indéniable que la Palestine a été la patrie des juifs et des premiers
chrétiens. Aucun d’eux n’était d’origine arabe ; la force brutale de la
conquête en a réduit et astreint à se convertir à la religion musulmane. Voilà
l’origine des Arabes dans ce pays. Peut-on déduire de là que la Palestine est
arabe ou qu’elle fut toujours arabe ? Les vestiges historiques, les monuments, les souvenirs sacrés des deux
religions demeurent là vivants pour attester que ce pays a vécu en dehors des
guerres intestines arabes que se livraient les princes et monarques d’Irak et
d’Arabie. Les lieux saints, les temples, le mur des lamentations, les églises
et les tombes des prophètes et des saints, en un mot tous les souvenirs des
deux religions sont des symboles vivants qui infirment à eux seuls ceux qui ont
intérêt à faire de la Palestine un pays arabe. Englober la Palestine et le
Liban dans le cadre des pays arabes, c’est renier l’histoire et détruire l’équilibre
social du Proche Orient ! Ces
deux pays, ces deux foyers prouvent jusqu’à aujourd’hui l’utilité et la
nécessité de leur existence comme entités indépendantes. Des raisons majeures, sociales, humaines et
religieuses exigent qu’il soit créé dans ces deux pays deux foyers pour
minorités : foyer chrétien au Liban, foyer juif en Palestine, ainsi qu’il a
toujours été… Le Liban réclame
la liberté pour les juifs en Palestine, comme il souhaite sa propre liberté et
indépendance…./… »
Ambassade chrétienne internationale
Née en 1980 pour protester contre le fait que de nombreux Etats
refusent de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem,,
il y a l’Initiative plus
récente, l’Ambassade chrétienne internationale à Jérusalem.
Ce groupement
évangélique, dirigé par Johann Luckhoff et Jan Willem
van der Hoeven, est né en 1980 pour protester contre
le fait que de nombreux Etats refusent de transférer leur ambassade de Tel-Aviv
à Jérusalem. Le mouvement a inauguré en 1980 à Bâle le premier congrès chrétien sioniste
international. Et chaque année ses animateurs organisent un festival
religieux et culturel auquel assistent les plus hautes personnalités politiques
d’Israël. Cet organisme finance également par des dons (surtout américains) des
aides à l’alyah et
à l’intégration de nouveaux immigrants juifs sur tout le territoire d’Israël.
Pour mémoire
En guise de
conclusion de ce parcours historique, il serait bon de rappeler que des étapes
essentielles ont ouvert des voies depuis l’après-guerre, et sur la base de
formulations doctrinales renouvelées de la part des chrétiens, des liens plus
étroits se sont développés et renforcés entre chrétiens et juifs.
- Les 10 points de Seelisberg en 1948, qui ont directement préparé des prises
de position protestantes et catholiques majeures.
- Le concile Vatican
II, avec Nostra Aetate,
dans la ligne voulue par Jules Isaac et Jean XXIII, promulguée malgré les
pressions hostiles des patriarches arabes.
Puis, une succession
d’événements, côté catholique, sous le pontificat de Jean Paul II, citons-en quelques-uns
:
- Le rappel à
Mayence en 1980 que l’alliance de Dieu avec son peuple Israël n’a jamais
été révoquée ni remplacée.
- La publication en
1985 de notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme
dans la prédication et la catéchèse catholiques.
- L’affirmation lors
de sa visite à la synagogue de Rome en 1886 que ²les juifs sont les frères
aînés des chrétiens, et que le lien entre judaïsme et christianisme
est intrinsèque.
- Le document la Shoah, nous nous souvenons, en
1998, qui reconnaît, malgré ses insuffisances, une responsabilité chrétienne
historique dans les malheurs des juifs.
- Le pèlerinage du
jubilé à Jérusalem en 2000, où JP II s’est recueilli devant le Kotel et à Yad Vashem.
Charta œcumenica
Conclusion
œcuménique, un document significatif d’un nouvel état d’esprit est signé à
Strasbourg en 2001, par les représentants catholiques, protestants et
orthodoxes des Eglises européennes : charta oecumenica.
Ce document comporte
un § 10 qui recommande à tous les chrétiens « d’approfondir
la communion avec le judaïsme« , c’est
à dire de faire apparaître partout où c’est possible le lien profond entre
christianisme et judaïsme, ce qui suppose une lutte permanente contre
l’antisémitisme, et un dialogue constructif judéo-chrétien toujours plus engagé
et plus intense.
A la suite du pape
Jean Paul II, Benoît XVI a poursuivi sur la même lancée et son successeur
François également. Sa déclaration de fin 2015 contre l’antisionisme fera
l’objet d’un prochain article.