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SOUTENIR LES
MUSULMANS MODERES
Par Daniel Pipes- New York Sun
- 17 avril 2007
Version originale anglaise: Bolstering Moderate Muslims
Adaptation
française: Alain Jean-Mairet
Lorsque je
suggère que l'Islam radical est le problème et l'Islam modéré est la solution,
la réplique presque inévitable est: "Quels Musulmans modérés?"
«Où sont les
manifestations anti-islamistes contre le terrorisme?» me demande-t-on. «Que font-ils
pour combattre les islamistes? Où en sont leurs révisions de la loi islamique?»
À quoi je réponds que les Musulmans
modérés existent bel et bien. Certes, ils ne constituent qu'un minuscule
mouvement, comparé à l'assaut islamiste. Et cela signifie que le gouvernement
des États-Unis et d'autres grandes institutions devraient prioriser les efforts
visant à localiser, rencontrer, financer, promouvoir, encourager et féliciter
ces Musulmans courageux qui prennent des risques personnels pour affronter les
totalitaristes.
Une étude qui
vient d'être publiée par RAND Corporation, Building
Moderate Muslim Networks (Établir des réseaux de Musulmans modérés),
entame cette tâche méthodiquement en y consacrant une vaste réflexion. Angel
Rabasa, Cheryl Benard, Lowell H. Schwartz et Peter Sickle s'attaquent avec
intelligence au problème novateur de l'aide qui permettrait aux Musulmans
modérés de croître et de prospérer.
Ils commencent
par l'argument selon lequel «les raisons structurelles jouent un rôle majeur»
dans l'essor des interprétations radicales et dogmatiques de l'Islam ces
dernières années – l'une des raisons étant la générosité avec laquelle les
Saoudiens ont financé l'exportation de la version wahhabite de l'Islam au cours
des dernières décennies. Les efforts saoudiens ont favorisé «la progression de
l'extrémisme religieux dans l'ensemble du monde musulman», permettant aux
islamistes de développer de puissants réseaux intellectuels, politiques et
autres. «Cette asymétrie dans l'organisation et les ressources explique
pourquoi les radicaux, en fait une petite minorité dans presque tous les pays
musulmans, ont une influence sans commune mesure avec leur effectif réel.»
L'étude attribue
ici un rôle clé aux pays occidentaux: «Les modérés ne pourront pas contrer
efficacement les radicaux avant que le décor ait été planté, ce à quoi
l'Occident peut contribuer en favorisant la création de réseaux de Musulmans
modérés.»
Si cela rappelle
quelque chose, c'est peut-être à cause d'un scénario similaire de la fin des
années 1940, à l'époque où les organisations soutenues par l'Union soviétique
menaçaient l'Europe. Les quatre auteurs fournissent un condensé historique
utile de la formation de réseaux américains dans les premières années de la
guerre froide, en partie pour montrer qu'un tel effort peut réussir contre un
ennemi totalitariste et en partie pour suggérer des solutions aux problèmes
actuels (un exemple: «Le coup le plus efficace contre le Kremlin est un crochet
du gauche» – pour suggérer que les Musulmans sont le mieux à même de porter
atteinte aux islamistes).
Les auteurs
passent en revue les efforts américains contre l'islamisme et les trouvent
défaillants, tout au moins en ce qui concerne l'encouragement des modérés. Ils
estiment que Washington «n'a pas une vision cohérente de la nature des modérés,
des chances d'établir des réseaux entre eux et de la manière de construire ces
réseaux».
Cela n'est que
trop vrai. Le gouvernement américain affiche un parcours désastreux à cet
égard, avec une embarrassante succession de doubles illusions – soit en prenant
des islamistes pour des modérés, soit en espérant les rallier. Des
personnalités du gouvernement telles que le directeur du FBI Robert Mueller, la sous-secrétaire d'état aux relations diplomatiques Karen
Hughes et le président de la Fondation nationale pour la démocratie Carl
Gershman s'obstinent à frayer avec l'ennemi.
L'étude de RAND
propose plutôt quatre partenaires: les laïques,
les Musulmans libéraux, les traditionnalistes modérés et quelques soufis.
Elle met surtout l'accent sur «le réseau transnational émergeant de
personnalités, de groupes et de mouvements laïcistes et sécularistes» et
appelle à juste titre à une collaboration accrue avec ces amis négligés.
En revanche,
l'étude suggère de relâcher l'attention sur le Moyen-Orient, et particulièrement
le monde arabe. Estimant que cette zone «offre un terrain moins propice à la
formation de réseaux et d'institutions de modérés que d'autres régions du monde
musulman», elle souhaite que les gouvernements
occidentaux se concentrent sur les Musulmans d'Asie du sud-est, des
Balkans et de la diaspora en Occident,
puis de les aider à diffuser leurs idées en
langue arabe. Ce nouveau stratagème défie un phénomène séculaire
voulant qu'en ce domaine, l'influence émane du Moyen-Orient, mais l'expérience
vaut bien la peine d'être tentée.
Cette étude
généralement raisonnable de RAND baisse parfois sa garde. Ainsi, il est
consternant de voir le quartet s'abstenir de condamner le dialogue de
Washington avec des islamistes légaux alors même qu'il approuve prudemment les
gouvernements européens qui traitent certains islamistes comme des partenaires.
Les auteurs se fourvoient en qualifiant le mouvement basé aux États-Unis
«Progressive Muslim Union» de promoteur de l'Islam laïque, alors qu'il s'agit
en fait d'une organisation
islamiste qui adopte un ton plus leste (aucuns autres islamistes n'avaient
osé présenter un thème intitulé «Le sexe et la Oumma»).
Building
Moderate Muslim Networks
n'est pas le fin mot sur le sujet, mais elle marque une étape majeure vers la
révision systématique de la mise en œuvre de la politique de Washington contre
l'islamisme. La richesse du contenu, l'analyse
claire et les recommandations audacieuses de l'étude font progresser le débat
en offrant justement la réflexion stratégique approfondie dont les Occidentaux
ont un urgent besoin.