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Paradoxe du Hamas qui Exige la Libération de Barghouti

 

Par Jacques BENILLOUCHE

© Temps et Contretemps

23/01/2020

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Dans les négociations secrètes qui ont lieu sous l’égide de l’Égypte pour la libération de prisonniers israéliens et palestiniens, le Hamas exige paradoxalement la libération du leader du Fatah, Marwan Barghouti. Israël a refusé ces conditions fixées par le Hamas. Quand le sort de prisonniers israéliens est en jeu, on ne comprend pas l'entêtement du gouvernement israélien à refuser l'élargissement d'un chef terroriste emprisonné déjà depuis 18 ans. Libre, il restera toujours dans le viseur des services de sécurité intérieure, le Shin Beit, et son activité restera uniquement politique car le retour à la case prison sera son épée de Damoclès. Par ailleurs il n’est pas interdit de penser que le syndrome de Stockholm ait agit sur lui et qu’il aura un autre comportement vis-à-vis des Israéliens avec lesquels il a cohabité.

 

On s’étonne cependant de l'exigence des négociateurs car la guerre entre le Fatah et le Hamas fait rage depuis longtemps, entraînant même des morts sur le terrain. Après avoir obtenu l'autorisation des autorités égyptiennes pour quitter Gaza où il était confiné, le chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, a entamé en décembre 2019 une tournée à l’étranger à travers plusieurs pays, sur une durée de plusieurs mois.

 

Son premier déplacement était prévu à Istanbul à partir de l’aéroport du Caire. Après la Turquie le planning prévoyait aussi la Malaisie, le Qatar et surtout l'Iran ce qui ne plait absolument pas à l'Egypte. D’autres escales sont planifiées. Il restera plusieurs mois à l'étranger ce qui est une décision incomprise. Il a quitté Gaza via le terminal de Rafah pour des entretiens avec des responsables égyptiens. Accompagné de Ziad Al-Nakhalah, chef du djihad islamique, il a rencontré le général de division Abbas Kamel, directeur des services de renseignements généraux égyptiens. Ces échanges visent à définir les conditions d’un nouvel accord d'échange de prisonniers entre le Hamas et Israël.

 

Les Brigades Al-Qassem, branche militaire du Hamas, ont publié une vidéo et montré des photos de quatre israéliens prisonniers dont deux soldats, Oron Shaoul et Hadar Goldin, disparus lors de la guerre contre le Hamas de 2014, sans préciser leur état bien que le gouvernement Netanyahou les considère comme morts. Le Hamas refuse de révéler le sort des deux autres Israéliens, le juif éthiopien Avera Mengistu et l'arabe Hicham al-Sayed, qui ont tous deux volontairement pénétré la bande de Gaza en 2014.

L’accord presque finalisé comprenait la libération de 50 Palestiniens qui avaient été à nouveau arrêtés après leur libération à la suite de l’accord Guilad Shalit. Mais il a achoppé sur un point précis. Dans la liste des prisonniers à élargir figurait Marwan Barghouti, membre du Comité central du Fatah et secrétaire général du FPLP (Front populaire pour la libération de la Palestine). Mais Israël a refusé l'inclusion de Barghouti dans l’accord d'échange, ce qui a poussé le Hamas à suspendre les discussions. Les pays médiateurs se sont engagés à faire pression sur Israël pour qu'il accepte ces demandes.

 

Moussa Dudin, responsable du Hamas en charge du dossier des prisonniers, a révélé que des pays arabes et occidentaux, principalement l'Égypte, la Turquie, le Qatar, la Suède et l'Allemagne, ont décidé de rédiger un nouvel accord d'échange de prisonniers. On cherche cependant à comprendre pourquoi le Hamas, en guerre ouverte avec l’Autorité palestinienne et le Fatah, insiste autant pour la libération de Marwan Barghouti.

En fait la succession du président Mahmoud Abbas est ouverte. Les Israéliens sont favorables au statu quo avec une personnalité qui maintiendra la coordination sécuritaire entre l’AP et Israël. Or, la lutte pour le leadership au sein du Fatah s'intensifie pour diriger le mouvement dans l'ère post-Abbas.

 

Deux groupes sont susceptibles d'émerger en tant qu’ailes principales du mouvement. Abbas lui-même semble favoriser le groupe dirigé par le chef adjoint du Fatah, Mahmoud al-Aloul, membre du Comité central et ancien gouverneur de Naplouse, principal centre d'affaires de la Cisjordanie. Cette faction a aussi le soutien de l'actuel Premier ministre, Mohammad Chtayyeh et du puissant chef du renseignement palestinien, Majeed Faraj. L'autre groupe est dirigé par le secrétaire du Fatah et ancien chef de la sécurité préventive, le général Jibril Rajoub, membre du Comité central. Aloul dispose d'une solide base de soutien à Naplouse et dans le nord de la Cisjordanie, y compris les camps de réfugiés, en particulier Balata. Rajoub dispose d’un soutien dans le su d de la Cisjordanie, ainsi que celui de Mohamed Dahlan, l’ancien leader destitué en conflit avec le président de l’AP.

Les deux camps sont dirigés par des chefs militaires inconnus à l’étranger mais il est certain que celui qui dirige le Fatah détient le véritable pouvoir. Marwan Barghouti est un candidat sérieux. Il a obtenu le plus grand nombre de voix, 930 sur 1.400, lors du septième congrès général du Fatah tenu en décembre 2016 pour le Comité central à Ramallah. Il a déclaré publiquement sa candidature aux élections présidentielles malgré sa détention. Barghouti penchera certainement pour Jibril, qui a été avec lui l’un des dirigeants de la première Intifada.

 

C’est dans ce climat que le Hamas insiste sur la libération de Barghouti et son retour sur la scène politique en Cisjordanie. Les Islamistes de Gaza estiment que, s’il est certes la personne la plus proche du Fatah, ils approuvent ses formes de résistance contre Israël. Ils sont certains de s’entendre avec lui. En effet, il a appelé à un dialogue national complet et critiqué la coordination sécuritaire avec les Israéliens. Il a souligné que «cela n'a pas de sens que l'autorité, qui est censée être un pont vers la liberté et l'indépendance, soit le gardien de l'occupation». Sur le plan intérieur il a déclaré : «Je vois une nécessité urgente et fondamentale de tenir un dialogue dans lequel tous les membres du Comité central du mouvement Fatah et les membres du bureau politique du Hamas participeront à la préparation de la conférence de dialogue national complet, dans laquelle tous les dossiers seront discutés, accord sur la base d'un partenariat et formulation d'une stratégie palestinienne».  

Barghouti a estimé que «la tenue d'un tel dialogue entre les dirigeants du Fatah et du Hamas ouvrirait la voie à une conférence nationale complète». Il a appelé à la formation d'un gouvernement d'unité nationale complet qui s'emploierait à reconstruire et à mettre fin au siège de la bande de Gaza. Il a également appelé à l'unification des services de sécurité et financiers à Gaza et en Cisjordanie, à l'interdiction de toute activité partisane et politique en leur sein et à travailler sur un système judiciaire palestinien unifié et indépendant, respectant les droits des femmes.

Ce programme est dans le droit fil de celui du Hamas et l’on comprend ainsi l’exigence de ses dirigeants. Par ailleurs Barghouti est considéré comme le plus populaire parmi les dirigeants du Fatah. Il purge cinq peines de réclusion à perpétuité et 40 ans de réclusion depuis le 15 avril 2002. Le Hamas reproche à l'Autorité palestinienne de n’avoir jamais fait pression sur Israël pour qu'il libère Barghouti

De son côté, Israël n'est pas prêt à engager des pourparlers sérieux pour un nouvel accord d'échange de prisonniers avec le Hamas, en l'absence d'un nouveau gouvernement israélien. Mais dans le fonds, Netanyahou préfère Mahmoud Abbas, faible et illégitime ou à la rigueur un de ses proches. Mais nombreux sont les prétendants du Fatah qui estiment que le retour de Barghouti à la vie politique au sein du Fatah pourrait tuer leurs chances d'atteindre le sommet.  

 

Cela explique ainsi la stratégie du Hamas qui veut miser sur Barghouti pour modifier la distribution des cartes et reprendre son influence en Cisjordanie. Pour cela, le leader du Fatah doit être avant tout libéré de prison par une décision du gouvernement israélien