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LE MONDE LIBRE COMMET
UNE TRES GRAVE ERREUR
EN SOUTENANT ABOU
MAZEN
L'intégrisme est
la conséquence de régimes religieusement modérés qui font souffrir le peuple
Par Nathan Sharansky
Interview de Laly Derai, Hamodia
n°17 - 20 février 2008
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étincelles venant d'Israël
Pour beaucoup
d'entre nous, Nathan Sharansky est un héros. Une légende. Il est celui pour
la libération duquel nous avons manifesté dans les rues de Jérusalem, de Paris
ou de New York. Il est celui qui a vaincu le tout puissant KGB, celui qui,
jusqu'au bout, a refusé d'obéir aux injonctions de la police secrète russe.
Aujourd'hui, 22 ans après avoir foulé pour la première fois la terre d'Israël,
Nathan Sharansky nous reçoit dans son bureau du centre d'études stratégiques
Shalem et nous parle de la crise des valeurs en Israël, d'Ariel Sharon, George
Bush, ou encore Avigdor Lieberman, de la démocratie face à l'intégrisme religieux,
des médias et de leurs responsabilités, de l'Autorité palestinienne et des
enjeux qui prévalent au Moyen Orient.
Un entretien passionnant avec une des grandes figures de notre époque.
Laly Derai: Vous
avez été ministre à plusieurs reprises, député, et nous vous retrouvons
aujourd'hui à la tête du centre d'études stratégiques au sein de l'Institut
Shalem. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussées à quitter
la politique et à rejoindre le milieu universitaire?
Nathan Sharansky:
Je dis souvent que j'ai été ministre quatre fois, ai démissionné deux fois et
que j'ai été emprisonné dans quatre prisons desquelles je n'ai jamais pu
démissionner. C'est un privilège que de pouvoir démissionner. J'ai quitté le
gouvernement d'Ariel Sharon il y a deux ans lorsque le plan de départ
unilatéral de la bande de Gaza a été voté. Je ne pouvais plus faire partie
d'une coalition qui entamait des démarches allant totalement à l'encontre des
valeurs auxquelles je crois. C'est à ce moment que l'institut Shalem, qui tente
d'analyser sous le prisme de la pensée juive l'histoire de l'humanité, s'est
tourné vers moi afin que je dirige son nouveau centre d'études stratégiques.
Moshé Yaalon, l'ancien chef d'état-major, m'y a rejoint, ainsi que Michael
Oren, un historien fervent combattant du post-sionisme, et Martin Kramer, un
spécialiste de l'Islam. Nous croyons que la stratégie de l'Etat d'Israël et du
monde entier doit être construite sur des valeurs et non pas sur des intérêts:
ces valeurs sont la démocratie et la liberté, l'identité… Aujourd'hui, je ne
regrette pas le gouvernement un seul instant. Mon poste au sein de l'institut
me convient tout à fait. J'agis certes dans l'ombre mais toujours de concert
avec les vérités et les valeurs dans lesquelles je crois. Mon épisode politique
est terminé, je me consacre désormais à une vision stratégique de l'avenir
d'Israël. J'ai écrit un livre sur la démocratie, je suis en train d'en écrire
un deuxième qui, je l'espère, influera sur les décisions que prendront nos élus
durant les prochaines années. C'est la manière que j'ai choisie pour aider mon
pays.
LD: Estimez-vous
donc qu'aujourd'hui, ce n'est plus à la Knesset ou au sein du gouvernement
qu'il est possible de peser sur le cours des évènements?
NS: Je pense qu'il
est possible d'influer sur le courant des choses de toutes sortes de manières.
Chacun doit choisir la voie qui lui convient. Je me suis lancé dans la
politique parce que je pensais qu'il fallait absolument éviter un conflit entre
la vague d'Alya russe et la société israélienne. J'estimais que la Alya devait
saisir l'opportunité de s'intégrer le plus possible au sein de cette société et
c'est la raison pour laquelle nous avons fondé ce parti, Israël Baalya, qui a
permis pour la première fois à des Olim de participer à la vie politique
israélienne. Mais lorsque le gouvernement Barak a parlé de diviser Jérusalem,
je l'ai quitté sans le moindre regret et lorsque le gouvernement Sharon a lancé
son plan de désengagement, j'ai fait de même. Malheureusement, pour réussir en
politique, il faut parfois s'asseoir à la table du gouvernement même si on
s'oppose à ses décisions et prendre en compte différents facteurs qui ne sont
pas uniquement basés sur les valeurs dans lesquelles on croit. J'en suis
incapable.
LD: Vous
comprenez donc les atermoiements de Shass et du Parti travailliste et les
hésitations qui ont précédé le départ d'Israël Beiténou de la coalition?
NS: Je les
comprends sans les comprendre. Je veux dire que d'un côté, ils agissent comme
tout bon politique se doit d'agir: gagner du temps, chercher à protéger ses
arrières… Il ne s'agit pas de rester fidèles à ses principes car, en fait, il
n'existe pas un seul principe qui soit cher aux yeux de Shass et qui le soit
aux yeux du gouvernement. Shass veut gagner du temps pour protéger ses
intérêts. Je ne dis pas que ce n'est pas légitime, je dis juste qu'il s'agit
uniquement d'intérêts politiques et pas de valeurs.
LD: Vous étiez
ministre au sein du gouvernement Sharon lorsque le plan de retrait unilatéral a
été conçu. Comment expliquez-vous la volte-face idéologique d'Ariel Sharon?
S'agissait-il également de sacrifier les valeurs sur l'autel des intérêts
politiques?
NS: J'étais en très
bons termes avec Arik Sharon, je le respectais énormément pour sa sagesse car
c'était un homme qui comprenait tout et qui savait tout. Il était capable de
parler d'économie, de démographie, d'agriculture, de sécurité. Il se promenait
toujours avec des cartes, pas parce qu'il en avait besoin, car les cartes
étaient toutes inscrites dans son cerveau, mais pour les montrer aux autres.
Lorsqu'il m'a exposé les raisons pour lesquelles il fallait se séparer
unilatéralement de la bande de Gaza, j'ai senti qu'il n'y croyait pas lui-même.
Il me disait par exemple qu'il voulait faire cesser les pressions sur Israël.
Selon lui, il n'y aurait jamais de paix dans cette région. Mais, ajoutait-il,
si je procède à un retrait conséquent de territoires, la scène internationale
nous laissera tranquille pendant les dix prochaines années et les Palestiniens
ne constitueront plus notre problème mais celui des Egyptiens, des Américains,
des Européens. Je lui avais alors répondu: vous n'aurez pas dix ans, et vous
n'aurez même pas dix jours. Vous resterez responsable aux yeux du monde du sort
des Palestiniens. Sans parler du renforcement du terrorisme que vous aurez
engendré. Inutile de rappeler que tout ce que j'avais prévu à cette époque est
malheureusement en train de se réaliser. Selon moi, Ariel Sharon ne croyait pas
en son plan et ce sont d'autres considérations qui l'ont conduit à quitter la
bande de Gaza. Certains pensent que c'est à cause des accusations de corruption
qui pesaient sur lui. Tous les médias qui ont lancé le concept
"d'Etrog" qu'il fallait absolument protéger en parlant de Sharon et
de ses enquêtes ont totalement bafoué le principe de liberté de la presse. J'ai
d'ailleurs demandé plus tard au rédacteur en chef du Haaretz, David Landau,
s'il n'estimait pas avoir commis un crime en protégeant Ariel Sharon tel qu'il
l'a fait. Il m'a répondu que le crime d'occupation des territoires étant bien
plus grave que celui de corruption, il était prêt à pardonner la corruption et
bien d'autres crimes encore si le gouvernement mettait un terme à l'occupation.
Il a d'ailleurs ajouté qu'il se comportait de la même manière à l'encontre
d'Ehoud Olmert. Les affaires de corruption seraient donc un des vecteurs du
plan de retrait, bien que je pense que ce ne soit pas le principal. Je crois
qu'Ariel Sharon voulait par-dessus tout changer son image de marque parce que
c'était sa manière à lui de combattre l'antisémitisme. Lorsque j'étais ministre
de la Diaspora, j'étais également chargé du dossier de la lutte contre
l'antisémitisme. Arik était très impliqué dans ce dossier. Je crois que
lorsqu'il a constaté que les anti-israéliens faisaient l'amalgame entre l'Etat
d'Israël et Ariel Sharon, il a voulu changer cet état de fait. Lorsqu'il a vu
que dans les caricatures antisionistes et antisémites, Israël/Ariel Sharon
étaient présentés comme des brutes sanguinaires, il a voulu y mettre un terme.
J'estimais pour ma part qu'il pouvait être fier d'être l'objet de la haine des
ennemis d'Israël. George Bush m'avait d'ailleurs dit une fois que les deux
personnes les plus détestées sur terre étaient le général Sharon et lui. Bush
l'a dit en riant mais Ariel Sharon ne riait plus de cette blague. Cette haine
lui pesait. Je pense qu'il a voulu terminer sa vie politique sur une note de
respect et non de haine. Et sur ce point là, il a réussi.
LD:
Entrevoyez-vous aujourd'hui un homme politique capable de prendre les rênes du
pays?
NS: Il me semble
aujourd'hui que Binyamin Netanyahou peut facilement gagner ces élections…
LD: Gagner
peut-être, mais qu'en est-il des valeurs et des principes?
NS: Je crois qu'on
critique beaucoup Bibi et qu'une partie de ces critiques est fondée. On condamne ses réformes économiques mais ce
sont elles qui ont sauvé l'économie israélienne. Par ailleurs, j'estime qu'il a
appris de ses erreurs et que les principes en lesquels il a toujours cru, comme
la réciprocité dans les négociations israélo-palestiniennes, sont des principes
justes et vrais. Certes, les Américains
d'un côté et la presse de l'autre ne l'ont pas laissé appliquer ces principes
sur le terrain. Certes, il lui a manqué parfois la stature nécessaire pour se
battre pour ces valeurs. Mais on ne peut lui retirer le fait qu'il soit le
politicien le plus réaliste qui agisse aujourd'hui sur l'échiquier politique.
LD: Lorsque vous
dites qu'il a compris ses erreurs, est-ce un sentiment basé sur des discussions
avec lui, sur des faits, ou n'est-ce que la formulation d'un espoir?
NS: Il est vrai que
j'ai beaucoup discuté avec Binyamin Netanyahou. Mais on ne juge pas un homme
politique sur les discours qu'il tient mais sur les actes qu'il choisit
d'accomplir. Parfois, il a cédé aux pressions américaines et médiatiques.
Cependant, en tant que ministre des Finances, il a réussi à tenir tête à une
vague de critiques extrêmement sévères et à réaliser les réformes qu'il
estimait nécessaires à la sauvegarde économique du pays. En tant que
politicien, il a alors perdu beaucoup de points au sein de l'opinion publique.
Cela ne l'a pas empêché de camper sur ses positions et il devra affirmer le
même aplomb en tant que Premier ministre.
LD: Que
pensez-vous d'Avigdor Lieberman, autre leader russophone, de son entrée dans le
gouvernement Sharon, de son départ? Vous dirigez un institut d'études
stratégiques et il était
lui-même ministre des Affaires stratégiques…
NS: La seule
stratégie qu'ait élaboré Avigdor Lieberman a été d'inventer un nouveau
ministère au sein du gouvernement Olmert. Ce portefeuille ne voulait rien dire
et il n'était pas naturel. Lieberman a bien fait de quitter la coalition. Ce
que je ne comprends pas, c'est pourquoi il y est entré. Toutes ses explications
selon lesquelles il influencerait Ehoud Olmert de l'intérieur ne m'ont pas
convaincu car je n'ai constaté aucune influence de sa part. Idéologiquement
parlant, il n'avait rien à faire là-bas. Sur le plan ministériel, encore moins.
LD: Parlons un
peu de l'Autorité palestinienne. Dans votre livre, 'The Case for Democracy',
vous établissez que seule la démocratie peut conduire un pays à la réussite et
à la liberté. Or, paradoxalement, c'est en procédant à une démarche
démocratique par excellence, à savoir des élections, que le Hamas a pris le
pouvoir au sein de l'Autorité palestinienne, avec les conséquences que l'on sait.
La démocratie est-elle toujours bonne à prendre?
NS: Il s'agit là
d'un amalgame terrible et d'une utilisation erronée du concept de démocratie.
Démocratie ne veut pas dire élections. La démocratie, c’est la tenue
d'élections libres au sein d'une société libre. Le scrutin n'est qu'un point
technique qui vient couronner tout un processus de réformes ayant pour but de
créer une société libre dans laquelle les gens peuvent choisir parmi plusieurs
options sans craindre pour leur vie. Cette société doit comprendre des
institutions qui protègent l'individu et sa liberté d'expression, sa liberté
économique, sa liberté de religion. Des élections au sein d'un Etat totalitaire
ne mènent au contraire qu'au chaos. C'est la raison pour laquelle j'ai voté
contre la Feuille de route. Car que dit cette Feuille de route? Six mois après
que Bush ait parlé si fermement de la nécessité de réformes et de démocratie au
sein de l'Autorité palestinienne, il imposa la tenue d'élections au sein de
cette même autorité sous quelques mois, c'est-à-dire sans que la moindre
réforme n'ait été mise en place. Le jour des élections palestiniennes, je me
trouvais aux Etats-Unis où je devais rencontrer un des conseillers du Président
américain. Je lui ai déclaré alors, avant que la victoire du Hamas ne soit
annoncée, que le monde entier déclarera George Bush responsable du triomphe de
ce parti intégriste. Je l'ai alors conjuré de faire une déclaration qui
dénouerait le lien établi, par erreur, entre démocratie et élections, alors
qu'aucune réforme n'avait même débuté. Malheureusement, il ne m'a pas écouté.
LD: Comment
expliquez-vous le choix des Palestiniens?
NS: Il s'agit d'une
logique extrêmement naturelle. Lorsque l'on vous demande de choisir entre un
leadership mafieux, dirigé par Yasser Arafat, qui procède à du racket et ne se
soucie aucunement du bien-être de ses citoyens et le Hamas qui, au moins, a
pris en charge les pauvres, leur distribue de l'argent et éduque leurs enfants,
l'alternative est simple. Et ce sont justement ces régimes soi-disant modérés
et laïcs qui préparent le terrain en vue de la prise de pouvoir des
fondamentalistes.
LD: Pensez-vous
que le concept de laïcité existe au sein de l'Islam?
NS: De nos jours,
la majorité des musulmans vivent dans des pays qui ne sont pas des pays
fondamentalistes. L'intégrisme est la conséquence de régimes religieusement
modérés qui font souffrir le peuple. Regardez ce qui se passe en Egypte.
Moubarak est un dictateur qui se fera tôt ou tard remplacer par les Frères
musulmans. Si l'on veut que l'intégrisme ne prenne pas le pouvoir en Egypte, ce
n'est pas en renforçant le dictateur qu'est Moubarak que l'on réussira mais en
prônant une véritable démocratie. Tant que le monde libre continuera de
protéger Moubarak et de le considérer comme la seule option valable, il ne
pourra qu'être tenu responsable de la montée de l'intégrisme dans ce pays.
LD: Cette
théorie est valable également pour Abou Mazen?
NS: Tout à fait car
c'est exactement le même principe. Le monde libre fait une erreur en protégeant
et en renforçant Abou Mazen. Le présent, et l'avenir plus encore nous
apprendront à quel point…