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Lettre Ouverte d'un Citoyen Egyptien à François Hollande

 

Par Ali Kady

Le 12 Septembre 2013

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Monsieur Le Président,

 

Puisque les lettres, les requêtes, les appels et les pétitions sont pour le moment en vogue, je ne voudrais pas être en reste et je m’adresse à vous qui représentez la conscience de la France.

Je m’adresse donc à vous monsieur le Président en tant que citoyen égyptien, ayant été en poste à l’Ambassade d’Égypte à Paris jusqu’en 2002. Je voudrais vous confier mon étonnement et ma grande déception à l’égard de la position de la France qui me paraît être ambigüe à l’égard de la Confrérie à vocation universelle des Frères Musulmans, qui a gouverné mon pays durant un an, une année de terreur durant laquelle l’Egypte a fait une remontée dans le temps pour se retrouver en plein Moyen Age, au milieu d’une guerre de religion au cours de laquelle la majorité opprime les minorités.

La Constitution de la Confrérie est également moyenâgeuse, les droits de la femme et de l’enfant y sont bafoués et le Chef de l’État s’est octroyé des pouvoirs supra constitutionnels et a surtout modifié l’identité nationale de l’Égypte. C’est un pas franchi vers "un talibanisme" pur et dur, une arriération que nous refusons avec fermeté.

 

Comme vous le savez, Monsieur le Président, depuis ses 85 ans d’existence, la Confrérie des Frères Musulmans a donné naissance à de nombreuses idéologies intégristes, dont la mouvance d’Al Qaeda et une multitude de mouvements jihadistes que vous avez si bien combattus au Mali et appuyés en Libye.

De mon côté, je n’oublie pas les attentats de Paris, de Londres et de Madrid, pour n’envisager que les méfaits tragiques de mouvances terroristes localisées en Europe.

Nous avons combattu ensemble cette forme de terrorisme, connaissant le danger qu’il représente, tant pour vous que pour nous.

 

Me voici confus et avec moi des millions d’égyptiens francophones ou non, chrétiens et musulmans, qui croyaient encore en la France avec laquelle nous sommes liés par des attaches affectives et culturelles, donc historiques.

Confus et déçus car vous avez changé de bord, si j’ai bien compris les déclarations de Monsieur Laurent Fabius, pour vous ranger résolument du côté de ceux qui brûlent les églises, persécutent les chrétiens d’Égypte, saccagent les biens publics et privés, pillent les commerces et les banques et font régner la terreur.

Déçus également, parce que vous vous retrouvez du côté de ceux qui ont déjà défiguré des statues de l’ancienne Égypte, fracassé les bustes de nos écrivains et poètes et attaqué la grande bibliothèque d’Alexandrie. Le représentant de la France auprès de l’Unesco a tourné les yeux pour ne rien voir.

 

Pouvez-vous renier si facilement des relations centenaires et abandonner une partie de votre Histoire ? C’est aussi une question que je me pose.

Le plus sinistre a été de qualifier la mise à l’écart du Président égyptien et de la Confrérie de coup d’État militaire. La France qui a inventé la démocratie après la Grèce n’a-t-elle pas assisté au sursaut national du 30 juin, auquel ont participé plus de trente deux millions d’égyptiens de toutes confessions, soit la moitié de l’ensemble de la population Française ! Le son des cloches des églises et l’appel à la prière se sont mêlés ce jour là pour célébrer le départ du Président déchu, élu frauduleusement grâce à la distribution aux plus démunis de cartons de sucre et d’huile. Juriste de formation, j’aurais annulé ces élections présidentielles pour fraudes et vices de fond et de forme.

Bouder après une prise de pouvoir des militaires, bien qu’il s’agisse d’une affaire intérieure est compréhensible, mais ce serait une erreur de croire que l’Égypte compte trente deux millions de militaires. L’institution militaire s’est simplement rangée du côté du peuple qui a refusé de se soumettre aux diktats archaïques et antidémocratiques de la Confrérie.

Enfin, je ne peux affirmer, ce qui est en vogue également, qu’il s’agisse d’un vaste complot pour refaçonner la carte du Proche-Orient et parler de chaos créateur. Cette logique me dépasse. Je dirais simplement que les bords de la Méditerranée vous concernent. L’intégrisme s’y installe. Il sera bientôt chez vous, si vous n’êtes pas vigilant, seule la Méditerranée vous sépare. Si à présent, vous vous sentez proches d’eux, ouvrez-leur vos frontières.

 

L’Égypte est une grande nation, Monsieur Le Président, l’un des premiers États au monde. Nous ne demandons l’aide de personne. Nous paierons, comme nous l’avons toujours fait, l’exemple à donner, car donner l’exemple coûte cher et nous resterons en première ligne. Nous ne demandons que compréhension, une vision claire et éclairée de ce qui se passe réellement, et une perception prémonitoire de la réalité comme l’a été celle de Taha Hussein et de Naguib Mahfouz, car il est difficile de briser la volonté d’un peuple en marche.

 

Avec tous mes respects,

 

Ali Kady, citoyen d'Egypte