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LA DERIVE DES PRO-PALESTINIENS
Par Michaël Ghnassia, avocat au
barreau de Paris
www.lemonde.fr - 24.03.10
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Une campagne BDS – pour Boycott-Désinvestissement-Sanctions
– tente de s'implanter en France contre l'Etat d'Israël,
en incitant les Français à boycotter les personnes et les produits provenant
de ce pays.
Initiée par des organisations ou
des personnalités pro palestiniennes, et soutenue par certains partis
politiques, elle vise les citoyens israéliens (universitaires, chercheurs,
sportifs, cinéastes, écrivains) et produits provenant des compagnies
israéliennes (nouvelles technologies, fruits et légumes, couches et lingettes
pour bébés, cosmétiques, livres, films, spectacles de danse et musicaux, œuvres
d'art, médicaments…). Des listes de produits sont mêmes proposées, les
organisateurs s'étant pour le moment abstenus de mettre en ligne des listes de
noms.
Présentée comme une action
citoyenne et non-violente, il s'agit en fait d'une provocation à la
discrimination en raison de la nationalité, délit puni d'un an d'emprisonnement
et de 45 000 euros d'amende par l'article 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet
1881. Si elle est suivie d'effets, les articles 225-1 et 225-2 2° du Code pénal
prévoient des peines pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement.
Plusieurs condamnations ont déjà été prononcées, notamment par la plus haute
juridiction française dans un arrêt du 28 septembre 2004 (pourvoi n°03-87450),
sur le même fondement que celui qui condamne la préférence nationale défendue
par le Front national. Il n'y a donc rien d'étonnant, contrairement à ce que
tente de faire croire certain (voir l'opinion de M. Etienne Tête
publié sur LeMonde.fr le 26 février 2010), à ce que la Cour
européenne des droits de l'homme confirme de telles décisions.
Mais au-delà d'une infraction
pénale, le boycott promu par la campagne BDS est une hérésie morale. Il s'agit
de réinstaurer au XXIe siècle une punition disparue depuis des
millénaires dans nos sociétés : la "punition
collective". "On ne fera point mourir les pères pour les
enfants, on ne fera point non plus mourir les enfants pour les pères, mais on
fera mourir chacun pour son péché", disait déjà la Bible (Deutéronome,
24.16). La justice des hommes s'est construite sur ce principe de la
responsabilité individuelle, qui est aujourd'hui un droit fondamental à valeur
constitutionnel, consacré par la Déclaration des droits de l'homme et
l'ensemble des conventions internationales. Or, ici, en prétendant combattre
l'injustice par des moyens illégaux, en mettant au banc de l'humanité
l'ensemble des citoyens d'un pays, les pro palestiniens
ne font qu'encourager la haine et la violence à leur égard.
Quant aux explications fournies
pour tenter de justifier cette campagne, elles sont mensongères. La campagne
BDS laisse croire que les produits boycottés proviendraient des "territoires
palestiniens", ce qui est faux sauf à considérer que l'ensemble de
l'Etat d'Israël est une colonie. En outre, elle prétend que le boycott ne
viserait pas à "discriminer une population", "la
société israélienne ni les individus qui la composent", tout en
demandant un boycott généralisé des produits et des Israéliens, accusés sans
distinction de cautionner "activement ou passivement, l'oppression de
l'Etat d'Israël". Or, 20 % des Israéliens sont des Arabes d'origine
palestinienne, musulmans ou chrétiens, qui seraient directement visés par ce
boycott. Et, selon de récents sondages, 75 % des Israéliens soutiennent la
tenue de négociations avec les Palestiniens, 47 % considèrent que le gel des implantations
est important et trois Israéliens sur quatre estiment que la perpétuation de la
situation actuelle, sans progrès politique en direction des Palestiniens, est
une mauvaise chose pour Israël, autant d'opinions partagées par une majorité
d'Israéliens, ce qui ne semble pas permettre de les épargner de la vindicte des
boycotteurs.
L'objet de cette
campagne-propagande n'a finalement pour but que de réduire une nation, composée
d'individus aux opinions et aux engagements aussi différents que ceux qui peuvent
exister en France, en un unique ennemi désincarné et sans humanité : l'"Israélien"
ou le " sioniste ". Aujourd'hui, selon la campagne
BDS, les Israéliens ne méritent plus aucune considération en tant qu'individu
car ils sont chacun d'eux l'incarnation du "colon raciste".
Demain, ce seront les "sionistes" du monde entier qu'il faudra
boycotter comme étant les complices des Israéliens. Et après-demain, à qui le
tour ?
Cette volonté de stigmatiser les
individus est renforcée par une campagne de délégitimation
de l'Etat d'Israël, notamment par le recours à des chronologies tronquées, des
informations erronées et une dérive sémantique. Ainsi, les militants de la
campagne BDS n'hésitent pas à s'autodésigner comme
des "Justes" par référence aux "Justes parmi les
nations" qui sauvèrent des juifs au péril de leur vie pendant la
dernière guerre mondiale. Ils font référence aux "ordres iniques"
de la ministre de la justice qui demandent des poursuites à leur encontre et
illustrent leur site Internet de fils barbelés. Tout cela ne sert qu'un
dessein : renvoyer le sort des Palestiniens à l'extermination des juifs
d'Europe. On est ici dans une totale schizophrénie, où la campagne BDS tout en
se défendant de tout antisémitisme, cultive insidieusement "l'enseignement
du mépris" de l'Etat juif et de ses citoyens.
Ainsi, selon la campagne BDS, il
y aurait 7 millions d'Israéliens-coupables qui opprimeraient 11 millions de
Palestiniens-victimes obligés de vivre (y compris les Palestiniens de
l'étranger) "une ségrégation quotidienne". En revanche, pas un
reproche, pas une ligne, pas un mot sur le Hamas, le Hezbollah, la Syrie ou
l'Iran, qui n'admettent toujours pas l'existence d'un Etat différent au cœur du
Moyen-Orient.
Si une telle campagne
discriminatoire à l'égard de tout un pays devait prendre, il en serait fini de
toute possibilité de vivre-ensemble. En effet, pourquoi boycotter les
Israéliens et ne pas boycotter les Russes pour les exactions en Tchétchénie et
en Géorgie, les Américains pour la prison de Guantanamo et les occupations de
l'Irak et de l'Afghanistan, les Iraniens pour les répressions faites aux femmes
et aux homosexuels, les Chinois pour l'occupation du Tibet et les Français pour
la rétention et l'expulsion des mineurs étrangers.
La défense d'un peuple et de son
droit à l'autodétermination doit pouvoir se passer de la provocation à la haine
et à la discrimination d'un autre peuple. Si les pro-Palestiniens souhaitent
encourager la paix dans cette région, ils ne devraient pas inciter les Français
à discriminer les Israéliens ou "à soutenir des institutions (…)
palestiniennes, sans exiger en retour qu'elles développent un partenariat avec
des organisations israéliennes". Au contraire, nous devrions
promouvoir toutes les initiatives qui permettent aux Israéliens et aux
Palestiniens de renouer le dialogue, de vivre, de produire et de créer
ensemble, en Israël, en Palestine et dans le monde.
A défaut, les boycotteurs auront gagné, mais l'humanité sera anéantie.