www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
Peuple Québécois,
Puis-je Compter sur ta Solidarité?
Par Djemila
Benhabib, Essayiste
Le 11 Mar 2010
Voir aussi les 50 derniers articles du site et tous les articles sur les femmes en Islam
Vous avez été très nombreux, à travers tout le Québec et même au-delà, à me témoigner votre appui dès la parution de mon livre "Ma vie à contre-Coran", une femme témoigne sur les islamistes pour saluer mon courage et ma détermination face à mon combat contre l’hydre islamiste et ses tentacules. J’ai rencontré plusieurs d’entre vous, d’un bout à l’autre du Québec, pour partager mes réflexions et mes aspirations.
Je parcours des
milliers de kilomètres pour honorer vos invitations et échanger de grands et de
petits moments de bonheur. Au fil du temps, une proximité s’est installée entre
vous et moi. Est-ce pour cela qu’aujourd’hui, j’ai envie de vous interpeller
directement pour partager avec vous mes terribles inquiétudes? C’est fort
probable. Des inquiétudes qui me rongent l’esprit. Des inquiétudes qui me
tiennent éveillées des nuits entières. Des inquiétudes qui obscurcissent des
jours heureux qui ont un parfum de printemps.
Des inquiétudes qui
me rappellent les jours les plus sombres de ma vie, en Algérie, lorsqu’au tout
début des années 1990, un parti politique du nom de Front islamique du salut et
ses armées menaçaient de prendre le pouvoir et de voiler toutes les femmes de
mon pays. Le projet politique du FIS pouvait se résumer en une phrase : l’islam est la religion et l'État
et la charia est notre constitution. La charia, qui se fonde sur la supériorité du musulman sur
le non musulman et la supériorité de l’homme sur la femme. En découle, entre
autres, la condamnation à mort des apostats comme moi.
L’islamisme
politique est une idéologie mysogine, sexiste, xénophobe et homophobe qui
porte en elle la haine et la violence. Dans ce contexte, les violences à
l’égard des femmes sont monnaie courante, car les islamismes s’attaquent aux corps des femmes qui est
devenu un enjeu politique.
Au
printemps de l’année 1994, j’habitais à Oran en Algérie. J’avais 21 ans et des
rêves plein la tête. Cette ville m’a collé à la peau pendant longtemps. J’y ai
fréquenté ses quartiers de bout en bout, des minables au plus raffinés, me suis
pavanée sur ses boulevards taraudés de palmiers et me suis laissée bercer par
ses musiques et ses vagues en cultivant secrètement mais non candidement le
goût de la rébellion.
Un jour, tout cela
s’est arrêté. La ville qui m’a vue grandir ne ressemblait plus à ce qu’elle
avait été. Le 10 mars 1994, Abdel-Kader Alloula, ce géant du théâtre, venait
d’être assassiné et
Oran avec. A la
même période, le Groupe islamique armé (GIA) a ordonné aux femmes de mon pays
le port du voile islamique. Deux choix s’offraient à nous. Dissimuler nos corps
dans des cercueils ambulants ou résister. Certaines ont résisté et ont été
assassinées. Ce fut le cas de Katia Bengana, une jeune lycéenne, âgée de 17
ans, assassinée le 28 février 1994 à la sortie de son lycée à Meftah.
Ce jour-là, j’ai
compris que ma vie dépendait de la mise en échec de cette idéologie de la mort,
que sa victoire sera ma négation, que sa progression sera mon enfermement. J’ai
compris aussi que mon corps portera pour toujours, à tout jamais, les marques
indélébiles de cette confrontation si inégale. Ce n’est pas un hasard si le FIS
en Algérie a imposé le voile islamique et a assassiné des militantes féministes
ou de simples femmes avec une sauvagerie inouïe. Des têtes nues ont été
tranchées à la hache, au sabre, au couteau, à la lame et même à la
tronçonneuse.
Je l’ai toujours dit et je le répète encore aujourd’hui, le voile islamique n’est pas un simple vêtement. Il est un élément parmi tant d’autres de tout un système de valeurs qui est incompatible avec nos choix démocratiques. L’attachement de certains, voir leur entêtement à le porter traduit l’état de misère dans lequel a sombré vertigineusement le monde arabe et musulman depuis une trentaine d’années. Le voile islamique est devenu, ici, en Occident, le premier pilier de l’islam alors que de plus en plus de femmes en Iran, au Soudan, en Arabie-Saoudite et en Afghanistan le condamnent au péril de leur vie.
Lorsque j’ai quitté
l’Algérie, je ne connaissais rien du Québec. Une chose était sûre, je pensais
laisser la terreur islamiste loin derrière moi. Je ne pensais jamais qu’un jour
je rouvrirais ce chapitre si douloureux de ma vie. La douleur était tellement
vive que je voulais oublier, taire ce que j’avais vécu et surtout ne rien dire.
Je ne pensais jamais devoir crier dans une salle bondée de féministes toute ma
douleur de femme pour dire que j’ai été condamnée à mort à l’âge de 20 ans
parce que femme, parce que féministe, parce que laïque.
Je ne pensais
jamais avoir à convaincre une salle de féministes que le voile est un objet
d’asservissement sous lequel des femmes étouffent dans plusieurs pays
musulmans. Je ne pensais jamais devoir dénoncer des féministes ou des
gens de gauche, car ils font partie de ma famille politique naturelle.
Pourtant, en mai dernier, lorsque la Fédération des Femmes du Québec
(FFQ) a pris la responsabilité d’ouvrir grandes les portes au voile islamique
dans la fonction publique du Québec, je n’avais nul autre choix que de dénoncer
cette prise de position qui nous disait abruptement, à nous femmes de culture
musulmane, qu’on doit s’accommoder de l’intégrisme lorsqu’il est musulman et
qu’il faut le combattre lorsqu’il est catholique.
C’est cette
bataille du port des signes religieux dans la fonction publique du Québec qui
se joue en ce moment sous nos yeux. Or, rappelez-vous d’une chose, le voile
islamique, quel qu’il soit, porte en lui la négation des femmes et leur
asservissement. Lorsque
les voiles avancent, les valeurs démocratiques reculent et les droits des
femmes avec.
Soyons nombreux à manifester, auprès de nos députés, notre aversion face au port de TOUS les voiles islamiques dans la fonction publique ainsi que dans les établissements scolaires aussi bien pour les enfants que pour leurs enseignantes.
Peuple québécois, j’ai besoin de ta solidarité concrète et agissante, aujourd’hui plus que jamais.