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DIALOGUE DE SOURDS

 

Par Judea Pearl, présidente de la Fondation Daniel Pearl, organisation qui développe la compréhension entre les cultures, mère de Daniel Pearl reporter du Wall Street Journal assassiné au Pakistan en 2002 par Al Qaeda.

Article paru dans le Jerusalem Post International du 17/23 juin 2005.

Traduit par Albert Soued www.chez.com/soued , pour www.nuitdorient.com

 

Il semblait que l'ère de la terreur avait germé en une ère de dialogue. Toute une série de conférences ayant pour but de rapprocher l'Est et l'Ouest a surgi.

On a eu le Forum économique mondial en Jordanie qui a suivi la fameuse conférence de Davos sur le Moyen Orient. Quelques semaines auparavant, j'ai eu l'occasion de participer à un forum de haut niveau à Doha, Qatar, le "US-Islam World Forum". Sont venus à cette conférence de nombreux experts modérés comme des activistes de tout bord qui ont discuté ensemble avec zèle des besoins et des moyens pour parvenir à la démocratie, aux réformes et à la renaissance du monde musulman. Et comme je m'y attendais, il y avait à peine un orateur qui n'ait pas insisté sur l'importance primordiale de voir des progrès accomplis dans la solution du conflit israélo-palestinien.

L'émir du Qatar, Sheikh Khalifa al Thani a lancé la discussion en précisant que les guerres dans le monde arabo-islamique devaient cesser si on voulait obtenir des résultats sur le front des réformes et du progrès. Il a été suivi par Mohamed Dahlan, le ministre des Affaires Civiles de l'Autorité Palestinienne qui a demandé à l'Amérique et aux pays islamiques de faire pression sur le premier ministre Ariel Sharon afin que celui-ci cesse ses tactiques dilatoires (selon Dahlan). En effet chaque orateur a clos son discours par l'argument que la crédibilité américaine était liée à la solution du problème palestinien.

Le rédacteur en chef du Daily Star de Beyrouth, Rami Khoury, résume ces sentiments en remarquant que "La démocratie est essentielle, mais elle est incomplète sans une totale souveraineté et ne peut être promue sérieusement sous occupation étrangère. Dans cet esprit, il est vital de résoudre le problème palestinien pour avancer dans la voie des réformes démocratiques…" (1)

Étant sensible à ce sujet, j'étais profondément impressionnée par la courtoisie avec laquelle ce sujet a été abordé. Ainsi le mot "occupation" a été à peine prononcé et les termes accusateurs habituels tels que "brutal", raciste" et "apartheid" étaient heureusement absents du discours principal.

Cette réunion faisait contraste avec une autre conférence qui avait lieu plus tôt ce même mois à Putrajaya, Malaisie où le premier ministre Malais avait affirmé qu'Israël devrait cesser d'être "un état exclusivement juif et raciste" et où la délégation israélienne de gauche a été snobée parce qu'elle était trop concernée "par les besoins et les vœux d'un Israël raciste". La grande majorité des participants à cet événement ont affirmé qu'Israël avait été fondé sur les piliers de l'injustice et que ce pays devait être dissout, pacifiquement, bien sûr!

 

Séduite par l'aura de politesse de Doha, j'étais curieuse de savoir à quoi pensaient réellement les participants quand ils parlaient de progrès dans le conflit israélo-palestinien. Au fond de mon cœur, j'espérais trouver des gens pouvant s'accommoder de la solution des "2 états" et de la Feuille de Route qui y mènerait. Car je pensais aussi que si ce n'était pas le cas, on serait de nouveau dans la mélasse. Les Musulmans nourrissent peut-être un rêve utopique que les Etats-Unis ne peuvent exaucer et tôt ou tard tout le processus du dialogue, toute la bonne volonté et les réformes qui en dépendent éclateraient dans la même explosion que celle qui a consumé le processus d'Oslo.

 

Je n'étais pas la seule américaine à en être inquiète. Notre ex-ambassadeur à l'Onu Richard Holbrooke, qui était dans le même groupe que M Dahlan, a expliqué que le monde arabe devait donner sa part dans le processus de paix. Il a rappelé à l'auditoire qu'il y avait maintenant 2,5 générations d'Arabes qui ont été élevés avec des manuels scolaires ne montrant l'existence de l'état d'Israël sur aucune carte et que ce dénigrement continu de principe empêchait toute issue pacifique du conflit. J'ai eu une conversation amicale sur ce sujet avec l'un des adjoints de M Dahlan qui s'est confié: "Nous autres Palestiniens, nous ne croyons pas dans la solution des deux états, car nous ne pouvons accepter un "état juif". Le judaïsme est une religion et les religions n'ont pas d'état". Quand je lui ai expliqué que la société israélienne était à 70%laïque, liée à la terre par l'histoire et non par la religion et que par "état juif" les Israéliens veulent dire "état-nation juive" (faute d'un meilleur terme), il m'a répondu "De toutes manières la Palestine ne peut contenir 2 états"…!

J'étais quelque peu déçue, du fait que l'Autorité palestinIenne avait officiellement approuvé la Feuille de Route. Je me suis dit "feuille de route menant à quoi? Un Moyen Orient sans Israël". Où est la volonté de réforme et de libéralisme chez les dirigeants palestiniens post-Arafat, où est l'esprit de flexibilité et de compromis tant attendu ?

J'ai confié ma déception à un intellectuel égyptien connu pour son esprit libéral dans le monde arabe. Sa réponse fut encore plus abrupte: "Les Juifs devraient se construire un Vatican, un centre spirituel quelque part près de Jérusalem, car il n'y a pas place pour un état Juif en Palestine, même pas un état national-juif. Les Juifs ont été expulsés de leur terre il y a 2000 ans, point final, de même que les Maures ont été expulsés d'Espagne il y a 500 ans!"

Ce point de vue des élites musulmanes peut être aperçu aussi même à l'Université de Californie à Irvine, où l'Union des étudiants musulmans a organisé une réunion intitulée "Un monde sans Israël" – aussi sec!

De même en mai, nous avons eu une confession radiophonique haute en couleur d'un rédacteur du journal égyptien "Al A'rabi", Abd al H'alim Qandil: "Ceux qui ont signé l'accord de Camp David…peuvent simplement pisser dessus et boire leur propre urine, parce que le peuple égyptien ne reconnaîtra jamais la légitimité de l'entité israélienne". Cette affirmation crue donne à réfléchir et me rappelle qu'en 2005, je ne peux encore nommer aucun dirigeant, journaliste ou intellectuel musulman qui ait publiquement déclaré que le conflit israélo-palestinien est un conflit entre 2 mouvements nationaux légitimes.

Un côté rêve d'un monde sans Israël et un autre voit Israël comme un partenaire important dans le développement économique et la démocratisation de la région. Est-ce que cette antinomie d'attentes éclatera dans un autre bain de sang?

Je m'adresse avec tout mon cœur à tous les Européens et Américains qui croient avoir trouvé une étincelle de souplesse dans le camp musulman progressiste à propos de la légitimité de l'existence de l'état d'Israël. Mais depuis le temps qu'on cherche à construire des ponts avec le monde musulman, on peut se demander si cet excès de bonne volonté ne devrait pas d'abord être exploité pour parvenir à définir des objectifs communs de base et pour les promouvoir par des campagnes d'information. Car jusqu'ici on n'a fait que dissimuler adroitement des abîmes d'incompréhension fondamentale (entre l'Occident et l'Orient sur la question du conflit israélo-arabe). Si on ne résout pas ces différences peu confortables, on est alors sur la voie de les payer plus cher demain.

 

Note de la traduction

(1) Cette affirmation ne paraît pas être confirmée par l'histoire. Deux exemples récents viennent à l'esprit: l'Egypte et l'Algérie où régnait quelque peu la démocratie "sous occupation étrangère" (l'Angleterre pour l'Egypte avant les années 50 et la France pour l'Algérie avant les années 60) sont devenues des dictatures après le départ des "étrangers".

 

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