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Al-Souri, le Théoricien de l’Etat Islamique

 

Par Jacques Benillouche

Temps et Contretemps – 28/09/14

http://benillouche.blogspot.co.il/2014/09/al-souri-le-theoricien-de-letat.html

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L’État islamique n’est pas parvenu au sommet des organisations terroristes islamiques par défaut. Son théoricien Abou Moussab Al-Souri et son adepte qui s’est inspiré de son idéologie, Abou Bakr Al-Baghdadi, ont été les artisans de l’implication au niveau international du petit mouvement islamiste. L'Occident semble soudain découvrir un mouvement qui avait son théoricien et son Mein Kampf. Al Souri avait tout prévu et tout planifié mais les Occidentaux l’ont peu lu et surtout sous-estimé. Ainsi la réussite de l’E.I n’est pas le fruit du hasard mais d’une stratégie patiemment élaborée dont on a minimisé l’impact. 

 

Troisième génération du djihad

Principal idéologue de la troisième génération du djihad salafiste, Al-Souri est entré sur la voie du djihad en tant qu'expert militaire. Il s’était fait remarquer par sa critique argumentée de la stratégie de feu le chef d'Al-Qaïda, Ben Laden, dont il avait pourtant été considéré comme son successeur putatif bien qu’il ait été en conflit stratégique avec lui. Personne ne sait où il se cache depuis qu’il a été libéré par Bachar Al-Assad en pleine guerre civile, en décembre 2011. Certains pensent qu’il s’est réfugié au Yémen alors qu’il est resté probablement en Syrie, dans son pays natal.  

Né en 1958 dans une famille bourgeoise d’Alep, de son vrai nom Mustafa Setmariam Nasar, il a suivi un cursus classique d’étudiant ingénieur en mécanique avant de rejoindre en 1980 une cellule islamiste, une émanation des Frères musulmans. La répression féroce par le régime syrien du soulèvement armé de Hama, en 1982, le poussa à entrer en dissidence et à s'entraîner dans des camps secrets en Jordanie puis en Égypte.  

 

Son esprit illuminé l’incitera en 1985 à refaire le parcours mythique des conquérants musulmans en se rendant en terre d’Andalousie où il épousera  une gauchiste Elena Moreno qui se convertit à l'islam et avec qui il a eu quatre enfants. Il voyagea au Pakistan et en Afghanistan dès 1987 pour organiser des camps d'entraînement pour les moudjahidines qui combattaient les Soviétiques. Selon son biographe, le chercheur norvégien Brynjar Lia, il est considéré comme le véritable architecte du djihad global car c’est un dissident, un esprit critique, un intellectuel au sein d'un courant idéologique

Il avait exposé sa doctrine dans un livre publié sur Internet en décembre 2004, l'Appel à la Résistance islamique globale. Sa véritable bible de 1.600 pages du jihadisme, une sorte de manuel d’endoctrinement, a jeté les réelles bases de l’État islamique et a inspiré le jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, le Français Mohamed Merah ou les frères Tsarnaev, Américains d'origine tchétchène auteurs présumés de l'attentat de Boston en avril 2013, et même le Norvégien Anders Behring Breivik. 

 

 

Violence politique

Sa théorie avait été écrite dans une perspective intellectuelle pour prôner le combat afin de renforcer l'usage de la violence politique par les jihadistes. Disposant de connaissances sur l’islam, mais pas suffisamment pour être considéré comme théologien, il s’était inspiré des guérillas de gauche pour les refondre dans l’idéologie islamiste. Il s’était opposé à la stratégie d’Al-Qaeda faite de terrorisme spectaculaire en prônant l’éloignement des médias et l’abandon des organisations traditionnelles au profit d'une nouvelle forme de lutte moins hiérarchique. 

Il avait suggéré de créer de petites cellules autonomes, capables de se financer et de s'armer tout en restant indépendantes les unes des autres pour échapper aux polices antiterroristes. Cela a été le cas du groupe qui a égorgé en Algérie le français Gourdel pour se financer mais la France a refusé de payer une rançon. Son comportement d’illuminé le menait à des fantasmes extrêmes puisqu’il préconisait une guerre chimique et même l’utilisation de bombes à composants radioactifs sur le sol américain.

Pour lui, il fallait : «Une bombe sale pour un pays sale». 
Cette boutade avait fait de lui le terroriste le plus recherché par les Américains. Sa tête avait été mise à prix à cinq millions de dollars. Malgré cette menace, son insolence n’avait pas de bornes : «Je prie Dieu pour que l'Amérique regrette amèrement de m'avoir provoqué et poussé à la combattre par la plume et par l'épée».

Mais il a fini par être capturé par les services pakistanais en novembre 2005 et livré aux États-Unis. Il disparaîtra alors des radars après avoir fréquenté les prisons de la CIA avant d’être remis à la Syrie où il semble à présent se cacher.

Depuis quelques mois, des enregistrements vidéo laissent à penser qu’il prépare sa réapparition bien que ses anciens compagnons refusent à présent de lui faire confiance car ils estiment que son emprisonnement durant six ans l’a contraint à se mettre certainement à la solde des services de renseignement syriens.

 

Deuxième théoricien du djihad

Son éloignement du terrain a poussé en première ligne Abou Bakr al-Baghdadi, deuxième théoricien du djihad, qui s’est inspiré de ses théories pour structurer l’organisation l’État islamique. Il a immédiatement appliqué sa stratégie consistant à ne pas dépendre d’aides extérieures en finançant sa politique grâce à la vente de pétrole des zones envahies et aux rançons gagnées sur les enlèvements d’otages. Il est sorti de la clandestinité le 4 juillet pour exposer son programme à la grande mosquée de Mossoul. Il a justifié les massacres par l’oppression et l’humiliation dont souffriraient actuellement les musulmans : «Bientôt, si Dieu veut, le jour viendra où le musulman marchera partout comme un maître, honoré, révéré, la tête haute et la dignité préservée. Qui était inattentif doit être maintenant en alerte. Qui dormait doit se réveiller. Qui était choqué et stupéfait doit comprendre. Les musulmans possèdent aujourd’hui une voix forte, tonitruante, et portent de lourdes bottes.»

La théorie de sa prise de pouvoir se fonde sur trois étapes qu’Al Souri a parfaitement détaillées dans sa bible. Les jihadistes ont d’abord attaqué les centres villes des pays ciblés pour les obliger à y organiser la répression tandis que la périphérie devenait une proie facile. C’est dans ce cadre, utilisé en Syrie et en Irak, que la deuxième phase s’appuya sur les massacres d’une rare sauvagerie pour forcer les populations à rejoindre les jihadistes, les seuls à rétablir selon eux la paix civile dès lors que les gouvernements locaux auront échoué. La cruauté n’est pas gratuite mais considérée comme la seule voie pour mener à la victoire. 

La dernière étape est le rétablissement du califat qui s’appuie sur le rejet de la démocratie, du nationalisme et de l’Occident. Fondé sur un islam rigoriste, le califat s’installe alors dans la durée en créant les structures d’un nouvel État en s’appuyant sur de nouveaux juges et une nouvelle police. Il organise la vie sociale et les aides à une population soumise par la force et qui, de toute façon, apprécie les dons matériels à défaut de liberté. 

 

L'Appel à la Résistance islamique globale d’Al Souri avait tout prévu mais l’Occident a mésestimé la puissance du texte fondateur des jihadistes. Il en paie aujourd'hui les conséquences.