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APRES L’AVEU D’OBAMA,
LES VERITABLES RAISONS DE L'ECHEC AMERICAIN
AU PROCHE-ORIENT
Par Jean-Pierre Bensimon
pour Objectif-info, le 25 janvier 2010
http://www.objectif-info.com/index.php?id=1359
Barack Obama vient de faire une déclaration surprenante à Time Magazine. (1) Il reconnaît dans cette interview que sa politique au Proche Orient n’a pas donné les résultats voulus : "L'autre sujet qui mérite à mon sens d’être souligné, c’est que le processus de paix au Moyen-Orient n'a pas avancé. Et je pense juste de dire que malgré tous les efforts que nous avons prodigués dès le début, nous n’en sommes pas là ou j’aurais voulu"
et plus loin "Je pense qu’il est tout à fait vrai que cette année n’a pas été celle de la percée que nous voulions, et si nous avions prévu plus tôt l’existence de certains problèmes politiques des deux cotés, nous n’aurions pas encouragé des espoirs aussi grands"
Comment le président américain explique-t-il cet échec ? D’abord par la difficulté du problème: "c’est le problème le plus insoluble [intractable] qui soit".
Ensuite par l’erreur de son envoyé. "A mon avis c’est parce que George Mitchell a passé plusieurs mois à négocier un accord sur les implantations pour obtenir quelques progrès des Israéliens et qu’il a été aveuglé par ce résultat, ne voyant pas que ces progrès n’étaient pas suffisants pour les Palestiniens"
L’insatisfaction des Palestiniens devant les concessions trop mineures obtenues par Mitchell, voila pourquoi l’on a si peu progressé. Le dernier motif d’échec tient aux divisions intérieures des deux parties. " …les Israéliens et les Palestiniens ont estimé que leur environnement politique, la nature de leur coalition et les divisions au sein de leurs sociétés, étaient tels qu'il leur était très difficile de s'engager dans des négociations de grande envergure"
Que propose-t-il désormais ? De continuer sur la même voie : "nous allons continuer à travailler avec des parties pour reconnaître ce que je pense être en définitive leur intérêt profond à l’aboutissement de la solution des deux états qui donnera à Israël la sécurité et aux Palestiniens la souveraineté … ".
Le constat d’Obama est irréfutable : le processus de négociations qu’il voulait mener à toute allure dès le début de son mandat, pour ne pas être pris par le temps comme Bill Clinton et de Georges W Bush, s'est enlisé comme jamais. Mahmoud Abbas et son principal lieutenant pour les négociations, Saeb Erekat, avancent pour le compte des Palestiniens de Ramallah des exigences nouvelles. Ils veulent un gel total de toute activité de construction dans le périmètre des implantations et à Jérusalem Est, et même une reconnaissance des lignes de 1967 comme frontière et la partition de Jérusalem, avant de fixer le moindre rendez-vous.
Pour illustrer cette attitude, Benjamin Netanyahou a eu une image amusante mais très parlante : "Les Palestiniens ont grimpé dans un arbre et ils s'y sentent bien. Des gens leurs apportent des échelles. Nous leurs apportons des échelles. Et plus les échelles sont hautes, plus ils grimpent haut" (2)
Pour sortir de ces surenchères, plusieurs responsables israéliens ont déclaré la phase des concessions définitivement close.
Ce blocage total, Obama l’impute à la maladresse supposée de son envoyé et aux divisions internes des deux parties en conflit qui paralyseraient leurs responsables.
Dans la logique des mœurs politiques de Chicago où il a appris à faire de la politique, Obama se garde bien d’évoquer ses propres responsabilités. C’est là une vraie lacune car on voit mal comment progresser un jour si l’administration américaine de procède pas à une évaluation sérieuse de son action.
Dans son remarquable essai sur les alternatives à la solution à deux états, Giora Eiland, l’ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, propose une étude éclairante des erreurs cumulées des Américains au Proche-Orient depuis le 21 janvier 2009. (3) Il identifie sept hypothèses retenues par l’administration d’Obama, entièrement ou partiellement erronées, qui ne pouvaient que déboucher sur l’impasse d’aujourd’hui. Ces idées fausses nous sont familières car elles constituent en Europe aussi un chapelet d’évidences que fâcheusement, nul ne semble être autorisé à contester.
1) L’aspiration « suprême » des Palestiniens est d’obtenir une indépendance dans les limites de 1967. Cette certitude néglige l’énergie déployée par les Palestiniens pour refuser un état pour toutes les raisons du monde, depuis la première proposition qui leur a été faite en 1937 par Lord Peel jusqu’à celle de 2008 d'Olmert qui prévoyait une rétrocession de 100% du territoire et le partage de Jérusalem. Les conditions successives que Mahmoud Abbas empile aujourd’hui, non pour signer un accord mais pour s’asseoir à la table des négociations, est une manifestation de plus de cet empressement palestinien à ne rien décider d’irréversible en faveur d’un état palestinien.
2) L’écart entre les positons israéliennes et palestiniennes est facile à combler. Cette affirmation suppose que l’on sait déjà assez précisément ce que sera un règlement final du conflit. Nicolas Sarkozy la reprend sans cesse pour faire de quelques concessions israéliennes supplémentaires la clé de la paix. En réalité tout examen sérieux du conflit dans ses dimensions régionales, historiques, idéologiques et religieuses montre que non seulement l’écart est énorme, mais que la disparition d’Israël est la condition de la satisfaction des Palestiniens.
3) Les état arabes désirent la fin la plus rapide du conflit. C’est inexact car dans quasiment tous les pays arabes Israël est le moyen commode de détourner le désespoir des peuples sur un bouc émissaire imaginaire. Et pour tout état arabe, une reconnaissance d’Israël laisse du champ à une opposition extrémiste toujours prête à accuser le pouvoir en place de capitulation et de trahison de l’Islam.
4) La fin du conflit apportera la stabilité. Si jamais le conflit s’achève sur une solution à deux états, le risque est grand de voir le Fatah passer des alliances avec des états voyous et le Hamas prendre le dessus en Cisjordanie. La solution aura alors apporté comme à Gaza une déstabilisation générale et une issue sanglante.
5) La résolution du conflit permettra d’obtenir l’aide des Arabes dans un front contre l’Iran. Il faudrait donc prier les Arabes d’agir pour se préserver de l’Iran. La réalité est à l’exact opposé : les Arabes (Égypte, Arabie saoudite, Jordanie, états du Golfe) ont une peur panique de l’axe syro-iranien et de ses commandités à Gaza, au Liban et au Yémen, sans oublier le Soudan. Ils sont profondément affectés par la passivité de l’administration Obama qu’il pressent vainement d’éliminer la menace iranienne.
6) Il y a actuellement une chance de résoudre le conflit qu’il ne faut pas gaspiller. On cherche vainement dans la situation d’aujourd’hui des motifs exceptionnels d’espérer un accord. Les Palestiniens sont divisés par de féroces antagonismes, le pouvoir de Ramallah est peu populaire, Abbas est le contraire d’un chef charismatique. Et les atermoiements actuels des chefs palestiniens devant la perspective d’une négociation complètent un tableau ou les chance d’un accord ont rarement été plus lointaines.
7) La seule solution possible au conflit est la solution à deux états avec en son cœur la création d’un état palestinien dans les frontières de 1967 et la partition de Jérusalem. On a vu que les chefs palestiniens ne veulent pas de ce qui serait à leur yeux un mini état, et pire encore une reconnaissance d’Israël. Du coté Israélien aussi, on n’est pas prêt pour des raisons de sécurité élémentaires et facilement compréhensibles à laisser des forces armées hostiles s’installer à quelques centaines de mètres de tous les centres de pouvoir du pays (Jérusalem) et à quelques kilomètres des centres vitaux du pays démographiques, économiques et technologiques, sans compter l’aéroport international.
Ces vérités "indiscutables" en Europe et dans l’Amérique d’Obama sont trop évidemment fausses pour avoir été brandies de bonne foi des deux cotés de l’Atlantique. L’Europe croit assurer la sécurité de ses approvisionnements en pétrole, obtenir quelques fructueux marchés, et espérer des placements financiers arabes en accablant Israël avec la pire violence et en faisant mine d’épouser la « cause » palestinienne. C’est un marché de dupes bien sûr. Les Européens se moquent de la cause palestinienne autant que les pays arabes. Le "palestinisme" est un langage de politesse, une manière de courtoisie euro-arabe : nul n’y croit, tous savent que l’autre n’y croit pas, mais chacun s’y plie.
Pour les Etats-Unis, les choses sont un peu plus complexes car l’Oncle Sam assure la liberté des flux pétroliers et commerciaux par une présence militaire et un système d’alliances. Depuis la chute de l’empire soviétique, ils ont moins besoin d’Israël pour protéger les dynasties arabes. D’où les politiques de pression continue sur Israël, inaugurées par Bush père et son fidèle James Baker qui ont débouché sur les "processus de paix". Elles consistaient à répondre favorablement aux demandes arabes hostiles à Israël : en 1991 Israël n’était plus aussi indispensable aux Arabes et aux Américains pour faire barrage aux soviétiques et à leurs amis nationalistes arabes.
Tous les présidents américains depuis Bush père ont donné la priorité à leur alliance arabe sur leur relation avec Israël, avec brutalité sous Bush 1, de façon insidieuse sous Bush 2 et avec une virulence humiliante sous Obama.
En même temps Israël, pays organisé, avancé et rompu aux défis militaires demeure un facteur de stabilité et un verrou indispensable contre le jihadisme dans la région. Les pressions américaines parfois si violentes qu’elles font tanguer la société israélienne se heurtent à la limite que constitue la pérennité d’un allié local solide, même si l’on se moque totalement de son identité, de ses aspirations profondes et de ses intérêts fondamentaux.
Il semble qu’avec son aveu d’échec Obama se soit rendu compte que les Palestiniens ne sont pas prêts à accepter des compromis compatibles avec la stabilité du Proche Orient, puisque la satisfaction de leurs demandes minimales conduirait à la montée des menaces jihadistes et aux ripostes inéluctables d’Israël. C'est-à-dire à la guerre. Il semble donc que l’on soit en train d’entrer dans une phase de gel de l’activisme américain dans le conflit israélo-palestinien.
Si c’est le cas, il est assez prévisible qu’Israël n’en sera pas fâché. Mais pendant que le président américain explore les limites de la démagogie, l’Iran avance ses pions nucléaires et poursuit sa poussée subversive dans le monde arabe. La menace est là. Et la Maison Blanche est toujours occupée par un néophyte aux convictions un peu étrangères à l’esprit de son pays, comme l’a remarquablement analysé Armand Laferrère. (4)
Notes
(1) Q&A: Obama
on His First Year in Office par Joe Klein, Time Magazine jeudi 21 janvier
2010
http://www.time.com/time/politics/article/0,8599,1955072,00.html
(2) Netanyahu tourne Abbas en ridicule avant la visite de Mitchell Dépêche
de Reuters 21 janvier 2010
(3) Regional Alternatives to the Two-State Solution The Begin-Sadat
Center for Strategic Studies janvier 2010 http://www.biu.ac.il/SOC/besa/docs/BM4En.pdf%20
(4) Revue Commentaire Comment Obama a échoué n° 12 Hiver 2009/2010 « Ce
n’est pas tant la naïveté qui surprend dans la politique étrangère d’Obama que
le simplisme idéologique qui l’accompagne »