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IRAK, INDE ET PALESTINE
Par Bernard Lewis, professeur emeritus de l'Université de Princeton, auteur de nombreux ouvrages sur le monde arabe, dont le dernier aux éditions d'Oxford "de Babel à Dragomans, interpréter le Moyen Orient"
Article paru dans le Wall Street Journal du 12 mai 2004
Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued
Les Etat-Unis se sont tournés vers les Nations-Unies pour demander leur aide. Cette nouvelle attitude mène à se poser deux questions, l'une liée aux apparences des événements, l'autre à leur substance.
Il ne fait aucun doute que dans le contexte de ce qui s'est passé à Falluja, cet appel sera perçu dans de nombreux milieux au Moyen Orient et ailleurs, comme le fruit de la peur et une fuite, ou comme le début d'une débâcle, en d'autres termes. Il est maintenant clair que ce qui s'est passé en mars à Falluja était une opération planifiée soigneusement et ressemblant à une autre opération survenue en Somalie en octobre 1993. Des soldats américains y ont été saisis, lynchés, démembrés et traînés à travers les rues. Le même but était visé, le départ précipité des Américains! L'idée que ceux-ci sont "dégénérés, mous et choyés" est un thème récurrent et majeur des terroristes islamiques, thème qui peut se résumer en "frappe-les et ils détaleront". Ce thème a été étouffé par les campagnes d'Afghanistan et d'Irak, mais il resurgit devant ce qui a été perçu par l'ennemi comme des hésitations et des indécisions.
Le recours à l'Onu sera perçu, ou du moins présenté comme la matérialisation de cette thèse. Et on peut craindre qu'il ne soit le point de départ d'une nouvelle vague de terreur contre notre pays, au delà de l'Irak.
Il faut se rappeler la décision de l'ancien premier ministre israélien Ehoud Barak de se retirer du Sud Liban, décision peut-être judicieuse mais tardive. La manière de se retirer a été désastreuse et elle a mené directement à la guerre d'usure actuelle (intifada menée par les Palestiniens à l'instigation du Hezbolah). Je me souviens d'une conversation que j'ai eu dans un pays arabe à cette époque où on m'a dit d'une manière triomphale, "les Israéliens sont devenus mous et choyés, comme leurs patrons américains; nos frères Libanais nous montrent la voie". Même si cela ne correspond pas à la réalité, les apparences sont néanmoins fortes et ne sont pas trompeuses; elles peuvent aussi parfois s'accomplir d'elles-mêmes.
Le second sujet est lié à la substance des événements. Il faut se rendre à l'évidence que les résultats de l'Onu dans la résolution des conflits n'ont rien d'encourageant, ni en impartialité ni en efficacité. Les performances en matière des droits de l'homme sont encore pire. On ne peut être surpris, puisque les membres de la Commission de l'ONU
des droits de l'homme sont des pays comme Cuba, le Soudan, le Zimbabwe, l'Afrique du Sud… En traitant les conflits, l'Onu semble vouloir les pérenniser au lieu de les résoudre, comme l'a remarqué un observateur européen.
Je voudrais apporter une illustration à mes propos. En 1947, l'Empire Britannique en Inde a été partagé en deux états, l'Inde et le Pakistan. Il y eut un conflit militaire très amer. En dépit de cette confrontation, les deux pays ont réussi à trouver un terrain d'entente et des millions de réfugiés ont été réinstallés. Aucune puissance, ni organisation ne s'en est mêlée. L'année suivante, en 1948, le territoire du mandat britannique en Palestine a été partagé, et, en superficie et en nombre d'individus, c'était une pacotille eu égard au sous-continent indien. Or le conflit israélo-arabe demeure à ce jour, et les 750 000 réfugiés arabes, avec leurs millions de descendants sont toujours des réfugiés, maintenus dans des camps, encadrés par des milliers de fonctionnaires de l'Onu (Unrwa). En dehors de la Jordanie, aucun pays arabe n'a accepté de leur accorder la citoyenneté, ni à leurs descendants nés dans le pays. Ils n'ont même pas le titre de résident étranger, depuis bientôt soixante ans…Toute cette opération est pérennisée par des effectifs massifs de fonctionnaires onusiens, certains d'entre eux ayant même fait toute leur carrière, sur le dos de ces malheureux réfugiés.
Tout progrès réalisé dans le conflit israélo-arabe a été fait en dehors des instances de l'Onu, comme la réinstallation des 950 000 réfugiés juifs des pays arabes en Israël ou en Europe ou aux Etats-Unis, ou les traités de paix signés avec l'Egypte et la Jordanie.
On frémit à l'idée du sort qu'aurait subi le sous-continent indien, si l'Onu s'était mêlée se son partage!
La question de la substance est bien sûre bien plus importante que les apparences sur le long terme. Les apparences des événements ont un effet immédiat, mais aussi des conséquences à long terme.
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