www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
Sinaï- Le Royaume Des Bédouins
Terrorisme, drogue et contrebande
Par Zvi
MAZEL
Ancien ambassadeur d’Israël en
Égypte
Voir
aussi les 50 derniers articles
et tous les articles sur l'Egypte
Un territoire trois fois grand
comme Israël, tour à tour montagneux et désertique et d’un accès difficile.
Trois cent mille bédouins vivent là ; plus d’un quart nomadisent encore à
travers ses vastes espaces. L’Égypte peine de plus en plus à y asseoir un
semblant d’autorité. Si la péninsule du Sinaï fait partie du pays des Pharaons
depuis l’aube de l’histoire, les tribus bédouines qui sont venues s’y installer
il y a des centaines d’années ont toujours bénéficié d’une large autonomie.
Elles ont leur propre système judiciaire, qui repose sur leurs coutumes
ancestrales. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIXème siècle que le
gouvernement central s’intéressa de plus près à la région et tenta d’y imposer
le système judiciaire du pays.
Droit local
En fait, il s’agissait surtout
alors de protéger des intérêts sécuritaires : assurer le libre passage des
biens et des marchandises, permettre aux fidèles musulmans se rendant en Arabie
Saoudite pour le «Hadj» et aux pèlerins chrétiens, en route vers le
monastère de Sainte Catherine, de traverser la péninsule sans être harassés ou
rançonnés par les bédouins. Le Caire ne cherche pas à s’immiscer dans les querelles
locales, le droit des personnes et les conflits tribaux qui sont laissés aux
tribunaux coutumiers. Un état de fait qui perdure encore, les juridictions
bédouines fonctionnant toujours à côté des tribunaux nationaux.
A la suite de la Guerre-des-Six
Jours, le Sinaï passe sous le contrôle israélien. Une situation qui va durer
jusqu’à l’évacuation de la péninsule en juin 1982 dans le cadre des accords de
paix. Israël construit des routes, les entretient et jette la base d’une
infrastructure touristique. Les touristes israéliens affluent ; la région
connaît un boom économique inattendu. Les relations entre israéliens et
bédouins sont alors excellentes. Après l’évacuation, les égyptiens vont
développer le potentiel touristique. De luxueux hôtels apparaissent sur la côte
orientale tandis qu’à El-Arish se construisent
des villages de vacances à l’intention des égyptiens aisés. Le gouvernement
prend des dispositions spéciales pour empêcher les «étrangers» d’acquérir des
terres dans la région. Il s’agit évidemment des israéliens, plus que jamais
considérés avec méfiance sinon hostilité ; la zone frontalière,
démilitarisée en fonction du traité de paix, est surveillée de près.
Attentats
Les bédouins sont les laissés
pour compte de cet essor. C’est du Caire que viennent les milliers
d’employés nécessaires au fonctionnement des hôtels et des villages. Aux
bédouins les tâches les plus humbles ; ils continuent à faire paître leurs
troupeaux. Mais un vent de révolte se lève ; les bédouins manifestent pour réclamer
que leurs villages soient reliés aux réseaux d’électricité et d’eau. Les heurts
avec les forces de l’ordre se font de plus en plus violents. La jeunesse se
radicalise et commence à prêter une oreille complaisante aux appels des
mouvements islamistes extrémistes. Ils vont bientôt créer leur propre mouvement
djihadiste «Tawid et
Jihad».
En 2004 et 2005 des attentats
frappent les centres touristiques de Sharm El-Sheikh
et de Taba. Le gouvernement réagit avec une extrême
brutalité, jetant en prison des milliers de bédouins, innocents pour la
plupart. Beaucoup sont relâchés, certains sont condamnés à de lourdes peines,
d’autres encore restent en prison pour faire pression sur les familles.
Cette fois, toute la société bédouine s’enflamme. Les manifestations se multiplient,
réclamant pêle-mêle la libération des prisonniers, davantage de justice
sociale, des logements à bon marché et des bourses d’étude pour les jeunes.
Autre point sensible, les bédouins veulent que les terres qu’ils occupent
depuis des siècles, et qui sont convoitées par les promoteurs, soient inscrites
à leur nom. En 2007 le gouverneur du Sinaï du nord leur promet d’agir ; rien ne
sera fait.
Pendant ce temps les mouvements
islamistes se montrent actifs. L’argent coule à flot et les bédouins se laissent
tenter. La contrebande, que ce soit d’armes et de marchandises à destination de
Gaza ou de drogue à destination d’Israël, devient une industrie nationale. A
cela va s’ajouter un nouveau et lucratif trafic : des dizaines de
milliers d’africains, fuyant misère et persécutions, cherchent à passer en
Israël. Les bédouins les exploitent de façon éhontée ; CNN et le Guardian
de Londres ont publié d’effroyables témoignages sur les sévices auxquels sont
exposés les malheureux africains et qui vont de la torture et du viol, aux
prélèvements d’organes.
Armes et
missiles
C’est sans doute grâce à la
collaboration entre terroristes et bédouins qu’un flot massif d’armes et de
missiles de plus en plus sophistiqués venus du Soudan, et maintenant de
la Libye, transite par le Sinaï pour arriver dans la bande de Gaza. Les
bédouins se montrent toujours plus audacieux. Lors des premiers jours de la
révolution en janvier 2011, ils effectuent un raid sur la prison de Marg située au nord du Caire et libèrent Iman Nofel, un leader du Hamas, ainsi que le chef de la cellule
du Hezbollah en Égypte Sami Shehab, tous deux
condamnés à de lourdes peines pour leurs activités terroristes. C’est au volant
de véhicules modernes et brandissant un armement de pointe que les bédouins
arrivent à leurs fins. Il ne fait pas de doute qu’une opération aussi complexe
n’a pu aboutir qu’avec l’aide du Hamas, du Hezbollah et des Gardes
révolutionnaires iraniens.
La chute de Moubarak n’a fait
qu’empirer la situation. Le gouvernement provisoire, qui peine à maintenir
l’ordre dans le pays, semble baisser les bras au Sinaï, du moins dans un
premier temps. Agents secrets et personnels de sécurité se volatilisent. En
juillet dernier, des bédouins encagoulés et lourdement armés se sont
lancés en plein jour à l’assaut du poste de police d’El Arish. Un petit groupe proclama l’établissement d’un émirat
islamique au nord Sinaï. Les barrages de police ont été attaqués et des
touristes étrangers kidnappés pour être échangés contre des bédouins
emprisonnés. Par deux fois le camp de la MFO, la force multinationale
chargée d’observer le respect du traité de paix, est assiégé. Le pipeline qui
conduit le gaz naturel égyptien vers la Jordanie et vers Israël est saboté
treize fois, à ce jour. Le Sinaï se transforme en place forte du terrorisme.
Des missiles ont été tirés en direction d’Eilat, en manquant fort heureusement
leur cible. En juillet dernier une attaque terroriste, sur la route qui longe
la frontière, avait fait 8 morts du côté israélien.
Israël bouc émissaire
Comme d’habitude, la presse
égyptienne rend Israël responsable de la situation : le traité de paix ne
limite-t-il pas l’effectif des troupes dans la région frontalière, ce qui ne
permet pas aux Égyptiens de rétablir l’ordre? Elle se garde de mentionner
qu’Israël a accordé une dérogation temporaire qui rend l’envoi de renforts
possible, mais que l’Égypte n’a envoyé que la moitié de ces renforts.
Le fait est que l’on n’en est
plus là. S’il veut vraiment rétablir la situation, le gouvernement égyptien
doit d’urgence prendre à pleines mains le dossier du Sinaï, parler avec
les chefs des tribus bédouines et avec les jeunes et commencer à traiter les
problèmes brûlants qui sont à la base de la violence. Israël pour sa part
regarde, impuissant, la péninsule se transformer en zone de non-droit où
Hamas et Jihad préparent et exécutent leurs attaques contre la frontière
commune. La situation risque de s’aggraver encore, lorsque ce seront les
Frères Musulmans qui formeront le prochain gouvernement. Ils ont déjà déclaré
leur volonté d’ouvrir la frontière entre Gaza et l’Égypte. Pour le moment le
parlement n’est pas en mesure de mettre en œuvre cet objectif. Que se
passera-t-il quand un président sera élu, un gouvernement formé et que
l’armée sera retournée dans ses casernes ?
Bien malin qui peut le deviner