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La Lutte Anti-Terroriste au Sinaï, une Victoire Militaire et
Economique de l’Egypte
Le 28 octobre dernier, le président égyptien Adel Fattah al-Sissi mettait fin à l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis 2017. Cette décision révèle l’efficacité de la stratégie contre-terroriste mise en œuvre par le maréchal al-Sissi. Alors que la junte malienne voit des djihadistes s’installer à deux heures de Bamako, l’Égypte fait désormais partie du club très fermé des armées ayant réussi à éradiquer la menace terroriste au sein de leur pays. L’accord d’Israël le 7 novembre dernier pour le déploiement de troupe à sa frontière montre cependant que des efforts sécuritaires restent à faire, analyse Baudoin de Petiville, spécialiste de l’Égypte.
Par Baudoin de Petiville, journaliste à Valeurs Actuelles
12 novembre 2021
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Il est intéressant de noter que les raisons du développement de groupes terroristes au Sinaï sont similaires à celles d’autres pays, notamment du Sahel ; une région difficile d’accès, une population discriminée et un État peu présent. En dehors du tourisme de Sharm el Sheikh au bord de la mer Rouge, les opportunités économiques y sont très faibles. La région est principalement habitée par des tribus bédouines à la culture tribale très éloignée des Égyptiens du Nil. Bien qu’ils soient musulmans, principalement soufis, les bédouins du Sinaï ont longtemps été considérés comme des citoyens de seconde zone. L’accès à la fonction publique leur est refusé, les emplois dans le tourisme difficiles d’accès.
La chute du président Moubarak en 2011 a
inauguré une grande période de trouble pour le pays. Profitant du
chaos, des groupes djihadistes vont peu à peu s’installer au Sinaï. En
2014, le groupe Ansar Bayt al Maqdis prête allégeance à l’État
islamique et devient officiellement la Wilayat Sinaï. On compte alors
plus de 2 000 combattants, parmi eux des Irakiens, des Syriens,
voire des Africains. Plusieurs attentats
spectaculaires causeront de nombreux morts. En 2015, un A321 est
abattu tuant 224 personnes. Les tribus locales ne facilitent pas la tâche.
Hostile au pouvoir central après plusieurs années d’ostracisations, une
grande partie d’entre elles se lient aux djihadistes. Ces derniers
laissent leurs trafics prospérer, allant jusqu’à le taxer, voire
y participer.
Un soutien local nécessaire pour venir à bout des cellules
terroristes
En 2014, le maréchal Sissi prend le
pouvoir. L’EI au Sinaï est en plein expansion, c’est le premier à se
saisir véritablement
du problème. Il mène d’abord une politique de la
terre brûlée, l’infanterie et l’armement lourds sont envoyés au Sinaï.
Dans le même temps, Israël s’inquiète de l’installation d’une zone
djihadiste à sa frontière. L’État hébreux collabore donc avec des frappes
aériennes en partageant son renseignement. Ainsi, en 2015, une
tentative de prise de la ville Sheikh Zuweid est repoussée à l’aide
d’avions F16. Plusieurs ONG ont longuement dénoncé cette
stratégie qui a donné lieu à la destruction de 12 000 logements, le
déplacement d’un sixième de la population du Sinaï et de nombreuses
exécutions extrajudiciaires. Cette méthode ne pouvait qu’accroître la
défiance des bédouins vis–à–vis du pouvoir central. Ce n’est que sous la
pression de ses partenaires occidentaux que l’Égypte met en place une
véritable stratégie de contre–guérilla.
Dès 2017, al–Sissi comprend que la zone ne sera pas pacifiée sans le
soutien des tribus. En novembre, les djihadistes mènent une attaque
particulièrement violente contre une mosquée soufie au nord du Sinaï. 317
membres de la tribu Sawarka sont tués, dont une vingtaine d’enfants. C’est
l’attaque qui fera basculer le rapport de force. Les tribus Sawarka et
Tarabin s’allient à l’armée et appellent à combattre les
djihadistes. Après ce ralliement, les chefs de tribus plaident pour
jouer un rôle plus important dans la lutte anti-terroriste dans la région. Il
est même demandé de les armer. Sans aller jusque–là, le gouvernement
va les utiliser dans le cadre du renseignement et de la reconnaissance.
En 2018 est mis en place l’opération « Sinaï 2018 » qui
s’appuie sur deux piliers ; sécurité et développement. L’objectif est
de stabiliser la région et de faire battre en retraite la Wilaya
Sinaï. Pour cela, l’armée va couper les groupes de ses aides
extérieures en ciblant les réseaux de tunnels entre Gaza et le Sinaï.
Dans le même temps les patrouilles dans la mer Rouge et le canal de
Suez sont augmentées. L’armée renforce le maillage du terrain avec
davantage d’informateurs et de techniques, plus adapté à un combat
asymétrique. Des drones sont également utilisés pour des attaques
ciblées. Cette stratégie va se révéler redoutablement
efficace ; aujourd’hui la présence djihadiste au Sinaï est
limitée à une dizaine de membre.
Rendre la paix durable en développant l’économie du Sinaï
Le 28 septembre dernier, le maréchal Sissi
déclarait : « Le développement du Sinaï est en tête de la
liste des priorités des dirigeants politiques. » Le président
est le premier à véritablement comprendre l’importance d’un développement
économique au Sinaï. Sans projet de développement et d’infrastructures,
les djihadistes seront certes défaits, mais la région restera hostile au
pouvoir central. L’opération « Sinaï 2018 » comprend donc
un volet économique afin de pacifier durablement la région. Ce
projet de développement économique s’appuie sur un financement
d’environ 40 milliards de dollars et est
confié à l’autorité militaire du génie.
La première partie du projet consiste à désenclaver
la région afin de faciliter les échanges. Pour cela, il est prévu la
construction de six tunnels, cinq ponts et 600 km de train électrique.
La rénovation du système routier doit accompagner la construction de
dix–sept conglomérats bédouins et six nouvelles villes intelligentes qui
seront toutes équipées d’hôpitaux, d’universités et d’écoles
flambants neufs. L’objectif affiché est d’accueillir 3,5 millions d’habitants.
Il s’agit en fait d’en finir avec ce foyer de crise et
de trafic pour l’inclure dans l’économie du pays en palliant
massivement le vide qui y régnait. Afin d’y développer
l’activité économique, outre ces travaux pharaoniques, le gouvernement vise l’installation
d’une base énergétique et l’irrigation des terres. Plusieurs
centrales éoliennes et solaires ont été installées, dont la plus
grande du monde avec une capacité de 380 Mégawatt. Les terres
cultivables devraient par ailleurs être augmentées de 118 %
grâce à une irrigation permise par la construction d’une
vingtaine de stations de dessalement.
Ce développement économique doit permettre de construire dans le
temps la paix acquise au prix de la vie de plus de 300 militaires
égyptiens. Cependant, c’est l’armée elle–même qui risque de fragiliser cette
paix. Comme le démontrait Yezid Sayigh du Carnegie Middle East Center
de Beyrouth, l’armée a utilisé l’argument de la sécurité pour
s’approprier la grande majorité des projets de développement, laissant
peu de place aux entreprises publiques et aux tribus
locales. L’implication de l’armée égyptienne dans l’économie du pays
est en effet hors norme. Quand le Washington
Post estime qu’elle contrôle 60 % de l’économie, Naguib Sawiris,
l’homme le plus riche d’Égypte avance le chiffre de 40 %. Elle possède
ainsi des entreprises agro–alimentaire, pétrolières, ou encore
touristiques comme à Sharm el-Sheikh au Sinaï. L’une des institutions de
l’armée chargée d’administrer l’une des 35 entreprises est l’Autorité
de génie des forces armées… en charge des opérations de développement
au Sinaï.