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« Qui tient la Judée et la Samarie tient la
veine jugulaire d'Israël » -
(Menahem
Begin à Jimmy Carter en 1977)
Par Yehuda
Avner, ancien diplomate, conseiller de quatre
Premiers ministres, dont Menahem Begin.
The Jerusalem Post du 11/9/2003
Jewish World Review du Sept. 17, 2003 / 20 Elul, 5763
Titre
anglais original :
" How to negotiate for 'peace' "
Traduction française : Henri Orquera
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venant d'Israël
Jimmy Carter, fermier cultivateur
d’arachides, avait transformé la Maison Blanche en un établissement austère.
En accord avec ses convictions calvinistes, il se moulait dans le rôle d’un
citoyen-président. Il interdisait qu’on l’appelle Chef, avait presque supprimé
le budget loisirs, vendu le yacht présidentiel, réduit la flottille de limousines,
et, plus généralement, débarrassé son palais de toutes ses manières, artifices
et prétentions. Il portait lui-même son attaché-case.
Aussi, lorsqu’il accueillit le
Premier Ministre Menahem Begin à la Maison Blanche, en juillet 1977, avec une
cérémonie aussi flamboyante que pour un roi, une salve de 19 coups de canon,
une revue de tous les services armés et une parade chorégraphique de la Vieille
Garde du Corps des Fifres et Tambours, en livrée blanche, de l’Armée
Révolutionnaire, les médias estimaient, avec juste raison, qu’il s’agissait
d’une marque de haute estime, ou de pure flatterie.
L’ambassadeur américain, Samuel
Lewis, a confié qu’il s’agissait d’un peu des deux : «Le Président était
persuadé qu’en traitant Begin avec du miel, il en obtiendrait bien davantage
qu’avec du vinaigre.»
Et, de fait, les discussions
avaient démarré d’une manière décente. Les deux dirigeants et leurs conseillers
avaient échangé leurs points de vue sur des sujets aussi sensibles que les
pourparlers de paix israélo-arabes de Genève, la mauvaise conduite soviétique
dans la Corne de l’Afrique, et les menaces de l’Organisation Armée de la
Palestine au Sud Liban. Ensuite, il y avait eu une pause, et quand le café
avait été servi, le Président [américain] et le Premier Ministre [israélien]
l’avaient siroté en silence, chacun jaugeant l’autre, comme si, d’un commun
accord, ils se préparaient à ce qui allait suivre.
Ensuite, Begin présenta, d’une
manière extrêmement détaillée, la croyance du Likoud au droit inaliénable du
peuple juif sur la terre d’Israël. S’agissant du premier sommet entre un
Premier Ministre du Likoud et un Président américain, Menahem Begin avait
décidé que Jimmy Carter entendrait sa position à la source même.
Le Secrétaire d’État, Cyrus Vance, homme
habituellement calme, commença à s’agiter en entendant dire qu’Israël ne
renoncerait ni à la Judée, ni à la Samarie, ni à la bande de Gaza. Il soutenait
que cela rendrait vain tout plan de paix pour une conférence de Genève.
Le Président pensait de même. Carter affichait un masque de politesse, en
regardant ses notes, mais on pouvait voir, à ses mâchoires serrées, qu’il
contenait son irritation intérieure. Il répondit, avec son accent de paysan : «
Monsieur Le Premier Ministre, mon impression est que votre insistance sur
vos droits sur les Territoires et Gaza peut être interprétée comme un signe de
mauvaise foi. Elle fera comprendre votre intention de rendre permanente
l’occupation militaire de ces zones. Cela mettra un terme à tous les espoirs de
négociation. Il serait incompatible avec mes responsabilités de Président des
États-Unis de ne pas vous le dire, aussi exactement et aussi sincèrement que je
le peux, MONSIEUR BEGIN ! »
Tandis que l’exaspération
faisait étinceler ses yeux d’un bleu pâle, Carter martelait : "Il
ne peut y avoir d’occupation militaire permanente de ces territoires conquis
par la force"
Nous, les officiels israéliens,
qui étions autour de la table de conférence, dans la Salle
du Conseil, où avait lieu la réunion, regardions chacun d’eux du coin de l’œil.
Mais Begin s’était préparé à cette rencontre avec ce Président de la période
post-Watergate et de renouveau moral, Carter, le prêcheur, sensible à la
droiture personnelle.
Puis, Begin se pencha en arrière
et se mit à fixer, d’un regard faussement doux, au-dessus de la tête du
Président, le vieux chandelier de bronze, qui surplombait la grande table de
chêne. Il n’allait pas se laisser bousculer.
Il savait que lui et le Président
étaient sur des trajectoires totalement différentes, et qu’il s’agissait d’une
confrontation sans issue à propos du cœur du pays biblique. Carter était tout
aussi ferme, il ne plierait pas. Néanmoins, Begin devait, d’une manière ou
d’une autre, persuader cet homme de jugement, désireux de soigner et de guérir,
ce réalisateur énergique à l’esprit empirique d’ingénieur, qu’il voulait
vraiment et honnêtement la paix, et que les Territoires n’étaient pas seulement
une question de droits historiques, mais aussi une question de sécurité, vitale
pour son peuple.
Quand il recommença à regarder
Carter, ce fut avec un regard grave et impérieux.
« Monsieur le président,
je vais vous confier quelque chose de personnel – non à mon sujet, mais au
sujet de ma génération. Ce que vous avez entendu concernant les droits, qui
sont ceux du peuple Juif, sur la terre d’Israël, peut vous sembler académique,
théorique, voire discutable. Mais pas à ma génération. Pour ma génération de
Juifs, ces liens éternels sont des vérités irréfutables et incontournables,
aussi anciennes que le temps qui s’est écoulé. Elles touchent au cœur même de
notre identité nationale. Car nous sommes une nation ancienne qui revient chez
elle. Nous sommes comme une génération biblique de souffrance et de courage.
Nous sommes la génération de la Destruction et de la Rédemption. Nous sommes la
génération qui s’est relevée de l’abîme sans fond de l’enfer »
Sa voix envoûtante avait des
accents de réflexion profonde et semblait rejoindre la mémoire des générations.
L’âpre ardeur de son langage focalisait l’attention intense des assistants
autour de la table.
«Nous étions un peuple sans
espoir, Monsieur Le Président. Nous avons été saignés à blanc, non pas une
fois, ni deux fois, mais de siècle en siècle, encore et encore. Nous avons
perdu un tiers de notre peuple en une génération, la mienne. Un million et demi
de ses membres étaient des enfants, les nôtres. Personne n’est venu à notre
secours. Nous avons souffert et sommes morts seuls. Nous ne pouvions rien faire.
Mais maintenant, nous pouvons. Maintenant, nous pouvons nous défendre
nous-mêmes »
Soudain, il se mit debout, le
visage aussi dur que l’acier, et dit avec intrépidité : «J’ai une carte » - Un aide déroula
énergiquement une carte d’un mètre sur deux entre les deux hommes. Et Begin
poursuivit : «Cette carte n’a rien de remarquable, c’est une carte
standard de notre pays, sur laquelle figure l’ancienne ligne d’armistice,
appelée 'Ligne Verte', telle qu’elle a existé jusqu’à la Guerre des Six Jours,
en 1967 ».
Il fit courir son doigt le long
de la frontière défunte, qui serpente au centre du pays.
« Et, comme vous le voyez, nos
cartographes militaires ont simplement indiqué les très faibles distances de la
profondeur de défense que nous avions, lors de cette guerre »
Il se pencha au-dessus de la
table et désigna la zone montagneuse, de couleur brun sombre, qui couvre la
partie nord de la carte. « Les Syriens tenaient les sommets de ces
montagnes, Monsieur Le Président. Nous étions tout en bas » - Ses doigts se
posèrent sur les hauteurs du Golan, puis s’arrêtèrent sur la bande de terre
verte, en dessous. « Là, c’est la vallée de Hula.
Sa largeur est inférieure à
Carter regardait, les mains
croisées sous le menton.
Les doigts du Premier Ministre
allaient maintenant plus au sud, vers Haïfa, il continua :
« La ligne d’armistice était à moins
de
Le Président américain hocha la
tête et dit : « Je comprends »
Mais Begin n’était pas sûr qu’il
ait vraiment compris. Son doigt tremblait et sa voix grondait : « 14 Km
et demi, Monsieur Le Président ! Inconcevable ! Indéfendable ! »
Carter ne fit aucun commentaire.
Le doigt de Begin était
maintenant au-dessus de Tel Aviv et martelait la
carte : «Ici vivent un million de Juifs, à
Ses yeux sombres, intenses,
balayèrent le visage de marbre du puissant homme assis en face de lui, et, avec
la conviction de celui qui a toujours combattu pour tout ce qu’il a obtenu, il
déclara de manière lapidaire : «Messieurs, il n’est pas question de
revenir à ces lignes. Dans notre environnement impitoyable et implacable,
aucune nation ne peut être rendue aussi vulnérable et survivre».
Carter pencha la tête en avant,
pour mieux inspecter la carte, mais ne dit toujours rien. Ses yeux étaient
aussi indéchiffrables que de l’eau.
«Monsieur le Président», poursuivit
Begin, sur un ton qui ne tolérait pas l’indifférence, «c’est la carte de
notre sécurité nationale, et j’utilise ces termes sans emphase et dans leur
sens le plus littéral. C’est notre carte de survie. Et la différence entre le
passé et aujourd'hui, c’est uniquement cela : la survie. Aujourd’hui, les
membres de notre peuple peuvent défendre leurs femmes et leurs enfants. Dans le
passé, ils ne le pouvaient pas. En fait, ils devaient les livrer aux tueurs
nazis. Nous avons été 'tertiés', Monsieur Le
Président… »
Carter leva la tête. « Quel
mot est-ce là, Monsieur le Premier Ministre ? »
-- «Tertiés, pas décimés.
L’origine du mot 'décimé' est un sur dix. Quand une légion romaine était
coupable d’insubordination, un homme sur dix était passé au fil de l’épée. Dans
notre cas, ce fut un sur trois – 'tertiés' ! »
Alors, les yeux humides et d’une
voix décidée, tenace, et en pesant chaque mot, Begin déclara : « Monsieur, j’en fais le serment devant vous, au nom
du peuple juif : cela n’arrivera plus jamais »
Puis l’émotion le submergea. Il
crispa ses lèvres, qui commençaient à trembler. Il fixa la carte sans la voir,
luttant pour endiguer les larmes qui lui venaient aux yeux. Il crispa les
poings et les pressa si fort sur la table, que leurs articulations devinrent
toutes blanches. Il se tint là, la tête courbée, le cœur brisé, plein de
dignité.
Un silence de mort se fit dans
la salle.
Saisi par sa méditation
personnelle sur la Shoah infernale, Begin regardait fixement vers le lointain,
au-delà de Carter, avec une étrange retenue dans les yeux. C’était comme si,
dans sa contemplation, il passait au travers de ce Président baptiste, sudiste,
membre du Renouveau, sur cette route à l’intérieur de lui-même, depuis cette
intimité juive, profonde, lieu d’une plainte infinie et d’une foi éternelle, et
d’une longue, longue mémoire, comme s'il était enfoui là, avec Moïse et les
Maccabées.
Carter baissa la tête et se figea dans une attitude d’immobilité respectueuse.
D’autres regardaient ailleurs. Le tic-tac de l’horloge ancienne sur la cheminée
de marbre devint soudain audible. Une éternité semblait suspendue à chaque
battement. Le silence était assourdissant. C’était comme l’éclair d’une
résolution nationale de ne jamais revenir à ces lignes [d’armistice].
Graduellement, avec lenteur, le
Premier Ministre se dressa de toute sa hauteur, et la salle reprit vie. Carter
suggéra respectueusement une pause, mais Begin répondit que ce n’était pas
nécessaire.
Il avait fait son devoir.