Le Combat contre Daesh dans le Sinaï
Par Yossi
Ben Menahem
7/05/17
Source : Le CAPE
de Jérusalem - http://jcpa-lecape.org/le-combat-contre-daesh-dans-le-sinai/
Ces trois
dernières années, les terroristes de Daesh ont tué
plus de 500 bédouins dans toute la péninsule du Sinaï, dont 200 qu’ils ont
décapités. L’Organisation de l’Etat islamique accuse les bédouins de
« collaboration » avec l’armée égyptienne.
Cette
vague d’assassinats a pour but de terroriser les bédouins et de les mettre en
garde contre tout contact avec les autorités égyptiennes.
Dans sa
lutte contre Daesh dans la péninsule du Sinaï,
l’armée égyptienne rencontre de nombreuses difficultés et a toujours du mal à
éradiquer la présence des terroristes en son territoire. Malgré ses efforts et
le déploiement considérable de forces sur le terrain, il existe toujours un
manque d’informations précises, et en temps réel, sur la localisation des
terroristes.
Jusqu’à présent, les tribus
bédouines sont restées neutres dans la guerre qui oppose les islamistes à
l’Etat égyptien. Elles craignaient franchement les islamistes, et l’Etat ne
leur offrait pas de garanties sécuritaires, ni aucun avantage matériel. Cette
neutralité était de mise même lorsque les djihadistes
ont décapité de nombreux bédouins. Les chefs des tribus n’étaient d’ailleurs
pas en mesure d’identifier tous ceux qu’ils devaient venger.
Ces jours-ci, il semble que
la situation ait évolué. Le 29 avril 2017, la tribu Tarabine
a publié un communiqué appelant à se ranger aux côtés de l’armée égyptienne
afin de lutter contre le terrorisme qui les menace. Quatre tribus
bédouines ont répondu à l’appel et promis de faire front commun contre les djihadistes. La fédération des tribus bédouines du Sinaï a
décidé de former deux groupes de jeunes volontaires. Le premier aidera les
forces de sécurité à obtenir les informations nécessaires sur les suspects et
leurs complices et contrôler les routes utilisées dans le trafic des armes. Le
second groupe participera directement à la campagne militaire aux côtés des
forces armées égyptiennes.
En effet, de nombreux
bédouins nourrissent un sentiment de vengeance à l’égard des islamistes qui ont
tué beaucoup des leurs. Ils appellent à une « levée en masse » en vue
d’un affrontement imminent avec les djihadistes. Ils
précisent qu’ils sont les seuls habitants du Sinaï qui connaissent parfaitement
le terrain, et les seuls à pouvoir mener à bien le combat contre Daesh. Pourtant, cet appel ne fait pas l’unanimité.
Plusieurs notables en minimisent la portée en expliquant que :
« Les Tarabines ont toujours coopéré avec
l’Etat et l’armée, on n’a pas besoin de surenchères. Finalement, ce sont les
soldats qui portent les armes et c’est à l’Etat qu’il appartient de faire face
aux hors-la-loi ».
En fait, il ne s’agit pas
de la première initiative du genre. Selon le journal Al Aharam, La tribu d’Al-Romaylat
avait déjà annoncé en juillet 2016 former des milices pour se venger des
terroristes qui avaient tué plusieurs de leurs leaders. Or, l’armée avait
aussitôt déclaré qu’elle ne permettrait à aucune des parties de porter les
armes à sa place. Cette fois pourtant, il apparaît que la nouvelle initiative a
été bien accueillie par l’Etat, ne serait-ce qu’implicitement.
Mais beaucoup de questions
restent encore sans réponses : s’agit-il d’une opération de propagande menée
par une tribu proche de l’Etat avec pour objectif de détourner l’attention loin
de la situation dramatique qui sévit dans la péninsule ? S’agit-il d’une
manœuvre pour donner libre cours à l’Etat pour neutraliser les groupes djihadistes, sans risque de représailles de la part des
bédouins ? Sinon, qu’est-ce qui aurait pu amener les tribus à franchir ce pas ?
Ont-elles réalisé que l’Etat était trop faible pour riposter et qu’il était temps
de prendre les choses en main ? Force est de constater que l’annonce de
l’initiative a coïncidé avec des changements à la tête de l’armée et des
services de renseignements, il y a près d’un mois. Qu’en est-il des autres
tribus ? Vont-elles prendre leur distance avec les djihadistes
?
L’ancien général Alaa Ezzeddine explique que cette
démarche de la part des tribus s’explique par la volonté des bédouins de venger
leurs morts tués par les djihadistes. « Les
tribus ont jugé qu’il serait préférable de le faire en collaboration avec
l’Etat, plutôt que dans le cadre d’une vendetta. Ce n’est certainement pas une
initiative émanant de l’armée, celle-ci ne permettrait pas la formation de
milices bédouines », estime-t-il. Et d’ajouter : « Certaines tribus
sont motivées par un sentiment de patriotisme, mais la plupart ont les yeux
déjà rivés sur les intérêts qu’elles peuvent tirer d’une telle collaboration,
notamment sous forme de terres qui pourraient leur être accordées en guise de
récompense ».
Dans ce contexte tribal,
les bédouins ne peuvent plus se permettre de rester les bras croisés, face aux
attaques, aux décapitations, et aux menaces des groupes terroristes qui visent
leurs chefs, « pour eux, c’est désormais une question d’honneur et de
réputation ». Et de conclure : « Les tribus peuvent donc se ranger du
côté de l’Etat dans la guerre contre le terrorisme. Les bédouins sont sur le
terrain, ils sont armés. L’Etat peut en profiter ».
La lutte antiterroriste
serait menée sous la bannière des Tarabines bien
qu’il existe dans le Sinaï dix autres grandes tribus dont celle d’Al-Sawarka, également proche de l’armée. Toutefois, La tribu Tarabine contrôle la zone du sud de Rafah jusqu’au centre
du Sinaï et sur toutes les routes de contrebande dans la région. Ainsi,
les Tarabines pourront empêcher l’accès à la
contrebande. En outre, cette tribu est bien entrainée dans le combat de
guérilla et assez riche pour acquérir de nouvelles armes.
Les violents affrontements
entre les tribus bédouines et Daesh ont créé une
nouvelle tension dans le nord du Sinaï. Les plus grands bénéficiaires sont sans
doute l’armée égyptienne et la police avec ses différents services. Elles
pourront obtenir des renseignements précis sur les activités de Daesh non seulement dans le Sinaï mais à l’intérieur de
l’Égypte.
Les généraux de l’armée
égyptienne ont exprimé leur optimisme à propos des développements récents dans
le nord du Sinaï. Ils espèrent que le conflit entre Daesh
et les tribus bédouines s’intensifiera pour mieux combattre le fléau du terrorisme.
L’affaiblissement ou
l’anéantissement de Daesh dans la péninsule du Sinaï
a également d’importantes répercussions sur Israël. Soulignons, les nombreuses
attaques et attentats contre des Israéliens le long de la frontière et les tirs
de roquettes sur la ville balnéaire d’Eilat.