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La Parole aux Egyptiens en Egypte

 

Par Sandra Ores en Egypte

Metula News Agency -(info # 01-16/08/13)

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C’est en dehors des épicentres des affrontements entre les partisans de Morsi et l’Armée égyptienne que je suis allée. A Hurghada précisément, une ville de 87 000 habitants à l’est de l’Egypte ; la population y est calme, quoiqu’inquiète, restant en permanence à l’écoute des informations ; le téléphone à l’oreille, les Egyptiens de la côte prennent régulièrement des nouvelles de leur famille résidant dans les grandes villes.

A 450 kilomètres du Caire, loin des places Rabaa al-Adawiya et Nahda, pas de violences. C’est que les partisans des Frères Musulmans sont peu nombreux dans la région.

La population, dans sa grande majorité, se range derrière l’Armée ; elle approuve le fait que les militaires aient repris l’Egypte des mains de Mohamed Morsi. Car l’essentiel des Egyptiens se montrent particulièrement insatisfaits de la politique du président islamiste. En un an, ils n’ont pu qu’observer la dégradation de leurs conditions de vie, tant au niveau économique que sécuritaire.

C’est un véritable refrain qu’ils répètent à mon oreille : diminution de la quantité de travail, désertion des touristes (la première source de revenu de l’Egypte), explosion des prix ; sans compter la récurrence des coupures d’électricité, d’eau ou les fréquentes pénuries d’essence.

 

Amged, mon interlocuteur copte, est inquiet pour l’avenir de sa communauté

Pour la minorité copte, qui représente environ 15% de la société égyptienne, et qui a vu, depuis l’avènement de Morsi, les attaques confessionnelles contre ses membres et ses églises se décupler, le règne des Frères Musulmans est synonyme d’insécurité, de pogroms et d’assassinats.

Amged, un copte originaire d’Assouan, m’explique : "les discriminations existent depuis longtemps en Égypte contre les coptes. Nous sommes quasiment absents des institutions et des universités. Aujourd’hui, il n’y a pas plus de haine à notre encontre qu’auparavant. Mais avec Morsi à la tête de l’Etat, la police et les forces de sécurité n’ont pas su protéger les citoyens contre les agressions ; alors nous sommes davantage exposés aux violences.

Pour la première fois de notre histoire, le patriarche, Tawadros II, nous a demandé de ne pas nous rendre à l’église pour honorer le jeûne de l’Assomption ; ce jeûne dure quinze jours et précède la fête de l’Assomption (le 15 août)", poursuit le responsable hôtelier.

Morsi n’a pas l’expérience requise pour gouverner ; d’autant plus un pays composé d’une population peu docile : c’est d’un homme fort, qui sait tenir les rênes du pays, dont les Egyptiens ont actuellement besoin", m’avance Smaïn, un musulman de 28 ans ayant étudié la microbiologie au Caire ; il précise : "autrement, chacun poursuit ses intérêts propres et la société sombre dans le chaos. Morsi n’a pas su faire régner l’ordre", conclut-il.

"D’autre part, une fois au pouvoir, les Frères Musulmans n’ont œuvré qu’à faire fructifier leurs intérêts, et non celui de tous les Egyptiens", commente Abdou, ce commerçant qui se déplace depuis quelques mois régulièrement sur la côte ; à Louxor, dont il est originaire, le temple et les sphinx attiraient plusieurs millions de touristes l’an, mais le site est presque désert cette année. "Morsi n’a en rien cherché à développer le tourisme, qui constitue pourtant la principale source de revenus de l’ancienne Thèbes", déplore Abdou.

 

Farès est lui aligné sur les positions de la fratrie depuis de nombreuses années. Il m’affirme que Mohamed Morsi n’a pas eu assez de temps pour faire ses preuves ni pour récolter les fruits de sa politique, qui se feront sentir sur le long terme. Lui est persuadé que le président en captivité regagnera le palais présidentiel.

Aujourd’hui, il s’emporte contre le régime des militaires. Avec sa confrérie, Farès prévoit de manifester ce vendredi matin : "dans toute l’Egypte des protestations auront lieu à la sortie des mosquée", prophétise-t-il. Mais jeudi, les Frères d’Hurghada sont restés calmes ; l’un de leurs membres a péri mercredi dans des affrontements au Caire, jeudi, ils ont veillé sa dépouille.

Farès accuse par ailleurs les ministères de l’Electricité, de l’Energie et du Pétrole d’avoir mis des bâtons dans les roues de Morsi afin de rendre son rôle encore plus difficile. Une idée que soutient également Ayman ; ce jeune musulman, né au Caire, m’affirme : "Ahmad Imam (ministre de l’Electricité et de l’Energie) et Cherif Ismaïl (ministre du Pétrole) sont les complices des coupures d’électricité et des pénuries d’essence que nous avons subies cette année. Car depuis la destitution de Morsi, les stations services sont à nouveau approvisionnées correctement. Comment ce problème a-t-il été réglé en si peu de temps ?". Les coupures d’électricité restent en revanche un souci récurrent en Egypte pendant les mois d’été.

 

Ayman  avait donné sa voix aux Frères Musulmans en juin 2012. Pourtant, lors des prochaines élections présidentielles prévues début 2014, il ne réitérera pas son vote. "Nous leur avons donné une chance, mais ils n’ont pas su gouverner le pays".

Hors d’Egypte, ce sont les images violentes des évacuations et des émeutes sur les grandes places centrales qui sont retransmises sur les écrans télévisés, accompagnées de commentaires faisant mention d’un risque de guerre civile. Un risque qu’ici on juge pourtant inexistant, et ce pour diverses raisons.

 

Les islamistes sont tout d’abord minoritaires en Egypte ; et ils ne possèdent pas les moyens de combat nécessaires afin de tenir tête à l’Armée, ni de soutiens financiers internationaux conséquents.

Enfin, ils ne se trouvent pas suffisamment menacés pour s’engager dans une guerre civile : lors de pourparlers avec le régime, ils peuvent espérer négocier (à l’égyptienne) leur place au sein du prochain gouvernement.

 

En revanche, c’est une hypothétique ingérence occidentale qui pourrait s’avérer dangereuse pour les Egyptiens, risquant de déséquilibrer les forces en présence, et de prolonger le conflit indéfiniment.

Muets lors des nombreuses exactions commises sous Morsi, les Américains et les Européens, François Hollande en tête, s’immiscent désormais à l’envi dans les affaires intérieures de ce pays. Depuis longtemps la communauté internationale ne s’était pas ingérée autant dans la vie d’un pays étranger.

Ils demandent la libération d’un président détesté par la plupart des Egyptiens que je rencontre, et Barack Obama exige, de plus, que les militaires permettent aux islamistes de manifester à leur guise. Avec des Kalachnikov qu’ils utilisent contre les forces de l’ordre.

 

Mais personne ici ne les a entendus s’élever avec vigueur contre l’incendie des églises chrétiennes, que les pro-Morsi allument comme des feux de joie dans un déchaînement raciste. Dans Le Monde, Christophe Ayad prétend au contraire que l’évacuation des places du Caire occupées depuis six semaines par les pyromanes intégristes constitue un affront contre la démocratie ainsi qu’un " retour en arrière "; Sur France 24, que l’on capte ici, on prétend que les incendies seraient des réponses à la répression de l’Armée ; difficile pourtant d’y voir une quelconque relation de cause à effet, mais plutôt une tentative de justifier l’injustifiable.

 

Pour quelle raison ces personnes soutiennent-elles les intégristes, au risque de prolonger le bain de sang suite à leurs encouragements ? On se perd en conjectures. Et l’Egypte ? Ils devraient venir y faire un tour et demander leur avis aux habitants à la place de décider de ce qui est bien pour eux à Paris, Londres ou Washington.