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Le Huitième Front de la Guerre d’Israël

 

Par Pierre Lurçat

pour Dreuz.info

16/12/24

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1 - Le « Deep State » contre la démocratie israélienne

Les propos délirants de l’ancien chef d’état major Moshe Yahalon ont une fois de plus mis en lumière le phénomène inquiétant de ces « gatekeepers » devenus des contempteurs de leur propre armée et de leur propre État, et ce alors qu’Israël est plongé dans une guerre existentielle sur sept fronts…

Ce phénomène ne concerne pas seulement l’avant 7 octobre – car ce sont ces gatekeepers qui ont contribué à ouvrir les portes aux terroristes du Hamas – mais il interroge aussi l’avenir de l’état d’Israël.

 

Le « huitième front » de la guerre actuelle pourrait ainsi être défini comme celui qui oppose d’un côté le pouvoir élu démocratiquement et, de l’autre le pouvoir du « Deep State », c’est-à-dire des anciennes élites qui refusent obstinément de céder leur pouvoir et de renoncer à leurs privilèges. Ce qui rend cette situation – qui dure déjà depuis plusieurs décennies – inédite et dangereuse est le fait que les représentants du « Deep State » et, au premier plan, les « gatekeepers » qui en sont devenus les porte-parole attitrés, ne reculent devant aucun moyen dans leur tentative pour faire tomber le gouvernement élu.

Après avoir échoué à cinq reprises à gagner le pouvoir par les urnes et après avoir intenté plusieurs procès contre le Premier ministre pour des raisons futiles, ils ont franchi une nouvelle étape dans leur combat sans merci en utilisant le Shin-Beth, le service de sécurité intérieure, comme un bras armé et comme une véritable police politique au service de leurs intérêts étroits…

Cette guerre intestine pourrait se transformer en une véritable guerre civile, si elle opposait deux camps aussi déterminés d’en découdre l’un que l’autre. Elle ne l’est pas devenue pour une seule raison : aujourd’hui comme hier (de la “Saison” à l’Altalena), le camp de la droite, dans son immense majorité, refuse toute guerre intestine et prône l’unité face aux ennemis extérieurs.

La gauche de son côté, fidèle à l’héritage de ses pères fondateurs qui n’ont jamais totalement accepté la légitimité du camp sioniste révisionniste, affirme sans relâche que l’ennemi principal n’est ni le Hamas ni le Hezbollah mais qu’il est.. B. Netanyahou !

Or il ne s’agit pas seulement d’un slogan – stupide et criminel – des manifestants de Kaplan et d’ailleurs, mais bien d’une conviction profonde et solidement ancrée dans l’éthos antidémocratique du camp des « tout sauf Bibi ».

Cette affirmation en elle-même dangereuse est devenue pour ainsi dire l’unique leitmotiv d’une gauche qui a perdu tout espoir de regagner le pouvoir par les urnes. Dans la suite de cet article nous verrons comment la récente affaire Feldstein permet de comprendre la responsabilité immense des gatekeepers et du « Deep State » dans le 7 octobre.

 

2 - Tsahal : armée du peuple ou “armée de la Cour suprême” ?

 

 

L’offensive menée par le “Deep State” sur le front judiciaire et les propos de l’ancien procureur de l’Etat appelant à l’insubordination montrent que les leçons du 7 octobre n’ont pas été tirées. Aux yeux du camp “tout sauf Bibi”, le Premier ministre demeure “l’ennemi à abattre”, même au milieu de la guerre existentielle qui dure depuis 14 mois.

Pendant les longs mois de crise et de luttes intestines qui ont précédé (et qui ont précipité) l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023, les manifestants anti-Nétanyahou ont employé l’expression sibylline de “crise constitutionnelle”, dont la signification était alors difficilement compréhensible. Comment peut-il y avoir une “crise constitutionnelle” dans un pays dénué de Constitution véritable ? Pour expliciter cette expression, les opposants au gouvernement affirmaient que l’armée devait obéir à la Cour suprême et non au pouvoir élu… Or ce scénario, qui paraissait alors très improbable, s’est en fait réalisé sous nos yeux, et il est sans doute une des explications du fiasco du 7 octobre.

 

La récente affaire Feldstein permet en effet de rassembler les morceaux épars du puzzle pour comprendre un aspect essentiel de l’échec phénoménal du 7 octobre : celui du renseignement et de l’information. Si le conseiller militaire du Premier ministre Eli Feldstein et d’autres soldats ont été incarcérés et maintenus au secret pendant de longues semaines, sans pouvoir rencontrer d’avocat, parce qu’ils avaient voulu communiquer des documents au Premier ministre (!), cela signifie que dans la nouvelle réalité politique créée par les tenants d’un « gouvernement des juges », le Premier ministre n’est plus le pouvoir suprême.

Nous sommes aujourd’hui en mesure de comprendre que, dans les mois fatidiques qui ont précédé le 7 octobre, l’état-major de l’armée était devenu un pouvoir indépendant de tout contrôle politique, qui s’était coupé à la fois de la base de l’armée (comme l’illustre l’exemple tragique de ces courageuses observatrices de Tsahal, qui ont vainement averti leurs supérieurs de ce qui se passait à la frontière de Gaza) et de l’échelon politique, auquel l’armée est supposée obéir dans une démocratie véritable.

 

Or, dans la version déformée de la démocratie, élaborée par les tenants du “pouvoir des juges”, l’armée n’obéissait plus au gouvernement mais uniquement aux élites judiciaires-médiatiques-sécuritaires, qui constituent le pouvoir véritable du “Deep State” israélien… Ainsi le slogan agité comme un épouvantail de la “crise constitutionnelle” (“l’armée n’obéit pas au gouvernement mais à la Cour suprême”) était devenu une réalité ! Le fameux pouvoir judiciaire que redoutait David Ben Gourion s’est matérialisé et il porte une lourde responsabilité dans l’avant 7 octobre.

Ce à quoi nous avons assisté le 7 octobre, c’est ainsi l’absence de l’état-major, qui était occupé par sa lutte politique et totalement aveugle aux menaces du Hamas, et qui a volontairement refusé d’informer le Premier ministre jusqu’aux premières heures du samedi noir, et l’action héroïque des soldats et policiers qui ont sauvé la situation malgré l’impéritie de l’état-major. L’armée du peuple a sauvé le pays pendant que “l’armée de la Cour suprême” était aux abonnés absents !

 

Et depuis ? L’armée a certes été progressivement reprise en main par le gouvernement, surtout depuis que Yoav Galant a laissé la place à Israël Katz. Mais l’état-major continue de montrer ses vélléités d’indépendance vis-à-vis du pouvoir élu, comme l’a montré la récente sortie du porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, contre la loi Feldstein adoptée par la Knesset. L’offensive menée par le “Deep State” sur le front judiciaire et les propos de l’ancien procureur de l’Etat appelant à l’insubordination montrent que les leçons du 7 octobre n’ont pas été tirées. Aux yeux du camp “tout sauf Bibi”, le Premier ministre demeure “l’ennemi à abattre”, même au milieu de la guerre existentielle qui dure depuis 14 mois.