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Egypte, l’Électrochoc
Par Zvi MAZEL, ancien ambassadeur d’Israël en Égypte - Fellow of the
Temps et Contretemps - mardi
7 août 2012
L’attentat sanglant, qui a fait au moins quinze morts parmi les soldats égyptiens, à proximité du poste-frontière Kerem Shalom, triple point de passage entre l’Égypte, Israël et Gaza, a provoqué stupeur et indignation sur les bords du Nil.
Les égyptiens, toutes tendances confondues, ont du mal à comprendre comment des terroristes musulmans, appartenant sans doute à la mouvance djihadiste, ont pu s’attaquer à des soldats «frères» en les massacrant froidement pour s’emparer des blindés dont ils avaient besoin pour lancer une opération contre Israël. Les lecteurs assidus de ce blog savaient, eux, que dans la péninsule du Sinaï devenue zone de non-droit, les attaques contre les forces de l’ordre étaient devenues monnaie courante.
Sinaï zone de non-droit
Les forces de sécurité égyptiennes s’étaient montrées incapables d’agir pendant les derniers 18 mois alors que ces mêmes organisations djihadistes attaquaient stations de police et barrages routiers, tuant des dizaines de policiers égyptiens. Seulement on parle beaucoup de complicités à partir de la bande de Gaza, alors qu’il y a quelques jours à peine, les responsables du Hamas, Khaled Mechaal et Ismaël Haniyeh étaient reçus en grande pompe au palais présidentiel, pour la première fois de leur histoire.
Le Hamas a compris à quel point cette opération embarrassait le nouveau président égyptien et a publié un communiqué démentant toute responsabilité. Pour sa part Abu Marzouk, numéro deux du Hamas, rejetait vertueusement toute éventualité d’implication et accusait Israël. Quant à la confrérie des Frères musulmans, le mouvement dont est issu Mohamed Morsi, elle affirmait avec sérieux que le responsable était le Mossad. Elle envoyait d’ailleurs ses militants manifester devant la résidence de l’ambassadeur d’Israël, en réclamant à grands cris son expulsion.
Un gouvernement sans renouveau
Le président égyptien, qui comptait se consacrer aux problèmes internes, n’avait vraiment pas besoin de ce dernier développement. Il avait promis que ses cent premiers jours seraient marqués par un changement profond annonçant «le renouveau». Hélas on en est loin. Le gouvernement formé par Hisham Kandil a été fort mal reçu ; seule la feuille de choux du parti «Liberté et Justice» des Frères musulmans en a salué la composition. Il est vrai qu’il avait fallu 35 jours au président pour trouver un premier ministre capable de former un gouvernement dont les liens avec les Frères musulmans ne soient pas trop voyants. Il devait tenir compte, non seulement des exigences de la junte militaire qui détient toujours des pouvoirs exceptionnels, mais encore des pressions des américains qui appellent à une plus grande démocratie et au respect du traité de paix avec Israël.
Kandil, illustre inconnu d’une cinquantaine d’années, ingénieur de formation chargé du ministère de l’irrigation dans le gouvernement précédent, est dépourvu d’expérience politique, économique ou même administrative. Évidemment, selon des sources concordantes, il est très proche des Frères musulmans et a expliqué qu’il portait la barbe par conviction religieuse. Les ministères de l’information et de l’éducation, considérés comme portefeuilles-clés pour la Confrérie ont été confiés aux membres du parti des Frères «Liberté et justice». Défense, politique étrangère et sécurité intérieure restent aux mains du Conseil Suprême des Forces Armées dont le chef, le Maréchal Tantawi, conserve le portefeuille de la Défense. Mohammad Kamel, qui était ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement précédent, reste à son poste. Le nouveau ministre de l’intérieur était le numéro 2 du ministère dans le précédent gouvernement – après avoir dirigé les forces de sécurité intérieures.
Oubli des minorités
Il ne reste pas grand-chose de l’égalité entre tous les courants et du respect des minorités qu’avait promis Morsi lors de la campagne électorale. Il n’y a que deux femmes sur 35 ministres, l’une d’entre elles censée représenter aussi les coptes. Les salafistes, avec leurs 25% de sièges au parlement, avaient réclamé le ministère de la religion. Comme on leur a proposé le ministère de l’écologie, ils sont partis en claquant la porte. Bref, au lieu des personnalités de premier plan et d’expérience et des opposants de la première heure au régime Moubarak, il n’y a là que des hommes, certes de bonne volonté mais de second rang. Une exception cependant, le ministre de la Justice, Ahmed Mekki, juriste réputé pour son indépendance, n’avait pas hésité par le passé à affronter le régime Moubarak.
Pour la quasi-totalité de la presse, ce n’est pas le gouvernement issu de la révolution que le peuple attendait mais bien un gouvernement derrière lequel se profilent les Frères musulmans, même s’il lui faut pour l’instant partager le pouvoir avec le Conseil militaire issu de l’ancien régime. Maintenant, il est clair que l’homme qui tirera les ficelles dans l’ombre pour tout ce qui touche aux finances, à l’économie et à la société sera Khairat el-Shater. Il représente l’homme fort de la Confrérie puisqu’il avait été le premier candidat des Frères à la présidence. Mais il fut, on s’en souvient, disqualifié pour avoir été frappé d’inéligibilité après avoir passé quelques années en prison pour infractions économiques.
Kandil et son équipe seront-ils en mesure de sortir l’Égypte de la crise économique et de rétablir l’ordre dans la rue ? On n’y croit guère en Égypte, d’autant que le président est toujours empêtré dans l’imbroglio politico-juridique qui l’oppose à la junte, laquelle est pour le moment seule détentrice du pouvoir législatif. Les généraux sont toujours en position de force. Ils dictent dans une large mesure la politique étrangère et ont la haute main sur l’armée et les services de sécurité qui assurent le dialogue avec Israël.
Fuites politiques
Le quotidien à large diffusion «Al Masri Al Yom» a publié le 19 juillet des fuites attribuées à des sources au sein des Frères musulmans. Elles concernent les conversations entre Hillary Clinton, Mohammed Morsi et le général Tantawi, chef de la junte et ministre de la défense, à l’occasion de la visite en Égypte de la secrétaire d’État. Selon ces révélations, Clinton aurait demandé à Morsi de reconnaître la légitimité d’Israël et de s’engager à respecter les accords de paix. Le président égyptien a rétorqué que la reconnaissance d’Israël était contraire à l’idéologie de son parti. Il se serait contenté de réponses évasives sur le traité de paix.
Clinton aurait alors «insisté lourdement» pour que Morsi confie les trois ministères-clés, évoqués plus haut, au Conseil militaire de façon à éviter que les Frères soient chargés du dialogue avec Israël. Morsi aurait confirmé que des négociations sur ce point étaient en cours avec la junte. Cette information sensationnelle a disparu d’Internet au bout de quelques heures, sans doute parce qu’elle jetait un éclairage cru sur les relations entre l’Égypte et les États-Unis et mettait en lumière les pressions exercées par Washington sur le Caire.
Il faut probablement voir la main de la junte dans l’épisode de la lettre par laquelle le président Morsi répondait aux vœux envoyés par le président Pérès à l’occasion du Ramadan. S’il ne fait pas de doute que cette lettre a été très officiellement transmise par l’ambassade égyptienne en Israël, ce n’est surement pas Morsi qui l’a rédigée mais plus probablement le ministère des Affaires étrangères sous le contrôle du Conseil Militaire. Cette courte lettre protocolaire comprenait en effet des expressions telles que «reprise du processus de la paix» ou « sécurité pour le peuple israélien» qui sont en contradiction complète avec l’idéologie des Frères musulmans.
Incidences politiques
Reste à savoir dans quelle mesure les événements du Sinaï vont influencer les deux pays qui sont directement menacés par le terrorisme djihadiste. Les optimistes se prennent à espérer que la nécessité de combattre l’ennemi commun va renforcer la coopération militaire. Aujourd’hui déjà, la presse égyptienne souligne qu’Israël avait lancé un avertissement concernant une attaque imminente et relève que ce pays a riposté avec vigueur et efficacité, éliminant tous les terroristes infiltrés sans avoir subi une seule perte. Une bloggeuse, peu connue pour sa sympathie pour Israël, a été jusqu’à écrire que les premières informations sur ce qui était en train de se passer avaient été données par la télévision israélienne alors que la télévision égyptienne était restée muette, ajoutant que «L’armée de défense d’Israël a tué les terroristes et a sauvé la situation.» Ce sont là des accents auxquels la presse égyptienne ne nous avait guère habitués.
Seulement les Frères musulmans sont au pouvoir et leur idéologie a inspiré toutes les organisations djihadistes, y compris le mouvement dont sont issus ces mêmes fanatiques islamistes qui ont tué, sans état d’âme, les soldats égyptiens sur la base de cette idéologie. Alors comme on l’a vu, la propagande officielle est en marche. Il faut «oublier» les véritables coupables et charger Israël et, pourquoi pas, réclamer la remilitarisation du Sinaï pourtant contraire aux accords de paix.
Il est pourtant évident que pour changer la situation au Sinaï, il faut lancer des réformes de grande envergure pour améliorer les conditions de vie des bédouins. L’Égypte, qui traverse une crise économique sans précédent, n’en a pas les moyens. Israël se doit d’être plus que jamais sur le qui vive. Tant que le Conseil Suprême des Forces Armées conserve ses pouvoirs, on peut espérer qu’il fera le maximum pour reprendre le contrôle dans la péninsule, mais rien ne dit que cette situation va perdurer. Tout de même, le gouvernement égyptien a fermé la frontière avec Gaza et a bombardé les tunnels. Le bon sens l’emportant pour une fois sur l’idéologie – pour le moment, mais jusqu’à quand ?