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OUBLIER LE MOYEN-ORIENT
Propos de Edward
Luttwak rapportés par Al
Hayat
Traduction Courrier
InternationaI hebdo n° 865 - 31/5/07
Une
idée fait son chemin parmi les néoconservateurs américains : abandonner la
région à son sort, car elle ne représente pas une menace à l’échelle
planétaire.
L’intellectuel
et historien américain Edward Luttwak est un proche des néoconservateurs, même
s’il ne fait pas partie du noyau dur du mouvement. Ses prospectives sont
quelquefois surprenantes. Dans un article paru récemment, intitulé “The
Middle of Nowhere” (Le milieu de nulle part) par allusion au Middle East
(Moyen-Orient), Luttwak appelle à oublier le Moyen-Orient parce que, selon lui,
les “sociétés sous-développées doivent être laissées à elles-mêmes”.
Pour lui, l’appel à l’ingérence internationale pour trouver une solution au
conflit arabo-israélien n’est pas le bon choix. Quel danger, se demande
l’historien, pourraient courir le monde occidental et la sécurité
internationale si ce conflit se poursuivait alors qu’il n’a provoqué depuis son
déclenchement, en 1921, que 100 000 victimes, soit autant que le conflit au
Darfour en une seule saison ? Du point de vue stratégique, ce conflit est sans
incidence sur d’autres, comme ceux qui ensanglantent l’Algérie et l’Irak, ou
ceux qui opposent musulmans et hindous au Cachemire, ou musulmans et Russes en
Tchétchénie.
Quant à la fameuse “arme” que représenterait le pétrole, la seule fois où elle
a servi remonte à 1973. Depuis des décennies, on a cessé d’associer pétrole et
politique, tant la stratégie de l’embargo s’est révélée catastrophique pour
l’économie des pays producteurs. Les guerres du Golfe, ainsi que les deux
Intifada palestiniennes, n’ont eu aucun impact négatif sur l’Occident. Le
Moyen-Orient assure actuellement moins de 30 % de la production énergétique
mondiale au lieu d’environ 40 % en 1974-1975. En 2005, seulement 17 % des importations
américaines de pétrole provenaient du Golfe, contre 28 % en 1975, et ce
pourcentage est appelé à diminuer de trois quarts d’ici à 2025.
La puissance accumulée gêne plus qu’elle n’inquiète
Vient ensuite le “syndrome Mussolini”, l’illusion entretenue par l’Italie, à la
veille de la Seconde Guerre mondiale, d’être à la tête d’une impressionnante
armée, laquelle a surpris par sa médiocrité une fois la guerre déclarée. Ce
syndrome a été activé une première fois avec le président égyptien Nasser, dont
on avait surestimé l’armée avant qu’elle ne s’effondre lamentablement en 1967.
Le même scénario s’est reproduit, de façon plus dramatique encore, avec Saddam
Hussein. Ceux qui le remettent actuellement en œuvre en Iran perdent de vue le
fait que les sociétés sous-développées peuvent mener des insurrections
remarquables, mais sont incapables de produire des forces militaires modernes.
La plupart des navires de guerre de l’Iran datent de plus de trente ans, et ses
avions – majoritairement des F4, des Mirage ou des F5, ainsi que des F14 –
n’ont plus volé depuis des années faute de pièces de rechange. Par ailleurs,
qualifier d’“élite” la garde révolutionnaire iranienne n’est pas sans rappeler
les appellations élogieuses dont on gratifiait la garde républicaine irakienne.
Téhéran n’a mené qu’une seule guerre contre l’Irak, et l’a en définitive
perdue. Quant à la prétendue défaite qu’il aurait infligée à Israël via le
Hezbollah, le fait que le tiers des miliciens de ce parti aient péri durant les
combats ainsi que le silence total observé par l’Iran au sujet de ce conflit
discréditent totalement cette affirmation.
Pour ce qui est du terrorisme, Luttwak estime que l’Iran ne doit pas inquiéter
les Etats-Unis : les opérations terroristes dans lesquelles il était directement
impliqué se sont limitées à celle de Khobar, en Arabie Saoudite [2004], aux
deux attentats de Buenos Aires [1992 et 1994], ainsi qu’à quelques attentats en
Europe… Une menace somme toute dérisoire, au vu de celles que l’Union
soviétique et avant elle, le nazisme faisaient planer sur l’Occident. L’auteur
va plus loin en estimant que même un arsenal nucléaire iranien développé ne
saurait, en dépit de la panique qu’il provoquerait, affecter qualitativement
l’équilibre international. L’idée que la société iranienne soutient à
l’unanimité son programme nucléaire relève de la pure spéculation. Il suffit de
voir que l’ethnie perse ne représente que 51% de la population, le reste étant
composé d’Azéris, de Kurdes et d’Arabes dont la majorité contestent le régime
actuel.
La puissance dont dispose cette région gêne plus qu’elle n’inquiète. L’usage de
la force avec elle n’est pas de mise. Pour moult raisons culturelles,
religieuses et historiques, ses populations ne se soumettront pas en cas de
défaite. Pour des raisons similaires, une politique de modération avec les
Arabes n’est pas garante de leur ralliement aux Etats-Unis. Et Luttwak de
conclure qu’il faut laisser cette région tranquille, le temps qu’elle fasse la
paix avec elle-même et qu’elle cesse d’être prisonnière de son passé…