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Après la chute de Moubarak,
les fondamentalistes
salafis lèvent la tête
Par Edward Cody journaliste, avec l'aide de Mohamed Mansour, correspondant
Washington Post le 25/03/11
Traduit
par Albert Soued, http://soued.chez.com pour www.nuitdorient.com
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Village
de Doubana al Qabira (Grosse Mouche) - Egypte
La
révolution égyptienne a éclairci l'horizon de nombreux villageois de ce bourg
agricole et poussiéreux de 3000 âmes. La corruption a diminué à la mairie, la
police a cessé d'importuner les paysans et les hommes d'affaires obséquieux ont
cessé leurs magouilles juteuses autour des terres à vendre. Mais les gagnants
les plus évidents sont les sinistres barbus, à la barbe noire et longue, les
"salafis", fondamentalistes islamiques qui cherchent à appliquer
l'Islam pur et dur aux habitants de "Doubana al Qabira", à toute
l'Egypte, à tout le Moyen Orient.
Sous Hosni
Moubarak, des milliers de personnes ont été jetées en prison sans jugement et
sans accusation, indéfiniment, pour éviter que l'Egypte ne succombe à l'appel
au jihad d'Ossama ben Laden et de ses sbires d'al Qaeda. Ceci permettait à la
plupart des villageois de Doubana al Qabira de pratiquer alors un Islam
traditionnel, tolérant et bon enfant, auquel l'Egypte était habituée depuis
longtemps.
Depuis la
chute de Moubarak le 11/2 (1), de nombreux salafis emprisonnés sans jugement
ont été relâchés ici et partout dans le pays. Ils sont retournés chez eux et
les plus agressifs cherchent à imposer leurs vues radicales avec une hardiesse
qu'ils ne pouvaient jamais montrer auparavant.
Au bord du
Nil, à
Les jeunes
qui protestaient place de la Libération au Caire (midan el tah'rir) demandaient
une véritable démocratie à l'occidentale, un objectif applaudi partout. Les
généraux qui ont pris le pouvoir ont promis que cet objectif serait atteint.
Mais depuis le départ de Moubarak, un autre processus s'est mis en branle, un
processus que l'Occident aurait du mal à applaudir. "La plupart des
fermiers de Doubana al Qabira ont vu de loin la révolte se dérouler, sur leurs
écrans de télévision", dit Hussein Abdousattar, 58 ans, un employé
municipal, "mais ils ont approuvé les revendications". La
longue barbe grisonnante, Adel Shaaban dit que personne d'autre que les salafis
de Doubana al Qabira ne s'est autant réjoui
de cette révolution, car elle mettait fin à une longue période d'injustice
pendant laquelle les fondamentalistes étaient emprisonnés pour leurs
convictions. En sirotant un "Sprite", il dit "Aujourd'hui les
choses seront meilleures"
"Non
seulement les salafis ont été libérés et vaquent à leurs occupations, mais la
police s'est assagie et n'ose plus les poursuivre dans la rue, à moins qu'ils
ne transgressent sérieusement la loi" disent les villageois. "La
police n'a pas changé, mais avant, elle pouvait humilier les gens, aujourd'hui
elle se tait et ne dit plus rien", ajoute Hussein Abdousattar.
Les
salafis déterminés remplissent le vide
Environ
90% des votants de la région ont approuvé le référendum sur la Constitution du
19 mars, ce qui n'est pas le cas des jeunes qui ont mené les évènements de la
place de la Libération au Caire, car les amendements proposés étaient largement
insuffisants.
En
contraste, les chefs religieux "salafis" ont été le fer de lance de
la campagne en faveur de ces amendements et, d'une manière ou d'une autre, ils
ont influencé les 2/3 des familles du village, cherchant à imposer leurs vues à
la vie du village.
Un
vendredi tranquille, un tiers des hommes circulant dans les rues poussiéreuses
de Doubana al Qabira, portent "la jalabiya" traditionnelle, avec des
barbes non rasées et des coiffes islamiques de prière, symbole du
fondamentalisme. La plupart des femmes portent dehors des voiles couvrant la
totalité du visage, avec des robes amples, certaines complétant leur attirail
par des gants noirs, afin qu'aucune partie du corps ne soit visible.
Un
photographe palestinien accompagnait un journaliste américain qui visitait le
village. Il a été accosté par un prêcheur "salafi" qui lui a dit que
les étrangers ne pouvaient pas prendre de photos. Soutenu par une douzaine de
jeunes barbus, il a obligé le photographe à effacer ses photos. Appelé à la
rescousse un employé du téléphone a répondu qu'il ne pouvait rien contre
l'autorité du prêcheur. Dans une autre rue, un barbu, la tignasse bien huilée
et la robe immaculée, a interpellé les villageois qui conversaient avec le
journaliste américain, les sermonnant "vous êtes naïfs de vous confier
à un Occidental, car vous n'avez pas idée de ce dont il est capable…"
Mais,
soutenus par un commerçant du coin, les villageois l'ont envoyé promener, ce
qu'il fit avec humeur.
Depuis la
chute de Moubarak, on s'est surtout focalisé sur la confrérie des Frères Musulmans,
une organisation politique ancienne et considérée comme illégale par l'ancien
régime qui cherche à retrouver sa place aujourd'hui. A l'intérieur de cette
mouvance, les "salafis", plus radicaux, ne sont pas aussi bien
organisés, car ils n'ont pas de parti politique. La foi "salafi" qui
régit la conduite et la vie de tout un chacun a inspiré des mouvements souterrains,
notamment celui qui a assassiné le président Anwar al Sadat en 1981. Récemment,
lors du nouvel an, les salafis ont été accusés d'avoir fait sauter une église
copte à Alexandrie, où 21 personnes sont mortes. Dans le cadre de cet attentat,
on a arrêté un certain Sayed Bilal, mais il serait mort sous la torture avant
que l'enquête ne soit éclaircie. Cet homme est devenu un martyr
"salafi".
Les
"salafis" sont influents dans les villages éloignés où la plupart des
gens sont illettrés.
"Ils
ont relevé la tête et ils sont beaucoup plus remuants depuis la révolte",
dit Karam Saber, chef du Centre des droits de l'Homme à la terre, au Caire. Un
activiste des frères Musulmans, Kamal Samir Gadallah dit que les salafis ont
bénéficié d'une influence grandissante, à l'époque où la Confrérie était
persécutée, notamment au sud du Caire, et cela se poursuit depuis qu'on a vidé
les prisons et que l'état de siège a été levé. Il ajoute "il suffit de
savoir que dans certains villages les salafis ont un contrôle absolu. Avec le
succès de la révolution, ils se sont mis pour la première fois à parler
politique "
Note de www.nuitdorient.com
(1) Le
11/2 était un jour férié longtemps en Egypte, jour de la naissance du roi
Farouk.