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Les Femmes en Egypte

Des Charges et pas de Privilèges

 

Par Mona el Naggar

International Herald Tribune du 14/07/10

pagetwo@iht.com

Traduit par Albert Soued, écrivain, http://soued.chez.com pour www.nuitdorient.com

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Hoda Gamil, 22 ans, est une des millions de femmes en Egypte ayant plongé par nécessité ou par circonstance dans le monde du travail. Alors que dans le passé, le fait de quitter la maison pour aller travailler était une libération pour certaines femmes, les Egyptiennes n'y ont trouvé aucune satisfaction et sont en train de vite revenir à la tradition.

 

"J'étais ambitieuse et j'avais un rêve. Aujourd'hui je veux juste me marier et rester chez moi" dit Mme Gamil. "Mon seul espoir est de me reposer quand je serai mariée"

Elle se lève à 7h, prépare le petit déjeuner pour ses 2 jeunes frères, les emmène à l'école, revient à la maison pour repasser quelques chemises et part au travail vendre des écharpes, dans un kiosque d'un centre commercial. La nuit, après avoir voyagé 1,5h dans un bus délabré bataillant dans le trafic du Caire, elle rentre dîner tard, étudie, puis finalement s'endort. Un boulot qui ne rapporte que seulement 100$/mois (75 euros), même avec les extras.

Cette histoire est toujours la même dans tous les pays où la tradition prive la plupart des femmes de toute opportunité et ne leur laisse comme choix que des corvées mal payées.

Mme Gamil a des charges mais aucun privilège des mâles. "Je me sens comme un homme. Ce sont les hommes, ici, qui sont supposés se battre et porter la charge de la famille. La femme est supposée apporter l'amour, l'affection et elle doit être à l'abri. Elle ne devrait pas être dehors tout le temps".

La plus âgée d'une famille de 4 enfants, Mme Gamil est dans sa 4ème année d'études de comptabilité. Elle a pris en charge la famille quand son père, ouvrier du bâtiment inculte et asthmatique, a pris sa retraite à 51 ans, alors que sa mère était trop grosse pour continuer à coudre des vêtements dans une usine, pour moins de 50 $/mois.

Au début, quand elle avait 19 ans, elle a travaillé comme secrétaire dans une petite société qui vendait des climatiseurs. Elle aimait le travail de bureau et son salaire était le double de ce qu'elle gagne en vendant des écharpes. Mais son patron était un peu trop attentionné – il laissait tomber des objets, lui demandant d'aller les ramasser… Quand elle s'est plainte auprès de collègues, son patron l'a appris, et elle a été licenciée.

 

La présence accrue de femmes dans le monde du travail n'a pas changé  fondamentalement l'attitude dominante à leur égard dans la vie publique. Dans un sondage récent réalisé par Pew Research Center de Washington en coopération avec le journal International Herald Tribune, l'Egypte apparaît comme un pays où les femmes dans le monde du travail se trouvent clairement à l'arrière par rapport aux hommes et l'égalité des droits est un objectif plutôt qu'un acquis. 61% des interviewés égyptiens pensent que les femmes devraient être autorisées à travailler à l'extérieur, mais 75%pensent que comme les boulots sont rares, les hommes devraient avoir la priorité.

"Plus de femmes travaillent, mais ce n'est pas les boulots qu'elles trouvent qui les libèrent" dit Iman Bibars, présidente de l'Association pour le Développement et l'émancipation des Femmes (Le Caire). "Alors beaucoup de femmes des jeunes générations ne souhaitent plus travailler. C'est régressif et réactionnaire !"

"Alors que les femmes travaillent, les moeurs traditionnelles l'emportent dans la société" note Madiha el Safty, professeur de sociologie à l'université Américaine du Caire.

Pour l'égalité des sexes, l'Egypte est placée 120ème sur 128 pays par le World Economic Forum Global Gender Gap Report, qui insiste sur les faibles performances en matière de politique à l'égard des femmes et des possibilités réelles de celles-ci dans l'économie.

 

En fait, les choses vont de mal en pis. Par tradition, le secteur administratif a toujours été accueillant vis-à-vis des femmes. Avec la privatisation croissante de l'économie, les femmes sont perdantes. Selon le rapport du Conseil de la Population, le chômage des femmes de 15 à 29 ans est de 32%, comparé à 12% pour les hommes.

Les femmes occupent seulement 8 sièges au Parlement sur 454 sièges et 5 d'entre elles sont nommées par le Président. Il y a 3 femmes ministres et aucune femme gouverneur sur 29. Quand des femmes ont demandé à être juges au Conseil d'Etat, la cour administrative suprême, le Conseil a voté contre, disant que les femmes étaient trop émotives et leurs obligations de mère ne les disposaient pas à la fonction. Le 1er ministre Ahmed Nazif a fait appel, mais aucune femme n'a encore été nommée. De même au Parlement, le parti du gouvernement, le Parti National Démocratique a passé une loi donnant un quota de 64 sièges aux femmes, pour les 2 prochains quinquennats, commençant en automne.

"Les sphères de la loi et de la politique sont rarement ouvertes aux femmes de modeste condition, comme Mme Gamil", note Fayzah et Tahnawy, membre du parti de Mr Moubarak et ex-députée de la région conservatrice de Miniah. "Seules les femmes riches peuvent se permettre d'avoir des ambitions, alors que la grande majorité fait partie des classes moyennes et surtout pauvres". De plus l'illettrisme est très élevé – selon une étude du Marché du travail Egyptien, 47% des femmes à la campagne et 23% en ville ne savent ni lire ni écrire. "C'est pourquoi, nous sommes obligés d'instituer le système des quotas, pour laisser une place aux femmes en politique. Cela ne se fait pas tout seul", poursuit-elle.

 

Il n'est pas clair comment toutes ces mesures vont aider Mme Gamil. Elle poursuit ses études avec opiniâtreté, et en été, elle étudie l'anglais. Elle cherche un job dans la banque, car les horaires sont décents (jusqu'à 14h): c'est le seul moyen d'avoir une vie digne et un mariage heureux. "Aujourd'hui je suis une machine, sans aucune possibilité de promotion, ni d'augmentation de salaire, c'est sans pitié, où se trouve l'épanouissement dans tout cela ?"

Il est 23h et Mme Gamil fait le total des ventes de la journée, donne l'argent au patron et ferme le kiosque. Elle transporte de l'okra surgelée que sa mère cuisinera pour le dîner. Elle court pour ne pas rater le bus, regarde par la fenêtre et à mi-chemin, parle enfin "Rien que ce trajet, plein de secousses et de cahots, va certainement me tuer !"

 

 

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