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Quatre Jours en Enfer
Par Sami El Soudi
Metula News Agency
25/07/12
Je suis revenu lundi d’Egypte, où j’ai passé quatre jours
pour la Ména. J’étais au Caire lors de l’annonce du
résultat des élections, assistant à l’explosion de joie et aux feux d’artifice
des partisans de l’islamisation du monde arabe. Les mêmes islamisants
qui laissaient éclater leur bonheur partout dans le monde, y compris à Gaza et
en certains endroits de l’Autorité Palestinienne.
Les messages de félicitations pour le nouveau président,
Mohamed Morsi, ont plu de tous les coins de la
planète, de Washington à Jérusalem, en passant par Paris, sans oublier Téhéran,
bien entendu.
Morsi a été coopté par 51.7
pourcent de ses compatriotes, une proportion presque identique – 51.8% - à celle
des détenteurs du droit de vote s’étant rendus aux urnes. Le nouveau pharaon a
donc été choisi par un quart des électeurs égyptiens.
L’Egypte est aussi le pays au monde dans lequel on met le
plus de temps à dépouiller les bulletins : presque une semaine. Là ne
s’arrêtent pas les spécificités du scrutin dans l’empire brinquebalant du delta
du Nil ; j’ai été ainsi fort surpris de constater que des militaires ne se
tenaient pas uniquement aux abords des bureaux de vote, mais également à
l’intérieur. J’en ai vu conseiller les électeurs, et d’autres, se pencher pour
voir quel bulletin l’un ou l’autre avait choisi.
En revanche, il n’y avait pas de représentants des partis ou
des candidats dans les locaux de vote, mais uniquement dans les centres de comptage
les plus importants.
Les irrégularités se sont dénombrées par centaines, si ce
n’est par milliers. La plus flagrante d’entre elles, à mon avis, fut la manière
dont furent traités les électeurs chrétiens en Haute Egypte, où résident des
millions de Coptes. Des activistes islamistes y contrôlaient souvent le chemin
des urnes, les empêchant d’y accomplir leur devoir citoyen.
Des membres de la minorité chrétienne m’ont rapporté que
leurs coreligionnaires y furent fréquemment insultés et menacés de ce qui
"allait leur arriver après la victoire de l’islam", s’ils n’étaient
pas physiquement molestés.
D’ailleurs, Morsi et ses partisans
n’ont pas considéré le scrutin comme une consultation démocratique, mais comme
une "seconde guerre de reconquête de l’Egypte par l’islam". Ils ont
menacé de mort tous ceux qui se mettraient en travers de ce djihad. Pour ce
courant, l’élection n’était qu’un prétexte, une opportunité pour prendre le
pouvoir. La légitimité, ils l’ont reçue du ciel, et n’avaient, dans ces conditions,
pas besoin de l’assentiment des hommes.
Les Coptes ont du souci à se faire. Déjà malmenés sous
Moubarak et parfois victimes de massacres, Morsi leur
a promis qu’ils allaient devoir embrasser la religion mahométane, payer l’impôt
islamique, la jizya, ou faire leur valise.
Cette prédiction touche entre dix et douze millions de personnes.
Au temps pour les non-musulmans, les étrangers, les
Américains et le reste des Occidentaux, la haine ! Quant aux Juifs, ils ont
servi d’invective disqualifiante : tous les Egyptiens
qui n’étaient pas d’accord avec l’objectif des islamistes, et contre qui on
avait épuisé les autres injures, se sont vu traiter de Juifs ou de personnes
ayant du sang juif. C’est fou ce que les Israélites sont encore nombreux, plus de
4000 ans après la sortie d’Egypte !
Ahmad Shafik, le candidat
malheureux ayant tout de même recueilli 48 % des suffrages, s’est ainsi vu
appeler "Juif" des milliers de fois, et non moins souvent,
"candidat d’Israël" ou "agent du Mossad".
Et dans cet environnement que j’ai constaté, dans lequel je
me suis souvent senti revenu au temps de la pierre taillée, où ce qui fait le
plus défaut, après le respect minimal entre êtres humains, est l’intelligence,
personne n’est capable de différencier la rumeur de la vérité. Faute de second
degré et d’influence extérieure, je suis certain que, pour des millions de
fellahs, l’opposant au nouveau président est effectivement israélite.
Que cela soit absolument faux n’est pas le pire ; le pire
est que personne, parmi cent millions de personnes adultes, n’ait eu la
présence d’esprit de poser la question triviale : "Et alors ?".
Quant aux Frères Musulmans, ils surfent sur leur succès. Ils
ont effectivement l’intention de disputer à la junte militaire les attributs du
pouvoir, et ce, sans faire de quartiers. Témoins de cette bataille qui se
prépare entre Gog et Magog, la fuite, quelques heures après la désignation de Morsi, d’Ahmad Shafiq. Il a
poussé ses trois filles et leur progéniture dans le premier avion en partance
pour les Emirats Arabes Unis, sans acheter de billet de retour.
On saisit mieux la signification de cet exil, lorsque l’on
se rappelle que Shafik n’était pas uniquement le
perdant de la consultation "démocratique", mais qu’il avait été
pilote de chasse, commandant de l’Armée de l’air, avec le titre de maréchal, et
plusieurs fois ministre.
Le Conseil Suprême des Forces Armées d’Egypte, la junte
dirigée par un autre maréchal, Mohamed Tantawi, ne va
pas être dissout pour autant à l’issue des dernières élections. Il se prépare
au contraire au combat contre les Frères Musulmans.
Le Conseil aurait pu, sans autre forme de procès, annuler la
promulgation d’un vainqueur, il avait suffisamment de bonnes raisons pour le
faire, mais il craignait une gigantesque effusion de sang. Surtout, il ne fait
pas confiance aux officiers subalternes et à la troupe ; en cas de bataille
rangée, Tantawi craint qu’ils ne pointent leurs
fusils contre lui, transférant ainsi un pouvoir sans recours aux islamistes
pour une période indéterminée.
Avec ses collègues, il préfère être sûr de son fait,
attendre le moment opportun. Lundi matin, alors que je m’apprêtais à quitter le
Nil, les rumeurs de coup d’Etat allaient déjà bon train.
Dans l’entre-temps, la junte a limité à une peau de chagrin
les privilèges du nouveau raïs. Elle
l’a privé de constitution et a dissout le parlement issu du Printemps, dans
lequel les islamistes disposaient d’une majorité écrasante.
Mohamed Morsi ne peut pas diriger
un pays de cent millions d’habitants en plein naufrage dans ces conditions. Les
Frères ont d’ailleurs jugé nulle et non avenue la décision de dissolution. Mais
Morsi connaît également ses limites ; pour lui aussi,
il va s’agir de grignoter une à une ses prérogatives, en se basant sur la
légitimité des urnes et non sur le nombre de ses partisans. Avant même d’être
déclaré gagnant, il s’est assis avec les officiers et ils ont convenu des
règles du jeu du pouvoir. Des règles qui conservent la haute main à l’Armée,
mais pour combien de temps ?
Morsi va tenter d’écraser l’Armée
avec le temps, exactement comme l’a fait Erdogan en
Turquie, affaiblir la junte, jusqu’à pouvoir la laminer et la jeter aux
oubliettes.
Mais le Frère fait face à un problème supplémentaire : il
est "à la tête d’un pays en ruine et sans ressources". S’il tente
d’imposer la charia'h originelle, comme le prévoit
son programme électoral, il le privera de l’un des derniers expédients, l’aide
américaine.
Interdiction lui est également faite de toucher aux accords
de paix avec l’Etat hébreu, dont l’ambassadeur a d’ailleurs regagné, sous une
très lourde escorte, son domicile dans la banlieue du Caire, après l’annonce
des résultats. Morsi a été contraint d’affirmer que
sous sa présidence, l’Egypte respecterait les accords de Camp David. Ce sera sa
mise à l’épreuve permanente : s’il se ravise, ne serait-ce qu’en paroles,
l’Amérique et l’Union Européenne se désintéresseront de l’Egypte et la
traiteront avec hostilité.
Parce qu’une volteface avec Jérusalem ne remettrait pas
seulement en question la paix dans la région, elle permettrait en plus de faire
sortir la "République" Islamique d’Iran de son isolement, et
génèrerait une nouvelle répartition des forces insupportable pour les
Occidentaux.
Et si, d’aventure, Mohamed Morsi
changeait de politique à l’égard de Gaza, en livrant des armes au Hamas et en
lui procurant une profondeur stratégique, une guerre avec les "Juifs"
deviendrait inévitable. N’oublions pas, dans cette optique, que le Hamas, le
Mouvement de la Résistance Islamique palestinien, n’est autre qu’une
dissémination des Frères Musulmans égyptiens.
L’avenir de la région et de la Palestine dépend ainsi du
bras de fer entre Tantawi et Morsi.
A Ramallah, à la Moukata (le siège du gouvernement de
l’AP), on a salué pudiquement la victoire du candidat des Frères, que l’on
tient pour des ennemis à tous points de vue. On craint, évidemment, que le
succès de Morsi ne donne des idées et des ailes aux
islamistes palestiniens. Objectivement, même si cela ne va pas se voir tout de
suite, cette réussite pousse le Fatah encore un peu plus dans les bras de
Netanyahu. Et Netanyahu, qui en est conscient, comme de la solitude extrême
entourant Abbas, va profiter de la situation pour renforcer les implantations.
Et l’homme de la rue égyptien, que pense-t-il ? me
demanderez-vous. Pas grand-chose, parce que, en tant que tel, il n’existe pas.
Témoin les 25 millions d’électeurs qui ne se sont pas déplacés pour voter, en
dépit de l’obligation légale qui leur était faite. Quand vous leur parlez, une
partie affirme ne se préoccuper que de sa subsistance et de sa sécurité. Une
autre admet ne rien entendre aux affaires publiques, ce qui démontre
l’extraordinaire niveau de sous-développement intellectuel de ce peuple, et en
fait un véritable jouet entre les mains des groupes d’intérêt.
Pendant ce temps, la violence fait rage. Avec des
caravanes d’exciseurs, aux véhicules arborant les couleurs des Frères
Musulmans, qui battent la campagne. Ils appellent cela la "circoncision
féminine", et vantent ses vertus "hygiéniques" et
"morales". Après les avoir vus à l’action, personne ne peut décemment
croire que le clergé sunnite d’Egypte adopte une position neutre sur la
question.
90% des Egyptiennes
auraient subi la lame du rasoir, et cette proportion est encore en augmentation
dramatique selon des intellectuelles que j’ai rencontrées dans la capitale. Les
islamistes ont annoncé que la déclitorisation allait
être re-légalisée, et la "propagande"
contre l’excision interdite. Elle serait l’œuvre de courants antimusulmans, et
– je l’ai lu sur une affiche - "elle
participerait d’un complot visant à porter atteinte à la santé physique et
mentale de la Femme égyptienne".
D’autre part, privés du droit de se fréquenter dans des
lieux publics, et par le voile, de se regarder, les hommes et les femmes du
pays du delta sont entrés en guerre. Une guerre d’une férocité extrême, au
point qu’aucune femme ne peut plus se promener sereinement dans les rues des
villes. Des bandes de mâles en rut les agressent, les dénudent à même la
chaussée, et les violent collectivement. C’est cela la morale islamique. Et pas
question, par les temps qui courent, pour une représentante du sexe dit faible
d’aller se plaindre de son sort, elle risquerait d’y passer à nouveau, du
fait des policiers. Les couloirs des commissariats ont, pour toute chose,
terriblement mauvaise réputation.
Le phénomène des viols collectifs prend des proportions
hallucinantes d’après mes interlocutrices ; des centaines de milliers de femmes
seraient ainsi abusées quotidiennement, au point que ces pratiques animales
sont devenues normales après le Printemps.
Je demande à la vingtaine de femmes universitaires avec
lesquelles je parle combien d’entre elles n’ont jamais connu de violence
sexuelle grave. Aucune ne lève la main. Toutes baissent les yeux.
Le Caire aujourd’hui donne envie
de vomir. C’est devenu un mouroir, une immense mosquée et un bordel
permanent. Il s’y joue certes un duel d’une énorme importance pour le monde, la
région et la Palestine. Mais cela ne se déroule pas au niveau de la rue. Le
peuple égyptien, inculte, naïf, violent, misérable, sale, raciste et xénophobe,
n’est que l’une des armes du duel entre les islamistes et les officiers, au
même titre que la soldatesque, le Canal de Suez et le pétrole.
Tout journaliste, tout intellectuel qui qualifierait encore
ce que je viens de voir de "révolution" est soit islamiste, soit
complètement crétin. Plus encore, il participe à l’enterrement de cent millions
de malheureux, et, à ce titre, il est un fossoyeur.