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LES FRERES MUSULMANS
A LA LOUPE
Par Zvi Mazel
Jerusalem Post - 15.04.10
Les Frères musulmans ont, depuis la mi-janvier, un nouveau guide : Mohammed Badie. Une succession qui intervient à un moment critique. Il y a quelques mois, Mohammed Mahdi Akef, à la tête du mouvement depuis six ans, avait décliné un nouveau mandat. Une volte-face qui avait alors dégénéré en crise. Mais la tempête couvait depuis un long moment. Car Akef a toujours adopté un langage hostile. Non seulement, il soutenait ostensiblement l'Iran et le Hamas, mais il y a un an, il était allé jusqu'à déclarer qu'il préférait voir un Musulman malaisien sur le fauteuil présidentiel égyptien qu'un Copte.
En parallèle, de nombreuses voix à l'intérieur du mouvement appelaient à la réforme. Lorsque le guide fatigué a compris qu'il ne pourrait pas combler le fossé entre radicaux et réformateurs, il a préféré se retirer. La jeune génération veut secouer le joug de la vieille garde et démocratiser le groupe. Elle a longtemps placé tous ses espoirs dans le numéro 2 du mouvement, Mohammed Elsayed Habib. Mais ce dernier a démissionné, en décembre dernier, de son fauteuil au Comité exécutif en protestation à la politique du guide suprême.
Et le mécontentement n'a fait que s'aggraver lors des élections qui suivirent et qui avaient pour mission de renouveler les sièges du Comité exécutif et de désigner le nouveau visage du guide suprême. Néanmoins, une donnée a compliqué le processus : le mouvement est officiellement interdit en Egypte. Le scrutin s'est alors tenu en secret. Conséquence : aucun contrôle. Une seule chose est sûre : Badie a été élu par les deux-tiers des membres du Comité exécutif et son ascension a semé le trouble parmi les réformistes.
Sous la souveraineté d'Allah
Les Frères musulmans sont loin d'être un mouvement démocratique ouvert au pluralisme. Ils demeurent loyaux à la doctrine religieuse extrémiste de leur fondateur, Hassan el-Banna en 1928, et de leur grand doctrinaire, Sayed Qotob. Ce dernier était encore plus controversé que Banna. C'est lui qui a radicalisé les positions du fondateur : restauration du califat ; création d'une seule nation pour tous les Musulmans sous la souveraineté d'Allah ; le Coran comme constitution et la sharia (loi islamique) comme système juridique. Pour Qotob, les sociétés arabes vivent dans un état de jahalia (l'ignorance du vrai islam), qui existait avant l'arrivée du prophète Mahomet et sont ainsi des "infidèles". La signification de ce programme est donc simple : combattre ces sociétés arabes trop permissives pour former un nouveau califat.
Pire encore, le doctrinaire a justifié sur des bases religieuses l'attaque d'Etats non musulmans pour les obliger à prendre le chemin de l'islam. Un cahier des charges familier. Et pour cause, il a été adopté par tous les mouvements djihadistes, dont Al-Qaïda. La doctrine prône la mort de civils innocents, de Musulmans et de non-Musulmans.
A 67 ans, Badie, vétérinaire de formation, est surtout un fervent disciple de Qotob. Les deux hommes ont été emprisonnés ensemble au milieu des années 1960 lorsque l'ancien président égyptien, Gamal Abdel Nasser, a tenté de faire tomber l'organisation. Pas surprenant donc que Badie appartienne à la frange la plus extrémiste du mouvement. Son élection aujourd'hui au poste suprême envoie un message fort : les Frères Musulmans ne comptent absolument pas changer de trajectoire. Certes, son premier discours après sa prise de fonctions a été celui de la modération. Badie a évoqué l'importance de l'unité à l'intérieur de l'organisation et s'est dit prêt à coopérer avec toutes les forces politiques du pays. Il a même souligné que les Frères musulmans n'étaient pas l'ennemi du régime égyptien.
Mais il y a peu de chance qu'un leader politique élu par les conservateurs devienne le plus grand des démocrates. Les vétérans les plus durs du mouvement forment aujourd'hui la majorité du Comité exécutif. Les réformistes ont accusé un revers cuisant aux élections de décembre : Habib et Abd Elmoneim Abu Alfoutouh, figures centrales du camp réformiste, n'ont pas été réélus. Le seul modéré encore à bord est Asam Elarian.
Organisation interdite mais
omniprésente
Le mouvement des Frères musulmans a été banni par le président Nasser en 1954 après une tentative manquée d'assassinat à son encontre. 60 000 membres avaient été mis sous les verrous et de nombreux leaders, dont Qotob lui-même, ont été exécutés. Badie, lui, a passé 9 ans en prison. A son arrivée au pouvoir, Anouar el-Sadate a libéré le futur guide et de nombreux autres membres, pensant que les Frères musulmans allaient l'aider à combattre les Nasséristes. Néanmoins, le mouvement demeurait officiellement illégal. Bannie, l'organisation a trouvé d'autres moyens pour survivre. Elle a fondé des groupes étudiants, s'est infiltrée dans tous les syndicats professionnels égyptiens avant d'en prendre le contrôle. Les Frères musulmans ont également fondé un grand nombre d'associations bénévoles pour aider les pauvres.
D'où un renouveau de la religion dans ses formes les plus extrémistes en Egypte ces précédentes décennies. Les Etats-Unis ont fait de gros appels du pied pour favoriser une ouverture démocratique au Caire. Pris en tenaille, le président Hosni Moubarak a autorisé la présence des Frères musulmans aux élections de 2005 sous l'étiquette d'"indépendants". Il constata son erreur trop tard : 88 membres du mouvement ont été élus, soit 20 % du nombre total de députés.
L'organisation paria devenait ainsi la plus importante force d'opposition du pays. Une opposition bruyante appelant constamment au rejet du traité de paix signé avec Israël et à l'expulsion de l'ambassadeur israélien.
Akef a marché sur les pas d'Ahmadinejad en déclarant, à plusieurs reprises, que l'Etat hébreu devait "disparaître de la carte". Malgré la présence du mouvement dans son gouvernement, Le Caire cherche par tous les moyens à saborder ses activités. Quelque 5 000 membres sont actuellement incarcérés et 40 institutions financières, porte-monnaie des Frères musulmans, ont été fermées ces deux dernières années.
Mais la jeune garde du mouvement veut aujourd'hui faire entendre sa voix, et prendre une part plus active dans la conduite politique. Devant le mur de la vieille-garde, elle s'est tournée vers Internet et la "blogosphère". Une démarche que les caciques n'ont pas vraiment appréciée. Mais pour désamorcer le conflit, les leaders ont annoncé leur volonté d'entrer dans l'arène politique et de lancer un parti. Ils ont même mis en place une plateforme pour étudier la question. Beaucoup de bruit pour rien : elle ne proposait pas les changements demandés par les réformistes.
Les femmes et les Coptes sont toujours exclus des postes les plus importants et les propositions de lois des députés affiliés aux Frères musulmans doivent toujours recevoir l'aval d'un conseil de sages religieux, un processus semblable à l'Iran. La loi égyptienne est claire : impossible de créer un parti politique avec une ligne religieuse. La demande des Frères musulmans n'a donc aucune chance d'être acceptée. Par ailleurs, une vaste majorité de la population égyptienne n'est pas prête à vivre selon les lois des leaders religieux. Finalement, la radicalisation du mouvement arrange le président Moubarak, car de telles positions ne pourront qu'affaiblir les Frères musulmans aux prochaines élections de novembre prochain.
Mais la vraie question est la suivante : la jeune génération va-t-elle courber l'échine devant les anciens ou poursuivre son combat ? Dans les années 1990, les réformistes avaient tenté de créer leur propre parti. Sans succès. Aujourd'hui, la scène politique égyptienne a changé. Une deuxième tentative pourra-t-elle se concrétiser ?