www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
Judaïques FM - EMISSION DU 9 OCTOBRE
2005 de Jean CORCOS
INVITE : M. ALBERT SOUED
Bonjour, amis
auditeurs et merci pour votre fidélité. Tout d’abord, en cette période de
fêtes, cette émission en direct se situant entre Roch Hachana et Yom Kippour,
je tiens à adresser tous mes vœux de bonheur et santé à notre auditoire de
la Communauté, vœux de bonnes fêtes de Tichri et, bien sûr et d’abord ?
vœux de Paix et de prospérité pour le peuple d’Israël. Merci donc de rester
fidèles à « Rencontre » pour la nouvelle année 5766, et de suivre
notre site WEB dont je rappelle l’adresse : www.rencontrejfm.blogspot.com.
Bonjour Albert Soued. Albert Soued, c’est un plaisir de vous recevoir sur
ce plateau, nous nous sommes finalement rencontrés il y a peu mais nos chemins
ne pouvaient que se croiser car nous avons beaucoup de points communs :
nous sommes tous les deux originaires d’un Pays arabe, vous êtes né en Egypte ;
nous avons tous les deux une formation d’ingénieur, vous êtes un ancien de
la prestigieuse Ecole Centrale de Paris ; et nous avons tous les deux
été atteints des mêmes virus, celui de l’amour du peuple juif, et en même
temps celui d’une intense curiosité pour le Monde musulman. Vous êtes en effet
le responsable du site www.nuitdorient.com,
un site que j’invite nos auditeurs à découvrir s’ils ne le connaissent pas
et qui est une véritable mine d’informations, classées par thème, avec à la
fois des articles de vous et de très nombreuses traductions que vous avez
faites de textes anglais écrits par des orientalistes réputés. Alors, soyons
francs pour nos auditeurs, si je partage certaines de vos analyses, je vous
trouve aussi et souvent pessimiste. Vous avez écrit un article très fort le
18 juillet dernier, au lendemain des attentats de Londres, et cet article
était intitulé « Que les musulmans modérés se manifestent », en
gros vous leur reprochiez leur silence. Nous allons donc débattre d’un sujet
simple : « que pensent les musulmans ? », et nous nous
appuierons sur des sondages d’opinions récents
JC.
Première question Albert Soued :
vous écrivez : « consciemment ou pas, depuis
la déposition du Sultan et Calife par Kemal Ataturk en 1923, les
arabo-musulmans cherchent par tous les moyens à reconstituer le Califat ou en
d’autres termes la nation mère, la « Oummah ». Et vous citez toutes
les tentatives avortées, le panarabisme de Nasser, les théocraties saoudiennes,
iraniennes, les talibans, Saddam Hussein, … Or en pratique : non
seulement, toutes ces tentatives ont échoué, piteusement ; mais en plus,
il y a eu un nombre plusieurs guerres affreuses entre musulmans, des guerres
entre Etats et des guerres civiles : est-ce que ce mythe de l’unité des
Musulmans correspond vraiment à un souhait sincère de la majorité d’entre
eux ?
AS. Je voudrais rappeler ici une image qui
m'avait frappée à l'époque: en Egypte, lors du procès
des assassins de Sadate, des Frères Musulmans, ceux-ci ont réussi à hisser sur
la cage où ils étaient enfermés une banderole, sur laquelle on pouvait lire
"le Califat ou la Mort!"
- Les gens
engagés ou endoctrinés ne sont pas les seuls à désirer un Califat: face à la mondialisation qui est aussi une
forme d'unification, les arabo-musulmans se trouvent en situation d'échec
socio-économique; d'où leur volonté de revanche, à travers un pouvoir politique
"unifiant", la "Oumah".
- L'unité
musulmane est en fait une utopie, car les nations conquises par les Arabes sont
très diverses, sur le plan ethnique ou culturel. Mais il reste cette nostalgie
du passé, celle du temps de la conquête du monde aux 7/8ème siècles.
- Jean vous
l'avez dit, les expériences vécues dans le passé ont été des échecs; l'unité
arabe du début n'a duré que peu de temps; puis il y eut des califats plus ou
moins grands, plus ou moins longs; le dernier, le califat ottoman s'est
effondré à l'issue de la 1ère guerre mondiale. Dans la 2ème
moitié du 20ème siècle, on a assisté à l'échec du panarabisme laïc
de Nasser, et même à celui des baathistes H'afez el Assad et Saddam Hussein.
Aujourd'hui les tentatives de faire revivre la nation de l'Islam sont du type
religieux: tentative sunnite de l'Arabie Saoudite, à travers son réseau mondial
d'écoles et de mosquées; tentative shiite de l'Iran, à travers l'arme
nucléaire, et toutes les deux, grâce à la manne pétrolière – Et puis vous avez
le "Ben Ladenisme" sauvage, qui vit par la terreur et profite de
l'Internet.
- Avec le
monothéisme salafiste ou wahabite de Ben Laden, il y a un véritable danger. Le
monde a découvert le vrai visage suranné et totalitaire de ce monothéisme, en
Afghanistan avec les talibans. Ces nouveaux Musulmans veulent mimer l'unité
d'en Haut en réalisant l'unité d'en Bas, "tout le monde à la même enseigne!".
De plus, selon leur lecture du Coran, ils confondent religion et état. L'Islam
d'aujourd'hui est fortement imprégné par l'Arabie, ou plutôt par une tribu
d'Arabie centrale, les Isn Saoud, du Najd.
- Et enfin il
faut savoir aussi que cette mentalité politique unitaire est véhiculée par
l'Islam arabe à travers 2 mots courants syassah et charia'h. "Politique en arabe se dit "syassah", qui
sous entend la maîtrise d'un cheval sauvage, l'idée d'un seigneur qui dompte
ses sujets. La loi coutumière qui s'impose est la "sharia'h", qui est
l'image d'un chemin qui mène au point d'eau, si rare dans le désert. S'écarter
de ce chemin, c'est se condamner à mourir de soif. Ces 2 mots résument le
régime politique arabe: pouvoir concentré autour du chef, entouré d'une élite
qui le choisit. Et il n'y a qu'une seule route à suivre, celle du
Coran".
JC.
Albert Soued, vous écrivez dans votre article : « nous sommes
abasourdis de ne pas voir de cortèges d’Arabes et de Musulmans, notamment ceux
qui vivent en Occident, protester contre les terroristes ». On peut
objecter plusieurs choses à ce reproche. En Occident, on ne peut pas dire non
plus que les foules aient manifesté en masse contre le terrorisme : après
les attentats de Madrid et quand on a su que c’était Al Kaïda, les Espagnols
ont plutôt manifesté pour quitter l’Irak, et à Londres, les foules ont scandé
des slogans pacifistes après les attentats. A Paris, le « Mouvement pour
la Paix et contre le Terrorisme » rassemble très peu de monde à chaque
commémoration du 11 septembre. Maintenant, en ce qui concerne les Musulmans de
France par exemple, la masse est très peu politisée : ils n’étaient que
quelques centaines à manifester lors de la visite d’Ariel Sharon à Paris. Qu’en
pensez-vous ?
AS. Je veux parler d'un mouvement de masse!
Et je ne suis pas le seul à le penser, puisque une
semaine après la parution de mon article sur les "modérés" qui ne se
manifestent pas contre la terreur, on a pu lire dans le Wall Street Journal,
Ahmed A'bdel Rah'im, professeur à l'université de Harvard, qui s'exclamait
"Pour quand une marche de 1 million de Musulmans ?"
On ne parle pas
de quelques milliers de personnes qu'on amène en autocar pour manifester, comme
je l'ai vu faire en Algérie, mais d'un mouvement de masse spontané.
En fait, nous
nous posons cette question: "La masse silencieuse musulmane est-elle
modérée ?" Ma réponse est la suivante: "Personne ne le sait et
les sondages ne peuvent l'appréhender, du fait de la mentalité particulière
concernée et du double langage".
Des modérés existent
bien sûr, des intellectuels, des journalistes, des religieux qui parviennent à
s'exprimer, surtout à l'étranger; mais, je dirais, presque aussi difficilement
que dans leur pays. Pourquoi ? Je ne cherche pas ici à leur trouver des
excuses, mais surtout un moyen de les aider.
- D'abord, il
est difficile pour les modérés de se battre contre des rouleaux compresseurs
financés par les pétrodollars, que sont les mosquées salafistes et les sermons
enflammés des imams formés au wahabisme, les madrassas ou écoles privées
coraniques qui distillent la haine de l'autre, les médias notamment la TV par
satellite al Jazira.
- Ensuite, il
n'est pas facile pour les modérés d'aller à contre-courant d'une mode ou d'une
pensée dominante, dite "islamiquement correcte". La violence fascine;
la terreur fait peur, mais elle magnifie son auteur; l'attentat-suicide est
excusé ou justifié, comme moyen pour parvenir à ses fins. De plus, l'idée que
les extrémistes sont les victimes du capitalisme, les victimes des dictatures arabes
ou musulmanes, ou d'Israël; cette idée où on inverse les rôles
bourreau-victime, est très répandue en Occident. Elle est véhiculée et
justifiée par de nombreux médias occidentaux et même par des hommes politiques
et des personnes influentes.
C'est pourquoi,
les Musulmans modérés sont les premières victimes de cette attitude occidentale
permissive, qui devrait pourtant être impitoyable vis à vis d'une idéologie
totalitaire.
Ce
n'est pas le maire de Londres Ken Livingstone qui va promouvoir les modérés
d'origine pakistanaise, quand il qualifie l'extrémiste al Qaradawi
d'"homme de modération et de tolérance", alors que dans sa rubrique
du samedi soir sur al Jazira, cet imam égyptien lance des diatribes distillant
un venin anti-occidental et anti-juif.
ou lorsque Tony
Blair prend comme conseiller Tareq Ramadan, le
petit-fils de Hassan el Banna, créateur du mouvement des Frères Musulmans en
Egypte.
Ainsi pour
diverses raisons, des groupes influents en Occident sont devenus les alliés
objectifs de l'extrémisme radical.
- De plus, les
modérés subissent des menaces et des pressions, souvent violentes. Salman
Roushdie devait se cacher pendant des années. Combien de modérés Iraniens on
été assassinés en France. Les personnes qui prennent des positions en flèche sont
obligées d'avoir des gardes du corps. La courageuse Irshad Manji nous a dit
qu'elle refusait de prendre des gardes de corps, à ses risques et périls….
- Enfin, les
modérés ne sont pas aussi bien organisés que les radicaux, et souvent, pas
organisés du tout, "par apathie craintive et
fataliste propre à l'Orient Musulman", comme disait Churchill.
Par conséquent,
il faut que nous aidions les "modérés", en leur communiquant force et
courage par l'exemple de notre propre action, par le travail que nous faisons
en leur faveur. Et j'espère qu'ils
auront alors le courage de défiler en masse.
JC.
Considérons maintenant les Pays arabes :
il est inexact de dire qu’il n’y a pas eu de
manifestations contre le terrorisme, il y a quand même eu des cortèges après
les attentats d’Al Kaïda à Casablanca en mai 2003 et à Sharm El Cheikh en
juillet ?
AS. Dans la logique Occidentale, un
terroriste reste un terroriste quel que soit le lieu où il agit. On ne défile
pas seulement quand on est victime de la terreur. On défile contre la terreur
en tant que telle. Mais en Orient cette logique n'a pas cours; et il y a le bon
terroriste et le mauvais. C'est pourquoi, la question qu'on doit se poser est
la suivante: existe-t-il des masses musulmanes modérées dans les pays arabo- musulmans
? Comme la liberté d'expression n'existe pas toujours, il est difficile de
répondre, malgré tous les sondages.
Dans la
mentalité du Moyen Orient, il faut regarder du côté de la tête et non pas à la
base. Comme on l'a vu, c'est le chef qui donne le ton. Il y a ainsi des chefs
d'état au Qatar, dans les émirats et en Jordanie qui prônent la tolérance et
l'ouverture. Il y a aussi des chefs religieux en Egypte et même en Arabie,
quoique rares, dont les fatwas sont modérées et vont dans le sens de l'acceptation
de l'autre, de celui qui est différent. Ainsi le sheikh Mohamed Sayed Tantawi,
à la tête de l'Université al Azhar du Caire, a émis une fatwa de conciliation: "L’Islam ne doit pas interdire
la normalisation des relations avec d’autres pays, particulièrement avec
Israël, aussi longtemps que la normalisation n’affecte pas la religion".
Il faut aussi
noter qu'un organisme de grande valeur, qui s'appelle Memri, traduit en
plusieurs langues tous les médias du Moyen Orient arabe. Ce qui nous permet non
seulement d'avoir le baromètre de la haine arabe, mais aussi de nous rendre
compte de l'existence de journalistes, d'universitaires et d'hommes de valeur
musulmans qui ont un esprit libre et ouvert, et qui s'expriment courageusement.
Mais sous la pression extrémiste, toute critique est considérée comme une
trahison de la Oumah de l'Islam. Ainsi, ces esprits libres sont souvent en
danger. Sadate a été assassiné par des Frères
Musulmans en plein défilé militaire, parce qu'il avait signé un accord de paix
avec Israël; l'ambassadeur égyptien à Bagdad, Ihab al Sharif, homme de paix et
de dialogue a été capturé récemment alors qu'il allait acheter son journal,
sans garde de corps, en toute confiance; puis il a été décapité par les
insurgés sunnites d'al Zarqaoui.
Combien de
Libanais modérés et anti-syriens ont été assassinés depuis quelques mois?
D'une manière
générale, au Moyen Orient la liberté d'expression et la critique sont au mieux
muselées, sinon réprimées. On ne peut librement critiquer qu'Israël et les Juifs,
à la rigueur les Etats-unis, boucs émissaires de la faillite socio-économique.
Il faut beaucoup de courage pour s'exprimer librement sur d'autres sujets, sauf
dans les pays où il y a séparation de l'état et de la religion comme en
Turquie, ou si le pouvoir est éclairé comme en Jordanie. Après un demi siècle
de dictatures, la masse silencieuse a oublié l'esprit critique, l'esprit
d'ouverture et de tolérance qui régnait jadis à Beyrouth, à Téhéran ou au
Caire. Cette culture est oubliée, voire perdue. Certains, comme l'oncle du roi
Abdallah de Jordanie, cherchent à la faire revivre. "Le
prince Hassan Ibn Talal a proposé la création d'un "parlement des
cultures" au Moyen Orient pour fournir un cadre de dialogue, de
compréhension mutuelle et de coopération entre les différentes
traditions…."
La diffusion
d'anciens films de cette époque y contribue également.
De mon point de
vue, la masse silencieuse musulmane attend de ses chefs politiques, religieux
et des médias des prises de position favorables à la modernité et à la
modernisation des concepts islamiques.
Et dans tous les
cas de figure, les changements sérieux vers la démocratie ne viendront que du
sommet.
JC.
Alors
considérons maintenant les données les plus récentes sur l’opinion des masses
musulmanes, je
me réfère à un sondage qui a été fait au printemps 2005 dans 17 Pays par
l’institut américain PEW, avec la collaboration d’instituts de sondage locaux,
une étude très sérieuse qui permet d’analyser l’opinion à la fois des
occidentaux et des arabo-musulmans. Je donne l’adresse à nos auditeurs pour
lire ce rapport de 45 pages : www.pew.org. Première conclusion : le seul
Pays où les personnes interrogées disent que les attentats suicides contre des
civils peuvent être justifiés, en général ou pour certains conflits, est la
Jordanie avec 57 % de soutiens. Au Maroc, les supporters du terrorisme ne sont
que 13 %, et on a un pourcentage du même ordre pour les Pays non arabes comme
la Turquie ou l’Indonésie. Qu’en pensez-vous ?
Albert
Soued, restons sur le sondage de l’Institut américain PEW. Ce sondage révèle
une concordance de chiffres très inquiétants pour ce qui concerne la Jordanie,
puisque c’est le Pays où à la fois comme on a vu il y a le maximum de
compréhension pour le terrorisme, où l’extrémisme islamiste n’est pas ressenti
comme une menace, où les Juifs sont considérés comme antipathiques par 100 %
des interrogés, et où 60% des gens disent avoir confiance en Ben Laden. Or ce
Pays est celui dont le gouvernement est le plus proche de l’état d’Israël,
comment expliquer ce paradoxe ?
AS. Il faut rappeler ici la composition de
la population jordanienne: 60% palestiniens, 30% bédouins, 10% caucasiens, qui
sont venus au milieu du 19e s…Il faut rappeler ici que "La Jordanie est un pays artificiel créé par la Grande
Bretagne, à titre de compensation à la lignée Hachémite du Hedjaz, pour la
perte de l'Arabie, donnée à une obscure tribu du Centre du pays, les Ibn
Saoud".
Il est possible
que certains bédouins aient basculé en faveur des Palestiniens, lors de la 2ème
intifada. Ce qui expliquerait les chiffres annoncés. Il est possible aussi que
la population qui attendait beaucoup de la paix avec Israël ait été déçue sur
le plan économique. Mais je ne suis pas convaincu de la véracité de ces
chiffres.
JC.
A propos
du soutien à Ben Laden, l’Institut de sondage qui avait fait ce genre d’études sans le
passé relève une chute importante du soutien populaire au Maroc depuis mai
2003, alors que ce soutien demeure majoritaire au Pakistan. Est-ce qu’une
explication simple serait la suivante : là où ils n’ont pas été victimes
d’attentats horribles, les populations peuvent soutenir de façon abstraite le
terrorisme, mais ce n’est plus le cas quand ils ont été touchés, exemple le
Maroc ? Autre résultat étonnant du sondage, le fait que les Etats-Unis
soient vus de façon plus sympathique qu’après le 11 septembre dans certains
Pays comme l’Indonésie, est ce que cela vous surprend ?
AS. D'une façon générale, l'homme arabe
admire la force et le courage et pour qu'on ne parle plus de gens comme Ben
Laden ou al Zawahiri, il faut leur opposer un modéré fort et charismatique qui
reste à trouver. Si l'admiration pour Ben Laden baisse, c'est que depuis
quelque temps, ce ne sont que des musulmans qui sont victimes de ses attentats,
en Irak, au Sinaï… Les gens de la rue se disent que peut-être la prochaine fois
ce sont eux qui passeront, car personne n'est plus à l'abri de ces attentats
sauvages. Peut-être aussi et il faut l'espérer, qu'ils n'y croient plus…
JC.
Alors
maintenant un sujet de l’enquête qui inquiète au premier plan nos auditeurs, la
haine antijuive dans ces populations, et le fait incontestable que c’est aujourd’hui dans le monde
musulman que l’antisémitisme est le plus fort. Là, les chiffres sont sans
appel : on relève des pourcentages d’antipathie pour les Juifs de 99 % au
Liban, 88 % au Maroc, 76 % au Pakistan, et même un antisémitisme majoritaire à
60 % en Turquie : au moment où la situation semble s’apaiser sur le front
palestinien, où Israël cherche à réchauffer ses relations avec le monde
musulman, s’agit-il à votre avis d’uns tendance lourde qui mettra du temps à
s’inverser, et pourquoi ?
AS. Dans las années 20/40, en dehors de
quelques îlots antisémites provoqués par la chrétienté locale (comme en Syrie,
Libye,…) ou par les Frères musulmans (comme en Egypte, Palestine…) l'homme de
la rue arabe n'était pas fanatisé, n'avait rien d'antisémite et vivait
paisiblement avec ses voisins juifs. La décennie 40 a vu naître des nationalismes
musulmans pro-nazis et après la guerre, de nombreux régimes arabes
nationalistes et socialisants étaient
franchement antisémites.
La propagande
d'état a orienté les frustrations populaires qui étaient dirigées d'abord
contre l'occupant anglais et qui n'était plus là, vers Israël, qui venait de
naître. Comme les Juifs ont quitté toute terre arabe, les nouvelles générations
arabes n'ont pas connu de juifs et ne savaient pas ce que c'était; d'où la
confusion entre israélien et juif et la naissance de l'antisémitisme, encouragé
par les dirigeants. Ajoutez à cela l'influence des Frères Musulmans et de leurs
institutions financées par l'Arabie et vous avez un demi-siècle
d'endoctrinement antisémite.
Aujourd'hui,
l'antisémitisme n'est plus la conséquence d'un choc entre nationalismes
concurrents, mais celle d'un choc entre religions, une lecture étroite du Coran
étant devenue prédominante dans les mosquées et les madrassas. Le Juif est
exclus de l'horizon religieux et comparé à un animal, un singe, un porc, comme
au temps d'Hitler.
JC.
Albert
Soued je voudrais que nous finissions l’émission en évoquant les
« étincelles de lumières » qui sont des textes remarquables écrits par des Musulmans et que
vous avez mis en ligne sur votre site « nuitdorient.com ». Qui sont
ces intellectuels courageux qui ont dénoncé la barbarie des islamistes, et
comment expliquez-vous le fait que, très souvent, ils appartiennent à une
minorité, Kurde, Kabyle, etc ?
AS. Je voudrais tout d'abord citer 2
dirigeants musulmans, l'un roi d'un petit état, A'badallah de Jordanie, l'autre
l'ex-président du plus grand état musulman, l'Indonésie.
Voici d'abord un
extrait d'un article d'A'bdallah paru dans le Washington Post du 7/12/02 et qui
est très révélateur; il dit: "…En fait, rien n'est fondamentalement islamique à propos de
ces extrémistes. Ce sont surtout des religieux du type "totalitaire"
dans la longue lignée d'extrémistes existant dans toutes les religions et qui
cherchent le pouvoir par l'intimidation, la violence et la rapine. … Le
prophète Mohamed nous dit que la plus grande guerre sainte n'est pas du tout
dirigée contre les autres, mais contre nos propres faiblesses; c'est la
"guerre contre l'ego". …
Ces mots font partie de l'éducation de
base que reçoit tout élève Arabe ou Musulman. Je le sais parce que j'en étais.
Ainsi quand aujourd'hui des terroristes visent des innocents, ils fournissent
la preuve directe de leurs objectifs: pouvoir politique, mais pas de
religion…."
Lors d'un récent
sommet des états arabes, A'bdallah II a été le seul chef d'état arabe à
préconiser la reconnaissance d'Israël par tous les états arabes et islamiques,
avant toute négociation avec les Palestiniens, et il a demandé qu'on tienne
compte de la réalité du terrain, en ce qui concerne les implantations de
Cisjordanie. On ne l'a pas écouté. Pas encore.
Récemment en
juillet, il a réuni à Amman 180 spécialistes du terrorisme venant de 45 pays,
et leur a dit notamment "Une mesure cruciale
à prendre est d'instaurer la tolérance 0 pour ceux qui font la promotion de la
terreur et de l'extrémisme…La Jordanie veut que l'Islam véritable, qui est
modéré et traditionnel, remplace cet Islam militant, fondamentaliste et
radical, partout dans le monde et pour chaque musulman… et toutes les fatwas
prônant l'extrémisme et le terrorisme sont illégitimes"
On aimerait que
d'autres responsables arabes tiennent le même langage!
En ce qui
concerne Abderrah'man Abdelwah'ed, l'ancien président de l'Indonésie, il était
à un moment donné favorable à la révolution islamique iranienne. Mais
découvrant le vrai visage de cette dernière, il a peu à peu évolué vers une
doctrine de "démocratie islamique" fondée sur les droits de l'homme,
presque sans équivalent dans le monde musulman. Cette
évolution l'a conduit à une sympathie de plus en plus affirmée envers le
judaïsme et Israël, au point qu'il a envoyé sa fille aînée étudier à
l'université hébraïque de Jérusalem.
Plus près de
nous, je voudrais rendre hommage ici à l'Institut JJRousseau, par exemple qui
organise des tribunes pour des Musulmans modérés. Il y a certainement de
nombreuses initiatives locales. J'en citerai deux qui me semblent
intéressantes.
J'ai beaucoup
apprécié une première initiative de quartier, en Hollande, entre une mairie et
une mosquée turque Aya Sofia. Pour le moment c'est la seule mosquée qui ait
signé ce type d'accord avec une mairie. En fait il existe un accord cadre entre
les mosquées hollandaises et les municipalités. Les mosquées sont invitées à adopter un code de conduite
contre l'extrémisme, en étant vigilantes vis à vis de l'enseignement des imams
et de leur interprétation du Coran, et en notant tout comportement radical de
fidèles, en essayant de ramener ces fidèles à la raison, et en le signalant aux
autorités en cas d'échec ou de récidive. En contrepartie, les mairies
s'engagent à lutter contre toute discrimination et à offrir un enseignement
gratuit de la langue hollandaise, ainsi qu'une formation aux méthodes pour
repérer tout comportement "radical".
Je salue ici
aussi l'initiative de Laurent Chetrit en banlieue ouest pour avoir créé à
Sèvres le cadre d'un rapprochement des 3 monothéismes "l'Association
du Dialogue entre Juifs, Chrétiens et Musulmans", pour qu'ils
puissent se connaître et s'apprécier mutuellement. Une association analogue
vient d'être créée à Versailles. Il serait utile et heureux que ce type de club
"grass-root", comme disent les américains, c'est à dire au ras du
sol, se répande dans notre pays. Avec ce type d'actions locales, les Musulmans
modérés trouveront la force, le courage et les arguments pour s'opposer aux
extrémistes.
On constate en
Diaspora que les Musulmans apprécient la laïcité, la séparation du politique et
du religieux, et la liberté d'expression. Leur seul problème est identitaire,
comme celui des non-musulmans d'ailleurs. C'est un phénomène qui découle de la
mondialisation. Celle-ci a tendance à effacer les particularismes et la
diversité, pourtant utiles et nécessaires à l'homme, pour qu'il puisse
s'affirmer et vivre sa vie.
Il y a de
nombreuses autres étincelles en Islam, mais pas assez encore pour qu'une
lumière puisse éclairer ce Moyen Orient, qui s'est laissé entraîner, lors des
60 dernières années, vers l'obscurantisme salafiste ou wahabite. Ces gens là
étaient à peine quelques centaines de milliers au début du 20ème
siècle; ils sont devenus 100 millions aujourd'hui, grâce aux pétrodollars qui
ont financé des milliers de mosquées, d'écoles et de médias dans le monde
entier. Ils ont trouvé un terrain favorable, fertilisé par la perte d'identité
des nouvelles générations au contact du modernisme forcené et accéléré de
l'Occident. Mais allez expliquer à ces jeunes qu'ils ne retrouveront pas une
identité en se jetant, la tête la première, dans ce miroir aux alouettes qu'est
le fondamentalisme dogmatique, avec son cortège de morts, de blessés,
d'estropiés et de traumatisés. Et de plus, avec une idéologie totalitaire, la
femme musulmane n'a aucune chance d'être l'égale de l'homme.
J'ajouterai que
de mon point de vue, l'avenir de l'Islam passe par l'émancipation de la femme
musulmane et de sa valorisation dans le psychisme masculin.
Si vous dîtes
que je suis pessimiste, je le suis quand je pense que le processus de
démocratisation des pays en question sera très lent, avec de nombreux
soubresauts; il faudra peut-être attendre 2 ou 3 générations. Mais je suis
optimiste quant à son issue, que mes petits enfants verront fort heureusement.
REMERCIEMENTS
ET FIN