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Un octogénaire Témoigne du Pogrom Antisémite Irakien,

Inspiré par les Nazis

Par Daniel Sasson, Israélien d’origine irakienne, raconte les ghettos juifs et les pelotons d’exécution du dictateur Rashid Ali-Gaylani, enhardi par Hitler, au Moyen-Orient

By Lynette Hacopian

20/09/21

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Les récits de la Shoah ont été bien documentés pour les Juifs d’Europe – mais beaucoup moins de choses ont été écrites concernant la manière dont l’influence de l’Allemagne a décimé les populations juives du Moyen-Orient pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

Né Riad Izzat Al-Sassoon Mualem à Diwaniya, en Irak, Daniel Sasson explique : « Il faut que cette histoire soit connue et qu’on souligne véritablement le lien entre les ghettos nazis d’Europe et le ghetto en Irak. » Sasson, 85 ans, s’est entretenu avec «le Times of Israel » depuis son domicile situé à Ramat Gan, une banlieue de Tel Aviv, désireux de mettre en lumière ces faits estompés par l’Histoire que lui et d’innombrables autres Juifs irakiens ont pourtant subis.

Sasson a également récemment raconté ces événements dans un livre intitulé : « L’histoire tue : Le premier et dernier ghetto en Irak », qui est disponible en hébreu. Dans son ouvrage, il dépeint son enfance en Irak et narre comment une alliance conclue entre Hitler et le Premier ministre irakien Rashid Ali al-Gaylani avait temporairement modifié l’équilibre des pouvoirs dans le pays.

En raison de cette alliance, l’Irak avait soumis ses 150 000 Juifs à un antisémitisme importé d’Allemagne. Les Juifs avaient été forcés de vivre dans un ghetto et ils avaient finalement été massacrés lors d’un pogrom, le Farhoud, qui avait été lui aussi inspiré par les nazis.

Si la famille royale irakienne soutenait les Britanniques – qui avaient géré précédemment un mandat en Irak – al-Gaylani, nationaliste ardent, s’était aligné pour sa part sur les forces de l’Axe, cherchant à minimiser l’influence de l’Angleterre dans son pays. Le Royaume-Uni avait imposé des sanctions économiques dures en représailles.

La relation entre al-Gaylani et Hitler avait entraîné des répercussions antisémites qui avaient mené à un pogrom qui s’était produit en 1941, le Farhoud, et qui avait été suivi par l’exode final de la communauté juive forte de 2 500 personnes – et notamment celui de la famille de Sasson, qui s’était enfuie vers la terre d’Israël.

Sa famille, si elle était considérée comme importante et établie dans sa localité, n’avait pas été pour autant épargnée par les atrocités quand al-Gaylani avait ordonné qu’un ghetto juif soit établi à Diwaniya, petite ville située à 158 kilomètres au sud de Bagdad.

« Une histoire tue »

La maison du grand-père de Sasson avait été un premier choix pour accueillir le ghetto. Une belle et imposante demeure qui mesurait 750 mètres de long, elle était à cette époque-là la plus grande habitation privée de Diwaniya. Elle avait hébergé les 600 Juifs de la ville, plus 70 autres venus de Bagdad et d’autres localités, pendant tout le mois de mai de l’année 1941. « J’avais cinq ans », raconte Sasson, « mais je me souviens de tout, comme si c’était hier ».

En 1937, le père de Sasson avait construit une maison à Diwaniya. Le nouveau maire, un antisémite notoire qui portait le nom de Khalil Azmi, avait déclaré que cette construction était illégale, sous de faux prétextes et l’avait détruite. Il n’en était rien resté. Ne se laissant pas dissuader, la famille était temporairement partie pour Bagdad et le père de Sasson avait embauché un avocat reconnu pour poursuivre la municipalité de Diwaniya. Le procès a été gagné en 1941 et le gouvernement a été placé dans l’obligation de souscrire à la reconstruction de la demeure. « Après cet événement, nous avons compris qu’il n’y avait pas d’avenir pour nous en Irak », a déclaré Sasson.

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La maison du grand-père de Daniel Sasson à Diwaniya, transformée en un ghetto pendant un mois en 1941.

Dès que la famille était revenue à Diwaniya, elle avait été accueillie par des policiers armés. La peur s’était emparée de Sasson quand la police avait reconnu son père, un homme respecté. Les hommes avaient arrêté la voiture, sorti ses occupants de l’habitacle et les avait empoignés, les jetant « comme des sacs de farine » dans la demeure qui appartenait au grand-père de Sasson.

« Un comportement de ce type à l’égard d’un homme réputé était très inhabituel », explique l’octogénaire. La propriété toute entière était surveillée par la police et il était apparu clairement alors qu’elle servirait de prison pour la population juive de la ville.

A l’intérieur du ghetto de Diwaniya

Sasson note qu’installer un plus grand ghetto dans la localité aurait gêné la population musulmane qui y résidait et que le gouvernement d’al-Gaylani avait donc choisi de regrouper les Juifs sous un seul toit et de les assigner à domicile.

« Il y avait des difficultés à l’intérieur du ghetto. On avait faim. La police était armée de lances quand nous étions arrivés et cela a été un mois très dur », dit-il.

Là-bas, se nourrir consistait en quelques olives quotidiennes, avec du pain volé certains jours. La faim avait épuisé les corps. Les femmes s’étaient installées à l’arrière du bâtiment, et les hommes étaient confinés sur le devant. Les communications entre les deux groupes étaient restreintes. Les hommes avaient été affectés aux travaux forcés, de 7 heures du matin à 19 heures, arrosant les arbres qui poussaient le long de la rivière.

Un ami d’enfance de Sasson, Khaled Moussa, était Juif mais il portait un nom arabe. Lui et sa mère avaient échappé au ghetto quand une famille musulmane leur avait offert l’hébergement.

« La rivière nous séparait, la famille de Khaled Moussa et la nôtre. De l’autre côté du balcon, depuis la maison, nous pouvions apercevoir la leur. Il n’y avait que 200 petits mètres – seulement la rivière nous séparait de leur maison. Des voisins arabes musulmans avaient caché Khaled Moussa et sa mère pendant un mois ; mais son père et ses oncles avaient été envoyés au ghetto », raconte Sasson. « Et personne ne savait combien de temps cet enfermement allait durer ».

Le grand-père de Sasson, qui avait souvent servi de juge et d’arbitre entre les tribus de Diwaniya, avait appris par la police que le Premier ministre pro-nazi al-Gaylani avait l’intention d’installer de nouveaux ghettos entre Bagdad et Basra, dans le sud du pays. Selon les policiers, de nombreux ghettos supplémentaires allaient être créés – une réalisation des aspirations d’Hitler, mais hors d’Europe.

Le ghetto avait été divisé en trois sections. Dans la première et plus importante se trouvaient les hommes ; les femmes et les enfants étaient rassemblés dans la deuxième et la dernière servait de base d’opération pour les policiers qui montaient la garde.

Un tank de l’armée, installé à l’angle du jardin, assurait une surveillance 24 heures sur 24. Il y avait aussi une patrouille entre le camp des hommes et celui des femmes qui interdisait tout contact entre les deux groupes. Mais Sasson, qui était alors jeune, parvenait à se déplacer entre les sections avec une facilité relative.

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Daniel et Shulamit Sasson sur une photo non-datée.

Un jour, Sasson avait aperçu une femme pleurer et il lui avait demandé si elle avait besoin de son aide. Elle désirait transmettre un message à son mari, de l’autre côté de la maison, et Sasson s’était offert de le faire. Alors qu’il était sur le point d’entrer dans la section des hommes, il avait été arrêté par le chef de la police.

Sasson se souvient lui avoir dit : « C’est ma maison. Vous n’avez pas le droit de me dire ce que je dois faire. Ma mère est ici et mon père aussi, et je veux pouvoir les voir tous les deux ».

Le chef l’avait laissé passer.

Sasson se souvient de la faim intense – en particulier la nuit. Les policiers interdisaient aux Juifs l’accès à la cuisine pour préparer les sacs de pommes de terre qui étaient posés au sol, explique-t-il, et il les mangeait donc crues. D’autres enfants n’avaient pas cette chance et il les entendait souvent pleurer la nuit, réclamant désespérément de quoi se nourrir.

Enfant espiègle et agile, Sasson se rappelle qu’il grimpait aux murs pour monter sur la terrasse, sur le toit, pendant la nuit. Il apercevait les pièces remplies d’enfants sanglotant, mourant de faim, incapables de s’endormir. Il allait souvent sur le toit et il regardait les hommes travailler, transportant des seaux d’eau depuis et vers la rivière voisine. Chaque jour, les corps étaient plus faibles, plus malades. Les nuits étaient toutes les mêmes – avec les gémissements continus des enfants qui hantaient toute la demeure.

Les exécutions

La libération des Juifs était survenue soudainement et sans avertissement préalable. Sasson se souvient avoir rêvé, une nuit, qu’Hitler l’avait attrapé et qu’il l’emmenait. Il s’était réveillé en sueur et il était grimpé sur le toit pour se calmer.

Regardant la rivière, le petit garçon avait vu les pêcheurs dans leurs bateaux – et pourtant, quelque chose paraissait différent. Et, en observant la propriété, il avait remarqué que les gardiens qui se tenaient là en permanence étaient partis. Il était redescendu en hâte prévenir les hommes et, passant à côté de l’endroit où se tenaient d’habitude les policiers, il avait constaté que ces derniers avaient, eux aussi, abandonné leur poste.

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Un charnier de victimes du Farhud

Les Juifs devaient apprendre ultérieurement que les soldats britanniques avaient envahi le pays et qu’al-Gaylani avait été destitué. En milieu de matinée, le 31 mai 1941, le groupe tout entier avait chanté la prière de Shema à l’unisson et il avait quitté les lieux. A ce moment précis où chacun retournait ou s’apprêtait à retourner chez lui et à reprendre son quotidien, Sasson avait observé les visages – ils étaient abîmés, les barbes avaient poussé, les vêtements étaient devenus beaucoup trop grands.

Le même jour, la famille du petit garçon avait décidé de se rendre dans l’habitation d’un oncle qui était située dans la ville de Shaamiya, à 35 kilomètres. Le jour suivant, le 1er juin 1941, c’était la fête juive de Shavuot. Sasson s’était installé à la fenêtre pour découvrir son nouvel environnement. Soudainement, le bruit assourdissant d’un tir s’était fait entendre et l’oncle de l’enfant, qui se trouvait devant la fenêtre, était tombé au sol, mort.

Plus de 200 Juifs avaient été massacrés en Irak, ce jour-là – des milliers avaient été blessés et les femmes violées. Les entreprises appartenant aux membres de la communauté avaient été démolies, les propriétés pillées, les commerces incendiés et saccagés.

Les agresseurs avaient utilisé toutes les armes imaginables, n’hésitant pas à écraser les Juifs avec leurs véhicules. Certains Juifs avaient été accueillis par leurs voisins musulmans qui, à ce moment-là, avaient accepté eux aussi de se mettre en grand danger.

Ce qu’il s’était passé est encore considéré comme un tournant pour la vie juive en Irak. Le Fahroud est l’un des événements les plus traumatiques dans la mémoire collective des Juifs irakiens. Comme cela avait été le cas pour les pogroms de la Nuit de Cristal en Allemagne et en Autriche, au mois de novembre 1938, les Juifs avaient été hantés par des attaquants motivés par une idéologie pro-nazie. Premier incident en son genre à avoir normalisé les persécutions des Juifs en Irak, le Farhoud avait été un moment charnière dans l’histoire juive du pays et un signal d’alarme pour un grand nombre des membres de la communauté qui avaient alors réalisé qu’il n’y avait pas d’avenir pour eux sur ce territoire.

Après le meurtre de l’oncle de Sasson à Shaamiya, la famille était retournée à Bagdad, où elle a vécu pendant six ans. Son père avait ouvert une briqueterie qui avait employé plusieurs centaines de personnes.

Puis, en 1951, Sasson et son frère étaient partis pour Israël.

Un sionisme florissant

Après le Farhoud, des groupes sionistes clandestins avaient commencé à se multiplier et chaque ville disposait de sa propre section. Le frère aîné de Sasson enseignait l’hébreu et aidait de nombreux Juifs à émigrer vers le territoire qui était alors désigné sous le nom de Palestine mandataire.

Ce départ avait été loin d’être surprenant – mais il avait toutefois semblé marquer un changement dans ce qui avait toujours été considéré comme la norme jusque-là. Si Sasson et sa famille avaient toujours eu une identité juive forte, ils entretenaient également un lien profond avec l’Irak, le pays où ils étaient nés.

« Nous avions des relations avec les personnes les plus aisées de la ville », dit-il. « Nous avions grandi et nous étions allés à l’école là-bas… et l’Etat d’Israël n’existait pas encore. Nous avons eu le sentiment que l’Irak n’était plus notre pays au moment de la guerre de 1948 [de l’indépendance israélienne] et des pogroms et des tensions antisémites qui ont agité l’Irak en réponse à l’établissement d’Israël. Il y avait un Etat israélien et notre avenir était dorénavant là-bas ».

Il y avait des shlichim — des émissaires d’Israël – dans toutes les villes d’Irak pour aider à faciliter l’immigration, et Sasson explique que le départ avait été inéluctable. « Nous savions que nous allions partir, la seule chose que nous ne savions pas, c’était où exactement », indique-t-il.

« Naturellement », confie Sasson au Times of Israel, « la maison et le quartier de mon enfance me manquent. Je pense que nous éprouvons tous de la nostalgie en pensant à l’endroit où nous avons grandi, et que nous souhaitons tous le revoir. J’avais des amis arabes, à l’école, qui n’avaient aucun problème avec les Juifs. Nous avions aussi des voisins arabes dans notre ville natale qui nous ont aidés, et j’aurais aimé les revoir. Il y avait des périodes de tensions entre Juifs et Arabes irakiens, mais la majorité des arabes, dans la population, étaient de bonnes personnes et nous n’avions aucun problème les uns avec les autres. »

Après s’être installé au sein de l’Etat juif à l’âge de 15 ans, Sasson a servi au sein de Tsahal et était devenu ingénieur. Aujourd’hui, à 85 ans, il vit encore en Israël avec sa famille.

Sasson a été interviewé à plusieurs occasions par le Centre du patrimoine juif babylonien. Ses mémoires écrites en hébreu sont également disponibles au centre, qui est situé à Or Yehouda.

Sasson explique qu’il a voulu partager ses expériences parce qu’une majorité de personnes ignorent qu’il y avait un ghetto en Irak.

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Un avion transportant des Juifs irakiens à son arrivée à l’aéroport de Lod, aux abords de Tel Aviv, au début de l’année 1951.

« Lorsque nous étions dans le ghetto, nous savions qu’il avait été créé parce qu’il avait été inspiré par les nazis et que si les choses continuaient ainsi, les ghettos deviendraient des abattoirs qui serviraient à expulser et à faire disparaître les Juifs du Moyen-Orient ; nous savions que le ghetto irakien avait été inspiré par les ghettos européens et qu’il se passerait encore beaucoup de choses », a-t-il dit. « Si Hitler avait gagné la guerre, nous aurions tous été placés dans des ghettos ».

Sasson note que la plus grande partie des enfants qui avaient été internés dans le ghetto irakien ne sont plus en vie aujourd’hui et qu’il a été impératif, à ses yeux, de faire connaître une histoire qui l’a profondément affecté – et ce, tant qu’il est encore capable de le faire.

« Quand nous étions jeunes, nous étions de nouveaux immigrants. On travaillait dur, on tentait de se construire une vie dans un nouveau pays. Si j’avais écrit ce livre en 1950, qui l’aurait lu ? », dit Sasson. « Les Juifs d’Irak s’efforçaient de gagner de l’argent, ils trouvaient du travail, ils tentaient de se créer une nouvelle vie. Quand j’étais jeune, je faisais aussi mes études, je voulais faire carrière. Je tentais seulement de survivre », s’exclame-t-il.

« Cette histoire est racontée 70 ans trop tard », dit-il. « Mais même maintenant, c’est encore le bon moment ».