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Le Mouvement Mondial Gülen
Par Albert Soued, écrivain, http://soued.chez.com pour www.nuitdorient.com
Le 20 juin 2011
Le parti AKP, le Parti de la Justice et du Développement, vient de gagner pour la 3ème fois les élections législatives et son chef le 1er ministre Erdogan, est au pouvoir déjà depuis 8 ans. Bien qu'ayant de moins en moins de sièges au parlement (325 au lieu de 363 en 2002), Erdogan est de plus en plus populaire, puisqu'en 2002, il avait gagné avec 34% des votes et aujourd'hui, il en a 50%.
Erdogan cherche à changer la Constitution pour transformer son régime en système présidentiel comme aux Etats-Unis. Comme c'est son 3ème et dernier mandat, il pourrait être tenté, dans la foulée, par "un système présidentiel à vie". Nous avons ouvert la rubrique "Turquie" à l'arrivée d'Erdogan au pouvoir et nous l'avions intitulée "La Turquie se réislamise lentement et s'éloigne de l'Occident", à bon escient.
D'où vient cet engouement turc
pour l'islamisation au détriment des partis démocratiques et laïcs, héritiers
de la révolution de Kémal Ataturk
? La corruption de ces partis et les exactions de la police et de l'armée
n'expliquent pas totalement le succès de l'AKP, d'autant que celui-ci se révèle
autant corrompu que les autres partis et que les cadres de la police et de l'armée
n'ont pas changé d'attitude, quoique plus jeunes.
Sous l'empire ottoman, la Turquie était un modèle d'islam
tolérant s'appuyant sur la tradition soufie dont les confréries se
développaient harmonieusement dans tout le Moyen Orient. Depuis près d'un
demi-siècle, l'islam radical a supplanté cette vision, et les soufis sont
persécutés, voire interdits en Arabie et en Iran. Un
mouvement religieux inspiré du soufisme, appelé "Gülen"
du nom de son fondateur, résiste à l'Islam radical issu d'Arabie et d'Iran et se
développe aujourd'hui dans le monde entier.
Fethullah Gülen
est né en 1938, en
Anatolie. Fils d'imam, il a commencé une carrière d’imam à 17 ans, puis est
devenu un enseignant religieux. Arrêté après le coup d’état militaire de 1971
pour activités subversives, il a été condamné en 1999 pour avoir fomenté
"un complot contre les institutions laïques turques" (il a été
blanchi en 2008). En 1998, Gülen fuit aux
États-Unis avec un groupe d’adeptes où il achète une parcelle de terrain au
milieu des montagnes Pocono en Pennsylvanie, qui
est devenue la base de ses opérations.
Ayant amassé plus de 25
milliards $ d’actifs, dont l'origine reste opaque, il continue à
partir de là à influencer les activités politiques turques, ainsi que celles de
toute l’Asie centrale. Il
est aujourd’hui à la tête d’un empire constitué de 2000 écoles réparties dans
une centaine de pays, d'universités, d'hôpitaux, de journaux et de chaînes de
télévision, d'associations culturelles et professionnelles en Turquie, de sites
internet en près de 20 langues dont un en français (http://fr.fgulen.com/).
Sous son influence et celle de l'AKP dont le mouvement a fourni les cadres, la Turquie s’est transformée en quelques années d’un état laïc en un pays islamique avec 85.000 mosquées actives - une mosquée par 350 citoyens soit le plus grand nombre par habitant dans le monde -- 90.000 imams, en plus grand nombre que les enseignants et les médecins et des milliers d’écoles islamiques administrées par l’État. Il aurait en Turquie une dizaine de millions d'adeptes et de sympathisants.
Gülen a fondé son enseignement sur
la notion soufie de "travail pour le bien commun de
l’humanité", totalement opposée au "jihad" violent de la guerre
sainte. Le véritable islam doit coopérer avec les autres religions en vue
d’assurer la liberté, le progrès matériel et la justice sociale.
Cheikh Saïd Kurdi-i (1878-1960), le penseur turc appelé Saïd’i Nursi, avait déjà créé un
mouvement "Nour ou lumière" qui a essayé de
concilier l'islam avec la science, donnant aux musulmans les moyens de
s'approprier le savoir scientifique, sans l’opposer à la religion. Grâce à
l'action de Fethullah Gülen
qui s’inscrit dans son prolongement, cette mouvance néo-soufie est restée
vivante et influente.
Réformateur
de l’islam, Gülen a une approche où se mêlent la
nostalgie d’un islam modéré de l’empire ottoman, une vision turco-centrée du
monde islamique et une volonté farouche de s’appuyer sur une éducation scientifique
et moderne. Il ne milite pas ouvertement pour la création d’un état
théocratique, création prématurée qui viendrait en son temps.
Pour lui, l’AKP est trop pressé et trop voyant dans son désir d’instaurer un état islamique et la sharia'h en Turquie, car il est encore trop tôt pour donner le coup de grâce au Kémalisme. Peu attiré par les courants fondamentalistes issus de la péninsule arabique et rejetant toute forme d’action violente, il est l’une des rares personnalités de l'Islam à avoir dénoncé les attentats du 11/9.
Gulen reproche à Erdogan son implication
dans l'affaire de la "flottille" qu'il aurait dû éviter, son inutile
"anti-israélisme", et la mauvaise image
qu'il répand en Occident.
Par ailleurs, souhaitant sérieusement diminuer l'influence de l'armée dans la
société civile et renforcer celle-ci, Gulen
reproche à Erdogan d'avoir fait des compromis avec
l'armée sur les nominations et l'organisation des promotions et d'avoir libéré
la plupart des officiers compromis dans la préparation de coups d'état -- qui
n'ont jamais eu lieu.
De nombreux observateurs politiques pensent que le Mouvement Gülen est dangereux car il aurait les mêmes objectifs que les Frères Musulmans au Moyen Orient -- un califat mondial – mais avancerait caché, sous couvert d'idées de compassion et d'ouverture, le temps que l'Islam récupère la technologie et la science de l'Occident. D'autres pensent qu'il serait manipulé par la CIA, pour contrôler les républiques d'Asie centrale issues de l'empire communiste… Le mouvement Gülen étonne et inquiète. (1)
Note de www.nuitdorient.com
(1) Ils Trahissent de Nouveau d'Anciens Amis - Pour les Frères Musulmans (FM), la parole divine, je le crains, vient en second lieu après la recherche du pouvoir. Tout au long de son histoire qui dure depuis 83 ans, cette organisation fondamentaliste a toujours offert au pouvoir en place un compromis tentant, de manière à obtenir un morceau du "gâteau" gouvernant. Mue par l'axiome qui dit que la fin justifie les moyens, elle a soutenu d'une façon inébranlable les rois comme les dictateurs. Ses chefs ne se sont jamais inquiétés de savoir qui ils soutenaient…
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