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UNE CULTURE DE
VIOLENCE
PAR MICHEL GURFINKIEL
– JINSA – 2/11/06
"La
violence, comme un démon, s'est emparée de nous… Elle nous a fait perdre la
raison… "
(Les étranges aveux du porte-parole du Hamas, le Dr Ghazi Hamad).
Quand les islamistes parlent d'un démon ou d'un cancer qui dévore le Moyen-Orient,
ils font habituellement allusion à l'Etat d'Israël, au sionisme ou aux juifs.
Mais la semaine dernière, le Dr Ghazi Hamad, le porte-parole officiel
du Hamas, a retourné cette métaphore contre la "culture de violence"
qui, selon lui, "corrompt" le monde arabe en général et la société
palestinienne en particulier.
Dans un éditorial publié par l'hebdomadaire Al-Ayam,
il demande en effet, ou se demande, à propos des affrontements entre son mouvement
et le Fatah de Mahmoud Abbas : "Sommes-nous vraiment une société violente
? Sommes-nous en proie à une maladie chronique de violence qui détruit notre
tranquillité d'esprit et notre sûreté matérielle ? Sommes-nous enfermés
dans la prison de notre propre violence ? Notre peuple a-t-il fini par
croire que la violence est la solution de tous les problèmes, et qu'on peut
tout arranger avec des balles, des obus, un pamphlet incendiaire, des paroles
atroces ? ". Ces quelques mots se suffiraient à eux-mêmes. Ils constituent,
pour un lecteur arabe d'aujourd'hui, l'équivalent d'une révolution copernicienne,
où le Soleil, au lieu de tourner autour de la Terre, serait désormais
placé au centre de l'univers. Mais Hamad va plus loin, car si la langue arabe
est splendide, elle n'incline pas, comme l'hébreu ou le français, à
la brièveté : "La culture de violence", s'interroge-t-il,
" est-elle désormais si profondément enracinée dans nos corps et nos
esprits que nous ne pouvons lui échapper ni dans notre sommeil, ni quand
nous sommes éveillés ? Je le crains, nous avons tellement capitulé devant
la violence qu'elle est a pris le contrôle de notre vie tout entière : elle
règne, toute puissante, sur nos foyers et nos voisinages, sur nos familles
et nos organisations, et même sur nos universités. Il n'est pas de lieu qui
ne lui échappe ".
Voici la métaphore du démon : "La violence s'est emparée de tout",
note Hamad, "comme un démon
s'empare d'une personne. Elle nous a fait perdre la raison… Nos fêtes nous
paraissent désormais insipides tant que nous n'avons pas tiré des dizaines
de coups de feu en l'air… Et à nos enterrements, il est désormais banal
que nos héros tirent à nouveau des centaines de balles…"
Plus radicale encore, voici la métaphore du cancer, associée, ce qui est une
autre surprise, à un désir de paix et de normalité : "Nous aspirons à
guérir de cette maladie, de ce cancer, qui a corrompu nos esprits, paralysé
nos cœurs, crevé nos yeux. Nous voulons voir le moment où la paix et l'amitié
l'emporteront à nouveau… Le moment où les petits enfants ne trembleront plus
en entendant les fusillades".
De deux choses l'une. Ou bien Ghazi Hamad ne se préoccupe que de la violence
entre Palestiniens. Ou bien il condamne également la violence anti-israélienne,
qui serait, en fait, la cause directe, le terreau nourricier, des violences
interpalestiniennes.
Je crois que la seconde interprétation est la bonne. Hamad va en effet trop
loin dans ses dénonciations. Le monde arabe et islamique a toujours su qu'il
était en proie aux querelles et à la violence. Mais il a toujours refusé d'en
assumer la responsabilité : ces déchirements, selon le discours officiel,
ne seraient pas sui generis mais résulteraient de complots incessants et obscurs
ourdis par les non-Arabes et les non-musulmans, les juifs et les chrétiens,
Israël et l'Amérique. Une attitude qui, soit dit en passant, est reprise avec
une belle candeur ou une belle inconscience par nombre de journalistes ou
hommes politiques occidentaux quand ils attribuent tous les maux dont souffrent
la société palestinienne à l' "occupation" israélienne, au blocus
des Territoires, et aux "humiliations"
de toutes sortes infligées par Tsahal…Or tout le propos de Hamad consiste
à refuser ce transfert sur l'autre et, au contraire, d'intérioriser la faute.
Ce qui nous conduit à d'autres questions. Hamad parle-t-il au nom de son organisation
ou en son nom personnel ? Son éditorial révèle-t-il l'état réel de l'opinion
publique palestinienne, ou encore un divorce croissant entre ces opinions
et les appareils politicomilitaires palestiniens,
tant Fatah que Hamas ? Y a-t-il au sein du monde arabe et islamique
un courant qui refuse le suicide collectif prôné par les sunnites d'Al-Qaida et les chiites iraniens ? Ce courant est-il en train
de monter en puissance, y compris dans les milieux jusqu'ici touchés par l'islamisme
radical ?
Il se peut, bien entendu, que je me trompe. Ou encore que Hamad, après un
baroud d'honneur tout à fait sincère, retombe dans les discours convenus et
le jihadiquement correct. Mais ce qu'il a dit restera. Comme
un aveu. Comme un témoignage irrécusable. Comme la preuve par neuf du danger
qui menace Israël et l'Occident. Et comme la justification absolue de leurs
guerres d'autodéfense.
© Michel Gurfinkiel, 2006